Aussi parfaite que puisse être la LF 2023, le réel, celui des contraintes et variables exogènes à l’échelle mondiale, peut aisément la saboter.
Dans son célèbre ouvrage «La formation de l’esprit scientifique», le philosophe et poète, Gaston Bachelard, disait que «le réel n'est jamais ce qu'on pourrait croire, mais il est toujours ce qu'on aurait dû penser». Le constat après coup de l’écart entre nos projections et la réalisation du réel donne souvent lieu à une forme de «repentir intellectuel», ou politico-économique en ce qui nous concerne, car c’est du Projet de Loi de Finances 2023 dont il sera ici question.
Mais il nous semble tout d’abord utile de définir quels sont les objectifs d’une Loi de Finances (LF), à l’aune de quoi, nous jugerons de la pertinence de celle pour l’année 2023.
Tel qu’indiqué par la loi organique n°130-13 dans son article 1, «la Loi de Finances détermine, pour chaque année budgétaire, la nature, le montant et l’affectation de l’ensemble des ressources et des charges de l’Etat, ainsi que l’équilibre budgétaire et financier qui en résulte». Il est exigé toujours selon la même loi, de tenir compte de la conjoncture socio-économique du moment.
Le point de départ est donc le contexte contemporain de la préparation de la LF, mais son devenir dépend étroitement de la capacité du gouvernement à estimer l’évolution de la conjoncture financière, économique et sociale du pays, comme l’indique l’article 5 qui stipule :
«Cette programmation vise notamment à définir, en fonction d’hypothèses économiques et financières réalistes et justifiées, l’évolution sur trois ans de l’ensemble des ressources et des charges de l’Etat».
Nous retiendrons donc les qualificatifs de «réalistes» et de «justifiés». De ce point de vue, nous avons en notre possession deux documents majeurs, la «note d’orientation» et le «Rapport d’exécution budgétaire et de cadrage macroéconomique triennal».
Le premier, défini les principaux axes qui structureront la future LF, là où le deuxième, en évalue les contraintes et les possibilités.
Pour le PLF 2023, les 4 axes définis dans la note d’orientation découlent directement des directives royales, qui prennent en compte l’urgence sociale que traverse notre pays, ainsi que la nécessité de réformes profondes et globales de l’Administration, de la fiscalité, et de certains secteurs littéralement vitaux comme celui de la santé.
Mais là où le bât blesse, c’est au niveau du rapport d’exécution réalisé par le gouvernement, qui semble davantage relevé d’une wishlist macroéconomique que d’une estimation objective de l’évolution future du contexte.
Car aussi parfaite que puisse être la LF 2023, le réel, celui des contraintes et variables exogènes à l’échelle mondiale, peut aisément la saboter. D’autant plus que nous évoluons depuis quelques années dans un contexte mondial de plus en plus instable et imprévisible.
Ainsi, envisager une croissance économique de 4,5% au Maroc pour 2023, dans un contexte d’envolée et d’instabilité des cours des matières premières et énergétiques à l’échelle mondiale, de tensions géopolitiques majeures, de récession économique en zone Euro, à savoir notre principal partenaire commercial, et d’inflation galopante autant chez nous qu’ailleurs, relève pour moi d’une wishlist adressée par notre gouvernement au futur. Il en va de même pour un cours du gaz butane à 700 dollars la tonne, un cours moyen du baril à 98,6 dollars et une production céréalière à 75 millions de quintaux.
Dans ce type de situation, le principe de précaution qui fut si cher au gouvernement durant la période COVID, devrait trouver une application immédiate dans notre évaluation de la conjoncture macroéconomique pour les 3 prochaines années.
C’est donc un changement de paradigme qu’il faut, et non une politisation des chiffres. Car dans un contexte incertain et hautement volatil, il faut souvent partir du pire pour espérer le meilleur.
C’est la célèbre loi de Murphy qui est de mise, celle qui stipule que le pire est toujours certain, ou que si quelque chose peut mal tourner, alors cette chose finira infailliblement par mal tourner. Vous aurez remarqué pour l’anecdote que quand vous faites tomber une tartine, elle tombe toujours du côté de la confiture.
Partir du pire en termes de prévisions macroéconomiques permet en plus de ne point décevoir, de s’offrir une marge de manœuvre politique et économique en cas de surprise positive du réel. L’époque exige aujourd’hui plus que jamais de respecter autant le réel dans sa complexité que le peuple dans sa maturité. Car oui, le peuple ne cherche pas à être rassuré ou bercé par des promesses irréalistes. Il cherche à ce qu’on lui dise la vérité aussi amère soit-elle.
Communiquer franchement et sans détour avec les citoyennes et citoyens, constitue une manière efficace et productive de les impliquer. Dans le cas contraire, les promesses n’engagent que ceux qui les font, ou ceux qui les écoutent, c’est selon.
Rachid Achachi