Avec la fin de ce premier trimestre, comment se présente la conjoncture de cette année ? Certains clignotants sont préoccupants. Mais par-delà les chiffres qui en témoignent, n'est-ce pas l'état d'esprit des ménages qui retient surtout l'intérêt. Avec le mois du Ramadan qui commence, il faut faire ce premier constat : l'inflation est au centre des préoccupations. Des produits de grande consommation enregistrent une forte hausse - les tomates qui rebondissent à 12 DH, les oignons à 15 DH... C'est cela le quotidien ! Il faut être juste : bien des mesures anti-inflation ont été prises par le cabinet actuel, déclinées autour d'aides et de subventions aux transporteurs, au tourisme et à d'autres encore.
Mais sont-elles suffisantes ? En tout cas, le citoyen, lui, se voit confronté à une sensible et progressive détérioration de son pouvoir d'achat. Et le discours gouvernemental lui passe pratiquement au-dessus de la tête : il n'imprime pas. Les faits cumulatifs depuis trois ans à l'international n'ont pas aidé l'équipe Akhannouch : tant s'en faut. Ils sont connus : pandémie Covid-19 (2020- 2021), conflit Ukraine-Russie et son impact sur les prix des matières premières et des coûts logistiques, etc. Le gouvernement n'a pas anticipé cette situation. Pas davantage, il n'a pas pu prévoir une forte reprise de la demande par rapport à l'offre, un facteur inflationniste.
Politique monétaire et stagflation
Il faut y ajouter bien des interrogations quant à la politique monétaire. La Banque centrale a augmenté son taux directeur de 50 points de base pour se situer à 2,5%. Ce mardi, le Conseil de Bank Al- Maghrib s'est réuni et a décidé du resserrement avec un nouveau taux de 3% du crédit. Les termes de cette équation sont les suivants : prévenir tout désencrage des anticipations d'inflation, favoriser le retour de l’inflation à des taux en ligne avec l'objectif de stabilité des prix et favoriser la croissance. D'une autre manière, comment contenir la hausse des prix et maîtriser la demande globale dans ses deux composantes que sont l'investissement et la consommation ? La stagflation priorisant la lutte contre l'inflation estelle opportune et tenable ?
Le gouvernement doit faire face à toutes ces contraintes qui ne pouvaient être inscrites dans son programme d'investiture d'octobre 2021. D'une crise à l'autre, il a été bousculé avec quelque dix huit mois passablement heurtés en interne et à l'international. L'inflation va certainement durer. Le Maroc importe 50% de ses besoins alimentaires - des secteurs inflationnistes avec les effets des intrants sur la production nationale. En même temps, il lui fallait actualiser et mettre en avant les réformes annoncées englobant la santé, l'éducation et l'investissement. Pour les deux premiers secteurs, la charge budgétaire est importante; s'y ajoute celle de la protection sociale.
Pour ce qui est de l'investissement, une Charte portant loicadre a été finalement adoptée et enregistre la publication de ses premiers textes règlementaires. Les CRI ont été restructurés et placés sous la tutelle non plus du département de l'Intérieur, mais de celui de l'Investissement. Tout paraît se passer - enfin !... - comme si ce cabinet entendait désormais travailler sur le moyen terme. A preuve, encore, la convention-cadre sur le tourisme de plus de 6 milliards de DH pour la période 2023-2027. Ce faisant, des arbitrages sont à faire compte tenu des fortes contraintes budgétaires obligataires.
Equation politique
La sortie sur le marché international a été un succès avec un emprunt de 2,5 milliards de dollars, en deux tranches égales entre 5 et 10 ans, à un taux de 6%- la France emprunte à 2,8% et l'Allemagne à 2,2%... Pour 2023, il faut rappeler que le gouvernement devra emprunter 130 milliards de DH (MMDH) contre 105 en 2022 pour le financement du Trésor, plus de 69 MMDH en interne et 60 MMDH en externe. Dans ce même registre, il faut mentionner la ligne de crédit modulable de 5 MM$ sur deux ans accordée par le FMI, voici deux semaines. Le marché financier international a continué à exprimer sa confiance dans l'économie du Royaume : gestion des grands équilibres, rigueur des finances publiques, opportunités de croissance et résilience,...
Enfin, le Maroc est sorti de la «liste grise» du GAFI : un bon signe. Reste l'équation politique actuelle : la capacité du cabinet à entreprendre les grandes réformes encore en instance (fiscalité, lutte contre la corruption, économie de rente,...). Le Pacte national devant prolonger le nouveau modèle de développement (NMD) n'est pas d'actualité, deux ans après. Le Pacte social est laborieux et pas vraiment en bonne voie. Et bien des voix s'interrogent sur le volontarisme des politiques publiques à entreprendre et à finaliser les réformes, même à marche forcée. Une gouvernance sans doute différente s’impose à l’évidence : elle seule peut entraîner l'adhésion. Et le soutien.
Par Mustapha SEHIMI Professeur de droit (UM5, Rabat) - Politologue