Le littoral marocain n’est pas seulement une ligne sur la carte, c’est une interface vitale entre économie, écologie, culture et justice sociale. Et l’appel royal pour en faire un pilier du développement régional exige une vision à la fois ambitieuse, inclusive et durable.
Par Désy M.
Dans son discours d’ouverture de la première session parlementaire de la cinquième année législative de la onzième législature, le Roi Mohammed VI a appelé les parties prenantes à «mener avec sérieux l’opérationnalisation optimale des leviers de développement durable du littoral national, y compris la loi relative au littoral et le Plan national du littoral.
Le but est de contribuer à assurer l’équilibre nécessaire entre le développement accéléré de ces espaces et les exigences de leur protection et de mise en valeur de leurs grands atouts, dans le cadre d’une économie maritime nationale, génératrice de richesse et d’emplois».
Une vision qui oriente les actions à entreprendre sur ce littoral marocain qui s’étire sur plus de 3.500 kilomètres de côtes, et dont 85% de l’activité économique nationale dépendent directement ou indirectement de la mer. La trajectoire est donc tracée. Il ne s’agit plus de développer le littoral selon une logique d’exploitation, mais de le gérer selon une approche intégrée, durable et résiliente.
Le professeur Mohammed Boiti, spécialiste des questions environnementales, le rappelle avec une formule qui résume à elle seule l’enjeu du moment : «le littoral marocain n’est pas qu’une ressource à exploiter, c’est un bien commun à régénérer. Car la façade maritime du Royaume n’est plus seulement un espace géographique; elle est devenue une ligne de front où se déploient à la fois les promesses du développement et les menaces du changement climatique», affirmet-il.
En effet, l’érosion gagne du terrain chaque année, pouvant atteindre 1,5 mètre dans certaines zones. La mer avance, poussée par une montée des eaux évaluée à 3,2 mm par an, tandis que la pollution plastique et les rejets d’eaux usées, dont une partie reste encore non traitée, altèrent les écosystèmes marins. À ces pressions s’ajoute une urbanisation côtière qui, par endroits, a évolué sans cadre cohérent, laissant proliférer les constructions anarchiques, les projets immobiliers envahissants et la bétonisation de zones écologiquement sensibles. Dans cette optique, une application stricte de la réglementation est de mise pour réussir à concilier ces deux pôles (économie et durabilité).
La loi 81-12 sur le littoral, adoptée en 2015, constitue le cadre législatif de référence pour traduire cette vision en actions concrètes. Elle vise à encadrer l’urbanisation, protéger les écosystèmes côtiers et préserver le domaine public maritime. De l’autre côté, le Plan national du littoral, en cours de déploiement, cherche à concilier développement économique et préservation environnementale à travers des programmes régionaux d’aménagement, de gestion des ressources naturelles et de valorisation des zones côtières. Les collectivités territoriales et les agences publiques sont donc appelées à renforcer leur coordination, tandis que les partenariats public-privé doivent intégrer des critères de durabilité dans les projets portuaires, industriels et touristiques.
Dans le respect des 17 objectifs de développement durable que le Maroc s’évertue à appliquer dans divers secteurs d’activités tant au niveau national que régional, la prise en compte des populations concernées par les activités du littoral est une condition sine qua none pour une meilleure gouvernance et pour garantir une justice sociale. «Car une économie bleue réellement durable ne peut être construite ni sur des écosystèmes affaiblis ni sans les populations qui vivent au rythme de la mer. Aucun projet ne peut réussir s’il marginalise les pêcheurs, les femmes rurales ou les artisans qui vivent sur les côtes depuis des générations», insiste Boiti, rappelant que les modèles les plus pérennes sont souvent ceux qui associent modernité et savoir-faire ancestral.
Des cas d’école à perpétrer
Au Maroc, quelques lieux donnent déjà un aperçu de ce que pourrait devenir une économie littorale inclusive. À Tafedna, près d’Essaouira, un village de pêcheurs et d'agriculteurs a misé sur un tourisme communautaire et écoresponsable où les habitants sont actionnaires des infrastructures locales.
L’énergie solaire, la gestion partagée des revenus et la valorisation des produits du littoral offrent un contraste frappant avec les approches descendantes qui ont longtemps dominé l’aménagement côtier. Toutefois, cette vision ne pourra se généraliser sans une réforme profonde de la gouvernance maritime.
Boiti pointe un problème structurel. Plus d’une quinzaine d’institutions interviennent aujourd’hui sur le littoral, créant des décisions fragmentées, parfois incompatibles. Cette dispersion rend difficile toute planification durable et ouvre la voie à des arbitrages locaux souvent influencés par la pression foncière. Le professeur plaide ainsi pour un pilotage unifié et transparent, capable d’articuler les impératifs environnementaux, les nécessités économiques et les réalités sociales. «Un littoral bien gouverné, c’est un littoral qui profite équitablement aux régions, pas seulement aux investisseurs», note-t-il.
L’enjeu est désormais de construire un modèle où l’économie bleue ne soit ni un slogan ni une simple extension de l’économie classique vers la mer. Le Maroc dispose des ingrédients essentiels, à savoir des ressources naturelles, une stratégie nationale de développement durable, des acteurs privés en transition, et surtout une vision politique affirmée. Mais la réussite dépendra de la capacité à associer toutes les parties prenantes, des élus aux chercheurs, des investisseurs aux habitants des villages côtiers.
Dans un Maroc qui regarde vers la mer comme vers un horizon de développement, trois piliers sont indissociables : l’écologie, l’équité et l’économie. Boiti résume d’ailleurs cette équation avec une lucidité qui sonne comme un avertissement : «si l’un manque, le littoral s’effondre». Cette assertion pourrait bien devenir la feuille de route des prochaines années.