Face à la multiplication des catastrophes naturelles et au souvenir du séisme d’Al Haouz, le Maroc déploie de nouvelles plateformes d’urgence et renforce son fonds de solidarité. Mais la question de la suffisance de ces dispositifs reste entière.
Par Désy. M.
Deux ans après le séisme d’Al Haouz en septembre 2023, le Maroc ne veut plus se retrouver dans une situation de vulnérabilité face aux risques de catastrophes naturelles. Au-delà des reconstructions et de la prise en charge des sinistrés, le Royaume s’arme désormais de dispositifs préventifs et assurantiels pour renforcer sa résilience. En raison de l’aggravation du dérèglement climatique, les pays sont de plus en plus exposés aux catastrophes naturelles, notamment les séismes, les inondations, les glissements de terrain, etc. Au premier semestre 2025, celles-ci ont engendré des pertes économiques mondiales estimées à 135 milliards de dollars, dépassant largement la moyenne des dix et trente dernières années, selon la société de réassurance Swiss Re. Le Maroc n’a pas été épargné. Ce même semestre a été considéré comme l’un des plus coûteux en termes de catastrophes naturelles, confirmant la nécessité d’une réponse nationale structurée.
Sous l’impulsion royale, douze plateformes régionales d’urgence verront le jour, dont le lancement des travaux de celle de la région de Rabat-Salé-Kénitra a déjà été acté par le Roi Mohammed VI en mai dernier. Ce programme mobilise un investissement global de 7 milliards de dirhams, dont 2 milliards pour la construction et 5 pour l'acquisition des produits et autres équipements. Ces infrastructures disposeront de 36 entrepôts stockant des produits de première nécessité (tentes, hôpitaux de campagne, générateurs, eau potable, médicaments, etc.), répartis sur 240 hectares, dimensionnés selon la densité démographique et la typologie des risques propres à chaque territoire. Ces plateformes permettront de couvrir les besoins vitaux de 200.000 sinistrés et de garantir des réserves équivalentes à trois fois celles mobilisées après le séisme d’Al Haouz.
Un investissement important qui traduit une volonté d’institutionnaliser la solidarité et d’apporter un soutien structuré et normé aux populations sinistrées. Toutefois, des défis existent. Selon les experts, le Maroc accuse encore du retard sur les normes internationales en matière de stocks stratégiques, notamment pour le pétrole, le butane, le sucre ou les médicaments. Ils insistent aussi sur la nécessité d’une gouvernance efficace, pilotée par le ministère de l’Intérieur en collaboration étroite avec les collectivités locales, la santé, les forces armées et l’appareil sécuritaire afin d’éviter les chevauchements et d’assurer une coordination fluide. Et pour garantir cette fluidité, la numérisation des stocks et leur rotation régulière s’imposent comme conditions essentielles pour prévenir les pertes et optimiser l’investissement.
Parallèlement, sur l’aspect de la prise en charge assurantielle, le gouvernement a relevé la taxe de solidarité sur les contrats d’assurance de 1% à 1,5%, portant les ressources du Fonds de solidarité contre les événements catastrophiques (FSEC) à environ 450 millions de dirhams par an, contre 300 millions auparavant. Cette décision vise à renforcer les moyens financiers pour indemniser aussi bien les assurés que les victimes non couvertes, et à répondre aux sinistres dans un contexte de hausse mondiale des coûts de réassurance.
Cependant, même avec cette hausse, certains experts du secteur des assurances estiment que les ressources restent modestes au regard de l’ampleur potentielle des catastrophes. Un choc comparable à celui d’Al Haouz, qui avait causé des milliers de victimes et engendré plusieurs milliards de dirhams de pertes, dépasserait largement la capacité de financement annuelle du fonds. Celui-ci est davantage calibré pour prendre en charge des sinistres de faible ou moyenne envergure, ou encore des séries de micro-événements moins médiatisés mais fréquents à travers le pays.
Il est indéniable que les plateformes d’urgence et le renforcement du FSEC marquent une avancée dans la stratégie de résilience du Maroc. Néanmoins, ces dispositifs soulignent aussi des limites qu’il faudra repousser. Le Royaume progresse dans la bonne direction, mais il devra encore optimiser sa capacité de stockage aux normes internationales, diversifier ses mécanismes financiers et ancrer une culture de prévention pour ne pas voir ses efforts dilués par la gravité des crises futures. ◆