Avec le MACF, les PME marocaines font face à une montagne d’incertitudes : manque de moyens financiers et humains spécifiques, complexité techniques et accès limité à l’information. Malgré les efforts entrepris en interne, le CESE tire encore la sonnette d’alarme à 2 mois de l’échéance.
Par Désy M.
Alors que les grands groupes industriels marocains affûtent leurs stratégies bas carbone pour répondre au nouveau Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) de l'UE, le tissu des petites et moyennes entreprises (PME), véritable colonne vertébrale de l'économie nationale, se retrouve face à une montagne d'incertitudes. Manque de moyens, complexité technique et accès limité à l'information fiable placent ces acteurs essentiels dans une course contre la montre dont l'issue est incertaine.
À partir de janvier 2026, l'Union européenne appliquera un coût carbone, évalué entre 60 et 100 euros la tonne, sur certaines importations (fer, acier, ciment, engrais, etc.) pour protéger son industrie de la concurrence de pays aux normes environnementales moins strictes. Si l'impact à court terme sur les exportations marocaines semble limité, ne concernant que 3,7% des flux vers l'UE, l'élargissement futur du mécanisme à d'autres secteurs et aux émissions indirectes menace directement une part bien plus large de l’industrie.
Cette extension pourrait toucher des secteurs stratégiques pour le Maroc, tels que l'automobile ou l'aéronautique, via le coût de l'acier ou de l'aluminium qu'ils utilisent. De plus, cette tendance à la tarification carbone se mondialise. D'autres partenaires commerciaux du Maroc pourraient emboîter le pas à l'UE, faisant de la décarbonation non plus une option, mais une condition sine qua non pour l'accès aux marchés internationaux.
Un parcours pour les PME
Le défi est donc immense, et il est surtout asymétrique. Tandis que des géants comme l'OCP, exportateur d’engrais azotés et principal concerné par cette première phase d’imposition de la taxe, disposent de ressources colossales pour investir dans les énergies renouvelables et calculer leurs émissions selon les normes européennes les plus pointues, la réalité est tout autre pour la majorité des entreprises.
D'après les auditions menées par le Conseil économique, social et environnemental (CESE), les PME marocaines font face à des défis majeurs qui pourraient compromettre leur accès au marché européen. Le premier obstacle est humain. Le calcul précis des émissions de gaz à effet de serre (GES) est un exercice technique complexe qui nécessite des compétences rares. Les industriels auditionnés par le CESE soulignent unanimement une «pénurie de ressources humaines formées et qualifiées» pour réaliser ces bilans carbone conformément aux standards européens.
Sans données précises, les exportateurs se voient appliquer des valeurs carbone par défaut, généralement très élevées, qui pénalisent leur compétitivité. Le deuxième obstacle est financier. La mise en conformité au MACF implique des investissements coûteux : réalisation des bilans carbone, adaptation de l'outil industriel, transition vers les énergies renouvelables, ou encore adoption de technologies de recyclage.
Pour de nombreuses PME, ces coûts représentent un défi majeur qui impacte directement leurs marges et leur capacité à se maintenir sur le marché. Enfin, l'accès à une information fiable, standardisée et actualisée reste un problème crucial pour les PME, qui peinent à suivre les évolutions constantes et la complexité d'un mécanisme dont la législation finale n'est pas encore totalement arrêtée.
L'UE assouplit pour ses PME, quid des nôtres ?
Ironiquement, l'Union européenne a elle-même reconnu la charge administrative que représente le MACF pour les plus petites structures. Durant la phase transitoire, Bruxelles a acté plusieurs améliorations pour ses propres importateurs. La plus significative est l'introduction d'un seuil d'exemption annuel de 50 tonnes de CO2, une mesure qui dispense plus de 90% des petits importateurs européens. De plus, les obligations financières ont été allégées (le stock de certificats à détenir a été réduit de 80% à 50%) pour éviter des achats excessifs.
Ce pragmatisme européen contraste avec la situation subie par les PME marocaines exportatrices. Celles-ci ne bénéficient d'aucun seuil de tolérance et doivent se conformer intégralement à la règle, peu importe leur taille ou leur volume d'exportation. Elles doivent également faire valider leurs déclarations par des vérificateurs européens accrédités, ajoutant des coûts et une dépendance technique.
La taxe carbone marocaine : une bouée de sauvetage ?
Face à cette réalité, le Maroc n'est pas resté inactif. Le pays s'appuie sur sa Stratégie nationale bas carbone (SNBC) qui vise la neutralité carbone d'ici 2050. Des programmes de soutien aux PME industrielles, comme «Tatwir économie verte», ont été lancés, et des feuilles de route sectorielles sont en cours d'élaboration pour le ciment ou l'acier. Toutefois, leur déploiement et leur accessibilité face à l’urgence du calendrier de 2026 posent question. Ainsi, le CESE statue sur l’instauration d’une taxe carbone nationale comme solution viable pour faire face à la problématique d’investissements pour les PME. L'objectif est double.
D'abord, stratégique : en faisant payer un prix carbone localement, les entreprises marocaines pourraient déduire ce montant du MACF, évitant ainsi un transfert de capitaux vers l'Europe. Ensuite, et c'est là le point crucial pour l'avenir des PME : il s'agit de l'affectation des recettes. Avec des prévisions estimées entre 2,7 et 3 milliards de dirhams par an, le CESE recommande d'affecter au minimum une partie de cette manne financière à la création d'un fonds dédié au soutien et à l'accompagnement des PME dans leurs investissements de décarbonation.
Cette taxe, pensée pour être appliquée de manière progressive, en commençant par les secteurs les plus organisés comme le ciment, pourrait ainsi se transformer en un levier majeur pour financer la transition des plus fragiles et garantir leur maintien sur le marché européen. Le CESE conclut que sans une approche coordonnée, rapide et un soutien ciblé, le MACF risque de se transformer en une barrière infranchissable pour une grande partie de notre tissu industriel, les laissant sur le bas-côté de la transition écologique.