Entretien avec Michel Bouvier, professeur et président de Fondafip
Certains impôts ont été mis en place au début du siècle dernier, voire au 19ème siècle.
La nouvelle valeur économique de taille est liée au développement du numérique.
Propos recueillis Momar Diao
Finances News Hebdo : Pourquoi avez-vous choisi de mettre la fiscalité locale au coeur de la 13ème édition du Colloque international sur les finances publiques ?
Michel Bouvier : Les raisons qui légitiment quelque part l’organisation de la 13ème édition du Colloque international sur ce thème sont multiples. D’abord, il s’agit de conscientiser les contribuables aux enjeux de la fiscalité locale, notamment sur le plan économique.
Au Maroc, comme en France, l’on assiste à une forme de rejet de cette catégorie de fiscalité. Or, le sujet de la fiscalité locale met en perspective les investissements publics, indispensables à la réalité des infrastructures de la collectivité. Aujourd’hui, il faut savoir que des entités territoriales qui participent au développement local, voire national, sont des collectivités locales qui investissent dans des activités favorables à l’essor des entreprises, créatrices de richesse et d’emplois.
F.N.H. : En France, contrairement au Maroc, les collectivités territoriales réalisent près de 70% des investissements publics. Qu’est-ce qui a permis aux collectivités locales françaises de supplanter l’Etat en la matière ?
M. B. : En France, la décentralisation a été actée par le vote de deux lois en 1982 et 1983. Ces dispositions juridiques ont donné lieu aux transferts de compétences de l’Etat au profit des collectivités locales. C’est cette donne qui a ouvert la voie aux investissements massifs des entités territoriales en France. Concomitamment à cela, des efforts ont été déployés pour la formation des agents et des décideurs des entités territoriales, et ce dans l’optique de garantir l’efficacité des investissements publics. Un excellent système de formation des agents des collectivités locales a été mis en place.
D’ailleurs, dans les années 80, beaucoup de jeunes français se sont intéressés à la gestion et aux finances locales. Cet élan a engendré une transformation majeure au niveau de la gestion à l’échelle locale. Des méthodes utilisées par des entreprises, reconnues pour leur efficacité, ont été transposées et adaptées à la gestion territoriale. A ce titre, il y a lieu de citer la programmation des investissements des collectivités locales qui opèrent des choix. Aujourd’hui, en France, la politique d’investissement à l’échelle locale répond, entre autres, aux exigences de rationalité et d’efficacité.
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F.N.H. : Au Maroc, n’est-il pas temps pour l’Etat de partager avec les collectivités les bases d’imposition les plus rentables sur le plan financier, notamment au niveau de l’IS, l’IR et la TVA ?
M. B. : A mon sens, le véritable sujet est ailleurs. La vraie question à se poser est de savoir si les bases d’imposition les plus rentables aujourd’hui au Maroc ou en France le resteront demain. Rien n’est moins sûr, d’autant plus que celles-ci ont été mises en place à des moments bien précis, notamment au début du siècle dernier, voire au 19ème siècle pour certaines impositions. La situation économique et sociale à ces périodes n’est pas celle qui prévaut aujourd’hui. Pour preuve, l’on constate une baisse tendancielle des impôts dont vous faites mention, et ce dans le cadre d’une mondialisation et d’une numérisation des pratiques et des économies. L’évasion fiscale gagne du terrain.
A cela s’ajoute une nouvelle donne : le travail n’est plus forcément la valeur essentielle des sociétés modernes. La nouvelle valeur économique de taille est liée au développement du numérique. En définitive, il faut, d’une part, juguler la fraude fiscale et, d’autre part, penser une nouvelle fiscalité adaptée à la valeur économique actuelle.
Encadré : De nouveaux besoins de financement
«Les nouvelles vocations des collectivités locales au Maroc impliquent de nouveaux seuils de besoins de financement», a rappelé le wali Directeur général des collectivités locales, Khalid Safir, lors du Colloque international sur les finances publiques. Pour rappel, la réalisation des programmes de développement des régions au Maroc nécessitera un effort d’investissement de près de 411 Mds de DH, dont 120 Mds de DH sont à la charge des 12 entités régionales. Ces chiffres montrent l’impératif de revoir la fiscalité locale dans le cadre d’une réforme afin de permettre aux collectivités locales de relever les défis inhérents à l’investissement. L’autre enjeu sera également de fournir assez de ressources financières aux entités territoriales, sans trop augmenter la pression fiscale locale située autour de 2,5% du PIB.