Gouvernement - Parlement : saison 2

Gouvernement - Parlement : saison 2

Par Mustapha SEHIMI Professeur de droit, Politologue

Avec l'ouverture de la session de printemps du Parlement, le vendredi 8 avril courant, peut-on escompter une activation de la vie politique ? En tout cas, le gouvernement paraît s'y atteler. A preuve, la réunion de la majorité provoquée par le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, président du RNI, avec ses deux alliés, Nizar Baraka (parti de l'Istiqlal) et Abdellatif Ouahbi (PAM). Elle s'est tenue d’ailleurs ce même jour au siège du parti du tracteur. Pourquoi les locaux de cette formation ? Personne n'en sait rien... Il a été précisé que c'était là un agenda mensuel - la précédente avait eu lieu le 22 février dernier... Quoi de neuf à l'issue de cette rencontre ?

D'abord, une certaine continuité dans la communication, puisque les trois dirigeants se sont strictement limités à une prise de parole sans se prêter à ce que l'on appelle le jeu des questions de la presse et à des réponses. Il semble bien que c’est le chef de l'exécutif qui se cramponne obstinément à cette «règle». Il l'avait d'ailleurs imposée au cours de la campagne électorale... Une approche discutable, sujette à caution : dans de telles conditions, à quoi bon parler de conférence de presse, avec des dizaines de journalistes présents ? Le plus simple n'estce pas d'adresser à la MAP les textes des déclarations.

 

Pas de «baguette magique»

Cela dit, rien de nouveau non plus pour ce qui a été dit à cette occasion. Aziz Akhannouch a réitéré ce qu'il avait déclaré auparavant, en maintes circonstances : «Rien ne peut impacter l'effort de réalisation du programme gouvernemental». Quel a été son argumentaire ? Que les fortes contraintes actuelles pesant sur le Maroc sont surtout exogènes : sécheresse, flambée des produits de base, rupture et/ou perturbation des chaînes d'approvisionnement, impact de la pandémie Covid -19 et, depuis la fin février, le conflit Ukraine-Russie. Pas de quoi conforter la relance économique qui était pourtant tellement priorisée dans le discours gouvernemental, tant dans la Loi de Finances 2022 que dans le programme gouvernemental d'investiture du 13 octobre dernier. Ce qui a été mis en relief intéresse surtout en effet ce qu'a fait - ou compte entreprendre - ce cabinet.

Référence a été faite à plusieurs secteurs : subvention des produits de première nécessité (sucre, gaz butane, farine, blé tendre, eau et électricité); soutien du monde rural et subventions; approvisionnement en eau potable des villes et des zones rurales; mise en œuvre du chantier de protection sociale; constitution d'un stock stratégique de produits essentiels; soutien à des secteurs sinistrés comme le tourisme et les transports. Mais, comme pour se dédouaner, le chef de l'exécutif a précisé que «le gouvernement n'a pas la baguette magique pour résoudre tous les problèmes».

Qui a dit le contraire ? Tout imputer globalement à des facteurs exogènes ne doit pas minorer ni évacuer la part qui revient à ce gouvernement. Six mois après son installation, force est de faire ce constat : le nouveau cabinet va-t-il arriver à imprimer une dynamique à l'action gouvernementale et à sa cadence ? Les semaines et les mois à venir vont être décisifs à cet égard. Nizar Baraka, dirigeant du parti de l'Istiqlal, a également fait part de la détermination du gouvernement «à travailler pour atténuer l'impact de cette conjoncture sur les citoyens et les entreprises». Il a ajouté que les investissements publics prévus, de l'ordre de 245 milliards de DH, seront maintenus; et que le souci est aussi de «servir les citoyens, notamment la classe moyenne et les catégories à faible revenu». De même, Abdellatif Ouahbi (PAM) a confirmé la «décision du cabinet de relever un grand défi : transformer cette crise internationale en opportunité pour développer notre économie...».

 

Des textes et des réformes en instance

Un discours globalement lénifiant que celui de cette majorité. Des textes et des réformes importants sont pourtant encore en instance: la charte de l'investissement, la réforme fiscale, le code pénal et le code de procédure pénale, le projet de loi sur l'inconstitutionnalité consacré par la Constitution de 2011, la fiscalité. Il faut y ajouter d'autres  : une nouvelle politique des revenus et la refonte du statut de la fonction publique dans une perspective d'une plus grande mobilité et d'une meilleure prise en compte des compétences. Il faudra bien se pencher sur les dépenses de fonctionnement de 241 MMDH (+7%), pratiquement du même montant que celles de l'investissement dans le budget général de l'Etat, dont 147 MMDH pour le personnel ! Ce modèle qui voit ces dépenses consommer 48% du budget général est-il viable ?

Où en est le bilan du Plan national de la réforme administrative (PNRA), avec ses objectifs d'implémentation de transformations structurelles d'ordre organisationnel, managérial, numérique et éthique? Et l’Agence de développement du digital (ADD) ? Que fait-on pour le dégraissage du «mammouth» de la fonction publique qui compte 570.000 fonctionnaires civils. Sans parler des dizaines de milliers de fonctionnaires des collectivités locales. Une charge de plus de 12% du PIB… Mention doit aussi être faite au projet de loi sur l'institution du registre national agricole (RNA), qui va octroyer un identifiant numérique à chaque exploitation et qui va favoriser l'inclusion économique et l'éligibilité à l'investissement.

Et puis, dans les chaînes de production, que fera-t-on des deux textes relatifs au Conseil de la concurrence renforçant les attributions de cette institution, en particulier pour ce qui est des conflits d'intérêts. L'on ne peut passer sous silence ce paradoxe : non seulement des dizaines de projets de textes législatifs sont encore dans le circuit, mais il en est d'autres qui ont été retirés sans autre forme de procès à la fin du mois de mars dernier par le gouvernement. Juridiquement, cette procédure est sans doute conforme à la Constitution (article 78) et aux règlements intérieurs de chacune des deux Chambres du Parlement - respectivement les articles 197 pour celle des Représentants, et 196 pour celle des Conseillers. Mais, en l'espèce, ce sont deux projets de loi particuliers qui ont été déprogrammés sans aucune explication du gouvernement.

Le premier a trait à la criminalisation de l'enrichissement illicite; le second, lui, regarde l'occupation temporaire du domaine public. L'opposition, à bon droit, n'a pas manqué de critiquer cet acte  ; elle l’a même qualifié «d'indice de normalisation de la corruption et de protection de la rente et des privilèges...». Un mauvais signe émis par ce cabinet quant à son discours de moralisation de la vie publique. Lors de la présente session de printemps, le gouvernement aura-t-il à cœur d'aller plus vite et de prendre en charge, fût-ce à marche forcée, le dépôt de tant de textes ? Diplomatie parlementaire à la traîne S'agissant de la place et du rôle des députés à l'international, verra-t-on une mobilisation ?

Le président de la Chambre des représentants, Rachid Talbi Alami, a pris la semaine dernière à Strasbourg, la présidence de l'Assemblée parlementaire de l'UPM (Union pour la Méditerranée). Ses prédécesseurs au perchoir de cette même Chambre s'étaient particulièrement distingués par une diplomatie parlementaire active (Abdelouahed Radi, Habib El Malki). Des présidents de la commission des Affaires étrangères – notamment Khalid Alioua et Mohamed Mehdi Bensaid - avaient su nouer des réseaux. Il importe que dans cette même ligne, les dizaines de comités mixtes du Maroc avec des collègues à l'étranger se remobilisent.

Il s'agit d'accompagner la diplomatie marocaine et de la soutenir, étant entendu qu'elle doit être reconnue comme un élément intégral de la politique extérieure. Groupes d'amitié, comités mixtes ou autres formules: ils ont pour activité des missions, des colloques, l'entretien et le renforcement d'un réseau d'influence ainsi que l'interaction entre des personnalités et des groupes. Pour l'heure, sont-ils à la hauteur des exigences d'une diplomatie parlementaire encore à la traîne  ? Elle doit en effet se mobiliser davantage – et avec «activisme» - autour de la cause nationale du Sahara marocain. Cela ne peut que consolider la crédibilité et même la légitimité de l'institution parlementaire, tant au regard des citoyens qu'à l'international. 

 

 

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