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Rémunération des comptes sur carnet : réglementer complètement ou libéraliser totalement

Rémunération des comptes sur carnet : réglementer complètement ou libéraliser totalement

Quelques vérités ne sont pas ailleurs et en voici une : les banques agréées au Maroc s’assoient sur davantage de dépôts sur livret que de dépôts à terme. Pour en attester, il suffit de se référer aux derniers chiffres publiés par Bank Al-Maghrib concernant les statistiques monétaires au titre de l’année 2021. À 174 milliards de DH d’encours, les comptes sur carnet devancent de loin les comptes à terme et les bons de caisse dont le volume total ne dépasse pas 136 milliards de DH au terme de l’année 2021.

C’est toutefois une autre vérité, tout aussi factuelle mais bien plus inquiétante, que cache cette appétence apparente pour les comptes sur carnet. Le fait est que la croissance en glissement annuel de l’encours des comptes sur carnet a connu une nette décélération durant les dix dernières années et, après s’être affiché à 9,45% en décembre 2011, son taux a été réduit à 2,81% en décembre 2021. 

L’engouement que suscitent les comptes sur carnet, eu égard aux avantages qu’ils offrent à leurs détenteurs notamment en termes de liquidité, semble donc s’estomper et cela s’arithmétise par une croissance décroissante de leurs encours. Face à cette tendance lourde, le cadre règlementaire applicable aux comptes sur carnet ne fait qu’ajouter un péril aux tourments qu’ils endurent. Ces tourments, qui vont du mode de calcul des intérêts y afférents au poids de la fiscalité qui pèse sur leur rémunération, déplaisent vraisemblablement aux épargnants qui, certes enthousiastes à l’idée d’en avoir plus, y vont doucement.

D’abord, et pour fixer la valeur du taux créditeur des comptes sur carnet, on se réfère à l’un des plus bas des taux d’intérêt, en l’occurrence le taux des bons de Trésor à 52 semaines. Du fait qu’ils véhiculent la dette publique, la prime de risque qui s’y greffe est relativement faible. Normal, c’est la dette souveraine qui est à l’honneur et l’État est toujours et partout une bonne signature. Et comme cela ne suffit guère pour terrasser la rémunération des comptes sur carnet, on ôte à ce taux benchmark pas moins de 50 points de base. C’est ce que dictent les directives de Bank Al-Maghrib et on ne peut s’y soustraire. Là aussi, rien de plus normal. Le compte sur carnet est le plus liquide des dépôts rémunérés et c’est arithmétique, dira-t-on, pas de terme, pas de prime de terme. De ce fait, le taux créditeur des comptes sur carnet est aujourd’hui victime du succès de la gestion active de la dette publique. Au titre du premier semestre de l’année 2022, sa valeur est fixée à 1,05% et son malheur n’est autre que de céder au destin bienheureux des bons de Trésor à 52 semaines.

En guise de malus, les banques observent un déphasage entre les dates des opérations effectuées sur les comptes sur carnet et leurs dates de valeur. L’idée est que la date de valeur de toute opération ne peut être que le premier jour de chaque quinzaine. Dans ce sillage, les versements effectués durant une quinzaine sont comptabilisés au premier jour de la quinzaine suivante, alors que les retraits sont comptabilisés au premier jour de la même quinzaine. Cette règle de comptabilisation, dite règle des quinzaines, permet à la banque dépositaire de réduire la durée de détention des dépôts. Si les sorties de fonds sont hâtivement anticipées, les entrées de fonds, quant à elles, sont résolument retardées. 

À noter que les textes de loi qui régissent le fonctionnement des comptes sur carnet au Maroc, à savoir l’arrêté ministériel et la circulaire de Bank Al-Maghrib prise pour leur application, ne mentionnent nullement cette règle des quinzaines. Il s’agit d’une liberté d’action offerte aux institutions de dépôts et qui fait écho à une pratique ancestrale et ancrée dans le management bancaire au Maroc. 

Pour clore cette cure de dégraissage désolément offerte aux titulaires des comptes sur carnet, les intérêts calculés et capitalisés à la fin de chaque trimestre sont soumis à l’impôt sur les produits des placements à revenu fixe. Cet impôt, dont le taux s’élève à pas moins de 30%, est évidemment retenu à la source. En somme, les épreuves infligées aux comptes sur carnet et susceptibles d’ébranler la soutenabilité de leur attrait, s’articulent autour de trois dimensions; l’indexation de leur taux d’intérêt sur le taux de la dette souveraine, la réduction systématique de leurs durées de détention via la règle des quinzaines et, en dernier lieu, la charge fiscale de l’impôt auquel ils sont assujettis. Si la première est de nature règlementaire et appelle à une refonte des textes de loi, en l’occurrence l’arrêté ministériel et la circulaire de Bank Al Maghrib, la deuxième demeure inhérente aux banques de la place et constitue une marge de manœuvre partiale qui leur est concédée par une réglementation décidément partielle. Quant à la troisième, elle est du ressort de l’exécutif qui, à travers un projet de Loi de Finances, peut décider d’exonérer, totalement ou partiellement, le produit d’intérêts des comptes sur carnet.

À plus forte raison, il ne faut guère faire dans la demi-mesure. Qu’il s’agisse d’une réglementation ou d’une déréglementation, celle-ci doit être juste et complète et aucunement partielle et partiale. Tout bien considérée, la problématique de la rémunération des comptes sur carnet s’étend au-delà de la simple dialectique autour de sa faible valeur et des moyens techniques de la rehausser. L’enjeu majeur consiste à bâtir un narratif cohérent quant au mode opératoire des comptes sur carnet, et ce autour d’un référentiel bien défini. À mi-chemin entre le libéralisme pur et simple et l’interventionnisme pur et dur, le mode opératoire actuellement adopté au Maroc est à bout de souffle et l’appétence de moins en moins forte des épargnants sème le doute sur son bienfondé et, surtout, son efficacité.

 

 

Hachimi Alaoui, Professeur d'économie monétaire et directeur d'équipe de recherche

 

 

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