Plus qu’une année et l'industrie marocaine devra s’adapter au Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) de l’Union européenne. Entre défis énergétiques et investissements massifs, le Maroc se prépare à une transformation industrielle sans précédent.
Par Désy M.
À l'approche de l'entrée en vigueur, en 2026, du Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) de l'Union européenne, le Maroc se trouve à un carrefour stratégique. Cette taxe carbone sur les importations européennes impose aux industries marocaines une transition énergétique et écologique sans précédent. Si elle représente une contrainte, elle constitue aussi une opportunité pour moderniser l’industrie nationale et consolider la place du Royaume sur le marché européen.
Ali Amrani, expert en énergies renouvelables et décarbonation et auteur de plusieurs études sur le sujet, alerte sur l’ampleur du défi: «Le Maroc risque de voir ses exportations industrielles taxées à hauteur de plus d’un milliard de dollars par an si aucune transition n’est amorcée. Cela affectera non seulement la compétitivité des entreprises, mais aussi la dynamique d’exportation vers notre premier partenaire commercial, l’Union européenne».
Une dépendance énergétique à repenser
Le mix énergétique marocain, dominé à 37% par le charbon en 2023, expose les secteurs industriels nationaux à des taxes carbone élevées. L’Union européenne absorbe plus de 60% des exportations marocaines, notamment dans l’automobile, les phosphates, le ciment, l’aluminium et l’électricité. Or, sans une transition énergétique adéquate, ces secteurs risquent de subir une perte de compétitivité qui pourrait ralentir la croissance du tissu industriel. Certains secteurs sont particulièrement sous pression.
Les phosphates et engrais, dominés par le Groupe OCP, constituent l’exportation marocaine la plus exposée au MACF, avec une facture carbone estimée à 425 millions de dollars par an en l’absence d’adaptation. La conversion à l’ammoniac vert, produit à partir d’hydrogène renouvelable, est une piste sérieusement envisagée. Dans le ciment et la construction, l’adoption de biomasse et de technologies de capture du carbone devient une nécessité pour éviter une augmentation des coûts.
L’acier et l’aluminium devront accélérer l’électrification des procédés de production et recourir davantage aux énergies renouvelables. Dans ce sens, Sonasid, acteur principal dans ce domaine, œuvre pour cette transition en utilisant 85% d’énergie verte pour produire son acier. Quant au secteur automobile, bien qu’il ne soit pas directement concerné dans la première phase du MACF, il pourrait être impacté à moyen terme par l’augmentation des coûts des intrants comme l’acier et l’aluminium.
Une stratégie nationale pour anticiper le choc de 2026
Face à cette menace économique, le Maroc s’est engagé dans une transition énergétique ambitieuse. L’objectif est double : réduire les émissions domestiques tout en maintenant la compétitivité des exportations vers l’Europe. L’enjeu est de faire de cette contrainte une opportunité de repositionnement stratégique. Selon notre expert, la décarbonation du mix électrique est au cœur de cette stratégie.
Le Royaume vise 52% d’énergies renouvelables d’ici 2030 et 70% en 2040. Cela implique une augmentation annuelle de 1.500 MW de nouvelles capacités solaires, éoliennes et hydrauliques, ainsi que le développement de solutions de stockage d’énergie et le renforcement des interconnexions électriques avec l’Europe. La modernisation industrielle est également en marche. L’OCP prévoit 13 milliards de dollars d’investissements dans l’hydrogène vert, tandis que d’autres investissements importants sont également envisagés dans les secteurs de la cimenterie pour encourager l’utilisation de combustibles alternatifs et dans l’acier pour l’électrification et le recyclage.
En parallèle, la création d’un marché carbone national est envisagée d’ici janvier 2026 afin d’aligner la régulation marocaine avec celle de l’UE et d’alléger l’impact fiscal du MACF. Cependant, pour appuyer ces investissements, des infrastructures industrielles et énergétiques doivent être mises en place pour assurer la conformité à cette taxe de l’UE. Une exigence fondamentale de ce mécanisme est la capacité à mesurer et déclarer les émissions par produit.
«Il est impératif de doter le Maroc d'un système MRV (Monitoring, Reporting, Verification) industriel robuste d'ici fin 2025, pour le tester en début 2026 en phase transitoire», affirme Ali Amrani. Il insiste aussi sur le rôle central de l’infrastructure énergétique dans la décarbonation. En effet, pour réduire le contenu carbone des exportations, il faut verdir l'électricité et la chaleur utilisées par l'industrie. Les industries lourdes marocaines doivent investir dans les meilleures technologies disponibles pour réduire leur intensité carbone.
Amrani souligne également l’importance d’investir dans un transport décarboné, car une partie de l'empreinte carbone des exportations vient du transport, notamment l’acheminement des produits vers les ports. Enfin, il plaide pour un cadre institutionnel renforcé afin de piloter cette transition. «Il s'agit de coordonner efficacement les ministères concernés – Industrie, Énergie, Environnement, Finances – via une taskforce ‘CBAM 2026’ rattachée au chef du gouvernement», suggère-t-il.
Un besoin de financement colossal
Si le coût de l’inaction est estimé à plus d’un milliard de dollars annuels en taxes MACF, les investissements nécessaires pour la transition restent considérables. Pour notre expert, leur financement repose sur plusieurs sources : émissions d’obligations vertes à hauteur de 2,5 milliards de dollars, soutien financier de la Banque européenne d’investissement et de la Banque mondiale avec 3 milliards de dollars, investissements privés de 4 à 5 milliards de dollars et subventions climatiques européennes évaluées à 1,5 milliard de dollars.
«Les projections indiquent que ces efforts pourraient permettre d’économiser jusqu’à 15 milliards de dollars en taxes MACF évitées d’ici 2030, tout en stimulant la création de 300.000 emplois verts et une croissance annuelle du PIB de 3%», conclut Amrani. En anticipant les exigences du MACF, le Maroc pourrait transformer ce défi en une opportunité stratégique. Cette transition énergétique et écologique, bien que coûteuse, est essentielle pour assurer la pérennité et la croissance des industries marocaines face aux nouvelles exigences du marché européen.