Quel Maroc de l’après-séisme ?

Quel Maroc de l’après-séisme ?

Dans le déroulé de la vie sociale des deux décennies écoulées figurent en bonne place de fortes séquences : les séismes d'Al Hoceima du 24 février 2004 et d’Al Haouz. Il faut y ajouter le mouvement social du 20 février 2011 qui a été jugulé avec une réponse institutionnelle et politique traduite par la nouvelle Constitution du 29 juillet 2011.

Avec courage et sagacité, SM le Roi a réussi à agréger et faire basculer les attentes et les aspirations de la communauté nationale vers un nouveau projet institutionnel, rassembleur et fédérateur. Et puis la pandémie Covid 19 : une grande épreuve nationale durant les années 2020-2021. La réponse de l'État a été rapide, puissante et multiforme. Saluée à l'international, elle a été l'expression d'une mobilisation exceptionnelle des possibilités d'action et d'organisation : contenir le fléau et réduire son impact et ses conséquences tant sur les plans sanitaire qu'économique et social.

Un immense défi

Les séismes d'Al Hoceima et d'Al Haouz relèvent, eux, d'une autre comptabilité : celle des catastrophes naturelles. A la date du mardi 19 septembre, le bilan est de quelque 3.000 morts et de près de 6.000 blessés, dont 1.105 dans un état grave. Quant au bilan social et économique, il est catastrophique, avec plus de 6.000 douars détruits et plus de 300.000 personnes sinistrées, dont 100.000 sont des enfants.  Le Maroc fait face à cette grande épreuve nationale. Le défi est immense. Le Souverain a pris en main les multiples chantiers à l'ordre du jour : des mesures d'urgence de secours; une feuille de route déclinée dans ses grandes lignes; et des prolongements programmatiques et sectoriels dans pratiquement tous les domaines. La visite royale au chevet des blessés à l'hôpital Ibn Sina de Marrakech a été un moment fort des derniers jours. Elle était l'expression renouvelée de son empathie, de sa sollicitude, aussi sa marque - le label de son règne...

Monde rural : un nouveau cahier de charges

Cela dit, comment préparer le Maroc de l'après-séisme ?  Par-delà la tragédie d'Al Haouz, force est de faire ce constat : le paradigme actuel applicable au monde rural n'est plus pertinent ni opératoire, tant s'en faut. L'on a tellement vanté dans un certain discours officiel le Plan Maroc Vert (PMV). Cette stratégie a donné des résultats et contribué à moderniser le secteur (moderne) de l'agriculture et les exportations. Mais qu'en est-il du secteur traditionnel, vivrier, de subsistance, gros employeur dans les campagnes ? La polarisation sociale et territoriale s'est accentuée : écart de niveau de vie, dans le secteur éducatif aussi, dans l’accès aux infrastructures et aux services essentiels ainsi que face aux risques sociaux (chômage, maladies, situation de handicap,...).

Le monde rural, il ne doit plus être confondu avec l'agricole; il importe en effet de considérer désormais les infrastructures et les différents services sociaux, économiques et environnementaux, comme des finalités en soi, mais autrement. Cela veut dire quoi ? Qu'ils sont des moyens mobilisés pour de nouvelles approches de développement, centrées sur l'humain, et plus globalement sur l'amélioration des conditions de travail et de vie des populations. C'est à cette aune-là qu'il faut retenir l'indicateur de réussite des programmes et des projets. Des approches et des démarches innovantes et participatives des acteurs sur le terrain sont ainsi à prioriser. La qualité du management des services publics est à améliorer; la coordination est à renforcer; les politiques sectorielles de l'efficience dans de nombreux domaines (santé, éducation, agriculture), sont à marquer du sceau de programmes d'infrastructures de base, de programmes de tourisme rural et d'artisanat. De la cohérence et de l'intégration : voilà un nouveau cahier de charges. Tout cela commande une mise à plat des dispositifs actuels relatifs au développement du monde rural. Un référentiel manque cependant à l'appel  : celui de l'adoption d'une loi-cadre. Le CESE l'a proposée dans ses recommandations dans un rapport de ... 2017 !

Plus encore : il doit se prolonger par un code rural. Les contrats-programmes État-régions sont à revoir sur la base de plans d'action affinés, en se déclinant jusqu'aux provinces et même aux communes rurales. Les statuts juridiques des terres doivent connaître une profonde réforme pour répondre au morcellement continu des terres, à l'urbanisation ainsi qu'aux mutations démographiques et sociales. Les centres ruraux sans plan d'aménagement sont à mettre à niveau. Au final, l'on ne peut plus continuer comme par le passé; il faut se mobiliser désormais par l'adoption d'une nouvelle gouvernance territoriale. Le séisme dans la province d'Al Haouz a été douloureux quant au grand déficit du développement durable dans les zones montagneuses. Celles-ci couvrent 300.000 ha - soit 42% du territoire national - où vivent 8 millions d'habitants dans plus de 700 communes; l'habitat y est fortement dispersé et en altitude - plus de 1.400 m pour un quart d'entre elles; les équipements en infrastructures y sont insuffisants -de l'ordre la moitié de la moyenne nationale-. Elles recèlent pourtant de grandes potentialités et des richesses comme les ressources hydriques (70% des ressources et 62% de la forêt). Mais leur contribution au PIB est très faible, avec seulement 5% et 10% de consommation. Enfin, elles restent fortement exposées aux catastrophes (le grand froid, les séismes et 66% des inondations dans le Royaume…).

Des acquis et des atouts, mais...

De grands dossiers et chantiers nationaux sont à revoir et à réarticuler avec ce séisme d'Al Haouz. Des acquis -qui sont autant d'atouts en même temps- sont là. L'exceptionnelle solidarité nationale en est la première illustration. Un grand potentiel qui n’est pas «dormant», mais seulement en veille : il est capable de se mobiliser dans des circonstances exceptionnelles jugées comme telles par la communauté nationale. Cet élan est général, il ne se mesure pas. Sur ces bases-là, les politiques publiques ne peuvent qu'être réévaluées dans les prochaines semaines, avec la PLF 2024 à corriger, et même pour ce qui est des perspectives des années suivantes. Le dialogue social est reporté. De nouvelles sources de financement sont à mobiliser. Le compte «126» a atteint 5,5 Mds de DH en une dizaine de jours seulement. D'autres concours et aides sont attendus. Pour autant, la priorité donnée à la reconstruction de la province d'Al Haouz ne doit pas minorer ni reporter les grandes réformes annoncées, ou en cours. Le rebond est nécessaire. Il ne saurait faire preuve d'évitement en entretenant un discours gouvernemental prompt à se défausser sur le «séisme» pour ne pas accélérer la cadence des réformes. Ce cabinet a-t-il la capacité de porter les contraintes qui pèsent sur lui, en l'occurrence sans perdre le cap, dans une vision renouvelée des politiques et stratégies à mettre en œuvre ? 

 

 

Par Mustapha Sehimi

Professeur de droit (UMVR) & Politologue

 

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