Les nouvelles dispositions relatives à l’exonération de l’activité d’externalisation de services suscitent de la confusion chez certains professionnels.
Arji Abdelaziz, expert-comptable, auditeur, commissaire aux comptes et président de la Commission juridique et fiscale de la CFCIM, nous éclaire sur le sujet.
Par Badr Chaou
Finances News Hebdo : Comment expliquez-vous que la Loi de Finances n'ait pas clairement formulé l'exonération quinquennale de l'IS des entreprises d'exportation de services ?
Arji Abdelaziz : Cette disposition a été introduite dans la Loi de Finances 2020 in extremis, sous la pression des associations qui défendent le secteur de l’offshoring, notamment l’AMRC et l’APEBI. Il faut savoir que l’enjeu est important. Le secteur compte environ 500 entreprises grandes et moyennes dans le domaine du Centre d'appels du BPO, de l’ITO et de l'ingénierie automobile, réalise environ 15 milliards de dirhams de chiffre d'affaires en devises et emploie pas moins de 100.000 personnes. Le gouvernement a ainsi fait une petite entorse à l’engagement vis-à-vis de l’OCDE et de l’Europe et je trouve cela courageux.
Dans la rédaction, le législateur a banni les vocables de «offshoring» et de «zones franches» en raison de leur connotation négative. Ils sont remplacés respectivement par «externalisation de services» et «zones d’accélération industrielle».
Mais on ne comprend pas pourquoi le législateur n’a pas rajouté le terme «export» (externalisation de services exportés). Ce qui a poussé certains opérateurs à croire que cela pourrait concerner tous les services externalisés, qu’ils soient exportés ou non.
La sortie de la circulaire n’a pas apaisé les esprits. En effet, elle ne précise pas si le taux de 20% applicables après les 5 années d’exonération concerne le bénéfice proportionnel au chiffre d’affaires export uniquement ou bien concerne également le chiffre d’affaires local.
S’il s’applique au bénéfice global, alors comment allons-nous traiter certains centres d’externalisation qui réalisent la quasi-totalité de leur chiffre d’affaires en GRC (Relation client), BPO (outsourcing) ou ITO en traitant les commandes des opérateurs télécoms ou des banques marocaines ?
F.N.H. : Quelles conséquences cette incertitude peut-elle avoir sur le secteur des centres d'appels, et plus globalement sur l'offshoring ?
A. A. : Si la circulaire de la DGI n’apporte pas l’éclairage nécessaire à cette disposition, les métiers de l’offshoring vont effectivement être très affectés. Il est vrai que les investisseurs étrangers regardent moins les avantages fiscaux dans la décision d’investissement, au profit de la qualité des infrastructures et des ressources humaines. Mais l’attrait fiscal restera déterminant tant que des pays concurrents peuvent présenter un package meilleur que celui offert par le Maroc.
F.N.H. : Quelles remontées de terrain avez-vous de vos clients à propos de cette disposition ?
A. A. : Les investisseurs qui se sont installés avant le 31/12/2019 ne sont pas inquiétés. Ils vont pouvoir épuiser leur droit à l’exonération, même si le taux d’IS va passer après les 5 années à 20% sur l’export au lieu de 17,5%.
En revanche, nous avons observé un comportement frénétique des investisseurs dans les deux derniers mois de 2019. Premièrement, les grands groupes qui comptaient s’installer au Maroc en 2020 ont mis en stand-by leurs projets en attendant d’avoir des éclaircissements sur ce dispositif grâce à la circulaire qui va être produite incessamment par la DGI. Ensuite, les sociétés familiales ou dont la gouvernance est souple, ont décidé de créer leurs structures en novembre et décembre 2019 afin de marquer leur ancrage dans l’ancien dispositif qui garantit l’exonération des 5 ans. Pour ce faire, l’investisseur est tenu de facturer une prestation ou une marchandise exportée en 2019 et rapatrier les devises dans les 90 jours pour les services et 150 jours pour les biens, selon les prescriptions de l’Office des changes.
F.N.H. : La circulaire de la DGI devrait-elle apporter la clarification attendue des opérateurs ?
A. A. : La formulation dans le Bulletin officiel suscite la confusion : «bénéficient de l’exonération à 100% de l’IS pendant les 5 premières années les sociétés d’externalisation de services à l’intérieur ou en dehors des plateformes industrielles intégrées dédiées à ces activités, conformément aux textes législatifs et réglementaires en vigueur».
J’aimerais apporter l’éclairage nécessaire en me basant sur mon expérience de ce secteur depuis 20 ans :
L’externalisation de services : Le terme de «offshoring» et de «zones franches» a été banni des textes officiels au Maroc, en raison de leur connotation négative.
Les plateformes industrielles intégrées : elles regroupent aussi bien les zones d’accélération industrielle de Tanger, Kénitra et Casablanca, mais également les 5 P2i : CasaNeareShore, Fès-shore, Technopolis, Oujda-Shore et Tétouan-shore. Cette appellation a été consacrée à ces 5 parcs par le Contrat de performance industriel signé le 05/05/2016. Le terme «industriel» est entendu ici dans le sens de process de traitements de services à grande échelle et de manière standardisée.
Les textes législatifs et réglementaires en vigueur: le dispositif fait référence au Plan émergence et à la circulaire du Premier ministre du 05/05/2016, qui définit 5 écosystèmes pour l’externalisation des services «ex-offshoring» :
1- CRC : centre de relations clients connu par «centre d’appels».
2- BPO : Business porocessing outsourcing, comptabilité, paie, traitement de données et de process intégrés depuis la prospection jusqu’à la fidélisation, en passant par la souscription et le SAV, traités au Maroc pour le compte de donneurs d’ordres étrangers.
3- ITO : Développement informatique pour le compte de clients étrangers.
4- ESO : Engineering Service Outsourcing : ingénierie, recherche et développement, génie civil.
5- KPO: Knowledge process outsourcing: étude de marché, Data-analytics, édition spécialisée, prestations juridiques.
À l’intérieur ou en dehors des plateformes industrielles intégrées : les sociétés qui opèrent dans les 5 écosystèmes ci-dessus bénéficient de l’exonération quinquennale, quelle que soit leur localisation, dans les P2i ou en dehors.
F.N.H. : Le Maroc craint-il d’être sanctionné par l’OCDE suite à ce revirement ?
A. A. : Pour moi, ce n’est pas un revirement majeur. Le Maroc ne reçoit pas de subventions européennes ou de l’OCDE pour accorder ces exonérations.
C’est le Maroc qui opère un sacrifice supporté par le contribuable en renonçant à appliquer l’IS aux sociétés exportatrices de services. Le pays vise, à travers cette mesure, à créer de l’emploi qualifié dans le domaine des nouvelles technologies et la collecte de devises.
Beaucoup d’emplois offerts par ces centres d’appels et ces centres de développement informatique sont originaires de l’Afrique subsaharienne.
Le Maroc contribue à fixer ses ressources et celles des pays africains sur son sol. Je pense que l’Europe nous est redevable et cet argument devra être mis sur la table dans le prochain round de négociations avec l’OCDE
Les professionnels veulent plus de clarté
La pression des pays membres de l’Union européenne a poussé le Maroc à opérer un réajustement fiscal des «zones franches» et «d’Offshoring». Cela dit, pour certains professionnels, le législateur n’a pas été clair sur la nouvelle réglementation fiscale relative à l’externalisation des services.
La conformité du régime fiscal du Maroc est devenue une nécessité face à la pression des pays de l’Union européenne (UE). Les facilités d’impositions accordées par le Royaume dans ce qu’on appelait anciennement les «zones franches» ou «d’Offshoring» lui ont valu d’être listé parmi les mauvais élèves en termes de transparence fiscale et de faire partie de la fameuse liste grise des paradis fiscaux.
Justement, le réajustement fiscal des zones franches ainsi que de Casablanca Finance City, a été l’un des grands débats lors des assises de la fiscalité de l’année 2019, et a par la suite fait l’objet de nouvelles mesures dans la Loi de Finances 2020.
Le législateur a d’ailleurs banni les mots «Offshoring» et «zones franches» en raison de leur connotation négative face aux soucis de conformité fiscale vis-à-vis de l’Europe, rappelle Arji Abdelaziz, expert-comptable, auditeur, commissaire aux comptes. Ils ont été respectivement remplacés par «externalisation de services» et «zones d’accélérations industrielles».
Zone d’ombre
En principe, les sociétés exportatrices de services (sous-traitantes) bénéficient au titre de l’IS de l’exonération durant une période de 5 ans, mais toutefois la circulaire publiée par le législateur ne permet pas, selon la majorité des experts, de distinguer le lieu de consommation bénéficiant de l’exonération.
Autrement dit, elle ne précise pas si le bénéfice concerné par l’exonération est relatif au chiffre d’affaires à l’export uniquement ou à celui réalisé au niveau local également. Même problématique pour les 20% d’IS applicables après les 5 années d’exonération, la plupart des experts se demandent s’ils concernent les prestations réalisées au Maroc uniquement, ou celles à l’étranger aussi. Affaire à suivre…