Le projet de Loi de Finances 2026 consacre plus de 42,4 milliards de dirhams au ministère de la Santé et de la Protection sociale. Une enveloppe qui vise à moderniser les infrastructures hospitalières, renforcer les CHU et améliorer la gouvernance territoriale à travers les Groupements sanitaires territoriaux (GST). Entretien avec Abdelmadjid Belaïche, expert en industrie pharmaceutique, analyste des marchés pharmaceutiques et membre de la société marocaine de l’économie des produits de santé.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : Le budget du ministère de la Santé et de la Protection sociale a augmenté de 30% pour atteindre 42,4 milliards de dirhams en 2026. Quelles sont les priorités que ce renforcement budgétaire permettra de concrétiser ?
Abdelmadjid Belaïche : L’augmentation de 30% du budget du ministère de la Santé et de la Protection sociale dans le PLF 2026, qui a atteint 42,4 milliards de dirhams, vise à renforcer notre système de santé. Primo, ceci permettra de consolider les infrastructures hospitalières existantes et d’en réaliser d’autres. Secundo, de renforcer l’offre en ressources humaines. Et tertio, de poursuivre la modernisation du système de santé. En ce qui concerne le renforcement des infrastructures hospitalières, l’objectif est de mettre rapidement en service deux nouveaux CHU à Agadir et à Laâyoune avant fin 2025, d’achever le CHU Ibn Sina à Rabat, dont l’ouverture est prévue pour début 2026, et de poursuivre les travaux de construction d’autres CHU à travers le Royaume. Pour ce qui est du renforcement des ressources humaines, l’objectif est de créer 8.000 nouveaux postes budgétaires pour le ministère de la Santé et de la Protection sociale en 2026, et d’allouer 16,4 milliards de dirhams aux dépenses de personnel afin de rendre le secteur hospitalier plus attractif, à la fois par des motivations salariales et par l’amélioration des conditions de travail. Quant à la modernisation et à la refonte de notre système de santé, le ministère vise à la fois l’amélioration de l’accès aux soins, y compris dans les zones rurales, enclavées ou défavorisées, et la garantie d’un accès universel et équitable aux soins de santé.
F. N. H. : Plus de 5 milliards de dirhams sont consacrés à la construction et à l’équipement de nouveaux CHU. Quelles retombées peut-on attendre sur la qualité et l’accessibilité des soins, notamment dans les régions ?
A. B. : Malheureusement, le Maroc accusait jusqu’à une période récente un important retard en matière de CHU. En effet, notre pays a fonctionné pendant plusieurs décennies avec seulement deux centres hospitaliers universitaires celui de Rabat et de Casablanca. La pandémie de la Covid-19 a constitué un véritable électrochoc, révélant aux décideurs l’importance de faire de la santé une priorité nationale. Le lancement du projet royal de la Couverture sanitaire universelle (CSU) et la refonte de notre système de santé ont imposé la nécessité non seulement de renforcer le réseau de centres de santé primaires, mais aussi de moderniser et de créer des infrastructures hospitalières de haut niveau. Alors que le secteur privé de la santé s’est développé à grande vitesse, sur tous les plans, le secteur public, lui, a connu un retard significatif. Aujourd’hui, il existe indiscutablement une volonté politique affirmée de rattraper ce retard considérable afin de mieux répondre aux besoins de la population, en particulier ceux des couches les plus démunies, souvent incapables de recourir au secteur privé sans s’endetter lourdement. Des avancées notables ont déjà été enregistrées. Le Maroc compte désormais cinq centres hospitaliers universitaires opérationnels, à savoir Rabat, Casablanca, Marrakech, Fès ainsi que celui d’Agadir, pratiquement finalisé. Par ailleurs, deux nouveaux CHU sont en construction, il s’agit de Tanger et de Laâyoune. L’investissement de 5 milliards de dirhams permettra à la fois de construire et d’équiper ces nouveaux CHU, mais aussi de moderniser et de doter les plus anciens d’équipements de dernière génération. Après plusieurs décennies de forte centralisation hospitalière universitaire, une décentralisation progressive s’est engagée, accompagnée de la création de nouvelles facultés de médecine. L’impact de cette dynamique est double : sanitaire et socioéconomique. Sur le plan sanitaire, ces CHU renforcent l’offre de soins spécialisés et de haute technicité, facilitent l’accès aux technologies médicales avancées et contribuent à réduire les inégalités territoriales. Les patients et leurs familles n’auront plus à parcourir de longues distances pour accéder à certains soins auparavant concentrés dans quelques grandes villes. Sur le plan socioéconomique, ces infrastructures contribuent à la formation des futurs professionnels de santé et à la création d’un nombre important d’emplois médicaux, paramédicaux, administratifs, ainsi que de postes hautement spécialisés. Enfin, les CHU constituent un pilier central de la souveraineté sanitaire du Maroc. Ils permettent non seulement de répondre aux besoins actuels de la population, mais aussi de mieux se préparer face à d’éventuelles crises sanitaires d’envergure.
F. N. H. : Le démarrage des Groupements sanitaires territoriaux (GST) marque une nouvelle étape dans la réforme du système de santé. En quoi cette réorganisation territoriale vat-elle améliorer la gouvernance et la proximité des services ?
A. B. : Les objectifs visés par la mise en place des GST sont le renforcement de la gouvernance, la promotion de la proximité et de l’équité des services de santé, ainsi que la valorisation et la motivation des ressources humaines. Le renforcement de la gouvernance passe par une gouvernance régionale dotée d’une autonomie plus importante, alignée sur le Nouveau modèle de développement (NMD) adopté par notre pays, notamment en matière de décentralisation et d’efficacité administrative. Dans cette nouvelle organisation, les directions régionales de la santé seront remplacées par les GST, qui deviendront les futurs instruments de gestion des établissements de santé publics dans chaque région et territoire. Les GST disposeront d’une autonomie accrue et de compétences élargies en matière de planification, de gestion budgétaire et de coordination des soins. L’offre de soins pourra ainsi mieux répondre aux besoins, y compris spécifiques, de chaque région. Quant à la proximité et à l’équité des services de santé, elles passent par la nécessité d’identifier les spécificités locales en matière de besoins de santé et d’adapter l’offre à ces besoins, en tenant compte des réalités géographiques, démographiques, sociologiques et sanitaires de chaque région. Les GST visent également à réduire les disparités territoriales par une meilleure proximité entre les centres de décision, l’offre de soins et les populations locales, garantissant ainsi un meilleur accès aux soins, y compris dans les zones les plus éloignées ou défavorisées. Les GST ont également pour objectif de mettre en place des parcours de soins mieux coordonnés, grâce à un meilleur suivi des patients entre les différents niveaux de soins (primaires, secondaires et tertiaires). La valorisation et la motivation des ressources humaines constituent également un axe central dans les GST, notamment à travers la mise en place d’un mode de rémunération plus incitatif, tenant compte du rendement réel des professionnels de santé dans chaque région.
F. N. H. : Le PLF 2026 met l’accent sur la modernisation des infrastructures et la digitalisation du dossier patient. Quels sont les principaux défis pour réussir cette transformation sur l’ensemble du territoire ?
A. B. : Effectivement, le PLF 2026 prévoit une ambitieuse transformation du système de santé marocain à travers la modernisation des infrastructures et la digitalisation du dossier patient. Toutefois, il ne faut pas oublier les multiples défis qui se dressent face à cette transformation. D’abord, des défis techniques : les équipements informatiques des établissements de santé sont hétérogènes, parfois obsolètes et souvent incapables d’accueillir des systèmes numériques avancés, particulièrement dans les zones rurales. S’ajoute à cela la problématique de l’interfaçage entre les différents systèmes informatiques utilisés au Maroc, ce qui rend l’intégration des logiciels hospitaliers, cliniques, médicaux ou pharmaceutiques, publics et privés, complexe, voire impossible en l’état actuel. Les problèmes de connectivité et de couverture régionale, notamment en Internet haut débit, freinent également l’efficacité d’un futur dossier médical partagé ou des feuilles de soins électroniques. Par ailleurs, tous les professionnels de santé ne sont pas formés à l’usage des outils numériques dans leur travail, ce qui nécessitera des programmes de formation et une gestion du changement pour surmonter les réticences éventuelles. Enfin, la sécurité et la confidentialité des données, notamment celles à caractère sensible comme le dossier patient numérique, représentent un défi majeur. Les attaques informatiques récentes ayant ciblé certains établissements publics sont un rappel fort de l’importance cruciale de la cybersécurité.
F. N. H. : Cette hausse du budget est saluée par les syndicats, mais ils insistent sur son impact réel sur le terrain. Comment ce renforcement budgétaire se traduira-t-il concrètement pour le personnel de santé et les patients ?
A. B. : La hausse du budget du ministère de la Santé à 42,4 milliards de dirhams pour 2026 est effectivement saluée par les syndicats, mais elle répond aussi à des demandes populaires fortes, notamment exprimées à travers les récentes manifestations qu’a connues notre pays. Pour rappel, le décès de plusieurs femmes à l’hôpital Hassan II d’Agadir a été le principal déclencheur de ces mobilisations, qui ont placé la santé et l’enseignement au sommet des priorités nationales. Le budget proposé dans le PLF semble répondre à ces attentes, mais le problème ne se limite pas au financement. Il englobe aussi le recrutement, la motivation et la fidélisation de ressources humaines suffisantes pour répondre aux besoins en soins de la population. S’y ajoute la difficulté de mettre en œuvre rapidement des réformes aussi ambitieuses que complexes.