Depuis plusieurs années, le Maroc amorce une transition vers un régime de change plus souple, permettant au Dirham d’évoluer progressivement sous l’effet de l’offre et de la demande. Les réformes engagées par Bank Al-Maghrib visent à préparer le marché et les entreprises à un avenir où la monnaie nationale ne sera plus sous contrôle direct.
Par Gh. Bennani
La libéralisation du régime de change suit une trajectoire réfléchie et progressive, orchestrée par Bank Al-Maghrib afin d’accompagner en douceur l’économie nationale vers une plus grande flexibilité monétaire. Ce processus, amorcé il y a plusieurs années, repose sur une succession d’étapes stratégiques visant à renforcer la résilience du marché des changes et à préparer les acteurs économiques aux défis d’un système où l’offre et la demande joueront un rôle central. Tout a commencé avec l’élargissement des bandes de fluctuation du Dirham, une réforme majeure introduite en 2018. Alors que le taux de change était jusqu’alors encadré dans une marge étroite de ±0,3%, celle-ci a été portée à ±2,5%, avant d’atteindre ±5% en 2020.
Cette évolution a permis au Dirham de mieux refléter les dynamiques du marché, tout en réduisant la nécessité d’interventions directes de la Banque centrale. En rendant le taux de change plus flexible, le Maroc s’est donné les moyens d’absorber plus efficacement les chocs externes, qu’il s’agisse de fluctuations des cours du pétrole, de turbulences financières internationales ou de variations des échanges commerciaux. Dans cette logique d’assouplissement, la mise en place d’un marché interbancaire de change a constitué une avancée déterminante.
Ce dispositif a donné aux banques un rôle central dans la formation du taux de change, qui est désormais influencé par l’offre et la demande plutôt que fixé exclusivement par l’autorité monétaire. En dynamisant les échanges de devises, cette réforme a contribué à renforcer la liquidité du marché et à habituer les acteurs économiques à gérer un environnement plus volatil.
Désormais, les entreprises peuvent ajuster leurs positions en devises de manière plus fluide, tandis que Bank Al-Maghrib limite son intervention aux cas de déséquilibres excessifs. Le processus s’est encore accéléré avec la création, en février 2025, d’un marché à terme de change. Cette nouvelle infrastructure vise à offrir aux entreprises et aux investisseurs un outil essentiel pour se prémunir contre le risque de change.
Grâce à ce mécanisme, il est désormais possible de fixer à l’avance un taux de change pour une transaction future, réduisant ainsi l’incertitude liée aux variations du Dirham. Pour les importateurs et exportateurs, cette innovation représente une avancée majeure, leur permettant d’anticiper leurs coûts et de sécuriser leurs marges face aux aléas du marché. Parallèlement, la stabilité accrue qu’offre un tel marché favorise l’attractivité du Maroc aux yeux des investisseurs internationaux, qui disposent d’une visibilité renforcée sur l’évolution des cours.
Impact visible
Les chiffres récents de Bank Al-Maghrib confirment l’impact de ces réformes. Au premier trimestre 2025, le montant mensuel moyen des échanges de devises contre dirhams sur le marché interbancaire a reculé de 37,7% en glissement annuel, atteignant 42,3 milliards de dirhams. En parallèle, la valeur du Dirham a connu une appréciation de 1,39% vis-à-vis de l’Euro et une dépréciation de 1,49% face au Dollar américain, reflétant les ajustements en cours sur le marché des changes.
Si ces réformes successives témoignent d’une volonté claire d’aller vers un régime de change plus flexible, la libéralisation totale du Dirham ne saurait être précipitée. Une transition trop rapide exposerait l’économie à des risques de volatilité excessive, susceptibles d’engendrer une inflation importée ou des sorties de capitaux incontrôlées. Bank Al-Maghrib adopte ainsi une approche prudente, veillant à ce que chaque avancée soit assimilée par les opérateurs avant d’engager une nouvelle étape.
À terme, lorsque le marché des changes sera suffisamment mature et que les acteurs économiques auront acquis l’expérience nécessaire, le Maroc pourra envisager un passage vers un régime de change totalement flexible. Cette transformation, qui s’inscrit dans une dynamique d’intégration accrue à l’économie mondiale, permettra au Dirham d’évoluer librement en fonction des forces du marché. Toutefois, avant d’atteindre ce stade ultime, il reste encore du chemin à parcourir, avec pour priorité la consolidation des mécanismes récemment mis en place et l’accompagnement des entreprises dans cette mutation stratégique.