La guerre des prix que se livrent les compagnies d'assurances dans les branches «non-Vie» se déplace sur le terrain, non moins risqué, de la branche «Vie».
Une situation qui peut mettre certains opérateurs en difficulté.
Par A. Hlimi
L’annonce, la semaine dernière, par l'assureur Allianz d'un nouveau produit d'épargne, avec une promesse de rendement de 4,5% par an, relance la course sur le circuit très disputé de l'épargne.
Le timing de ce produit surprend, après une année où la rémunération est restée faible, aussi bien sur les bons du Trésor et sur la dette privée, fonds de portefeuille des compagnies, que sur les actions qui ont offert un rendement de 4%, mais ont perdu 8% de leur valeur en 2018.
Si Allianz peut se permettre de telles promesses, c'est parce qu'elle dispose d'un matelas de sécurité surdimensionné. Ses fonds propres sont confortables, ce qui est loin d'être le cas de tous les acteurs du marché. De telles initiatives peuvent pousser les autres compagnies à s'aligner. Mais l'effort commercial peut avoir des répercussions sur la santé des assureurs. Une configuration qualifiée de «peu viable à long terme», nous expliquent plusieurs opérateurs du secteur, consultés pour les besoins de cet article.
Grignoter sur les plus-values latentes
Pour offrir du rendement aux nouveaux contrats, les compagnies peuvent grignoter sur les plus-values latentes réalisées les années passées, lorsque les bons du Trésor offraient des rendements supérieurs à 5%. Les gains réalisés ainsi en 2012 et 2013 continuent d'être lissés jusqu'à présent. Mais cela crée un problème d'équité entre épargnants.
Car, en plus de laminer mécaniquement les rendements, les nouveaux entrants recrutés, grâce à des promesses de hauts rendements, perçoivent une partie des gains réalisés sur les anciens contrats. La compagnie peut aussi choisir de prélever sur ses propres marges, un peu comme c'est le cas dans la branche non-Vie, en offrant aux nouveaux contrats une partie des gains emmagasinés par le passé.
Mais, en procédant de la sorte, les assureurs réduisent leur capacité à faire face à leurs engagements et détériorent systématiquement leur marge de solvabilité.
Stimuler la collecte à court terme en proposant des garanties techniques (taux de rendement garantis par exemple) très élevées dans un contexte de taux obligataires très bas peut mettre à rude épreuve leurs marges.
Quand on sait que dans la branche non-Vie, notamment l'automobile, les garanties annexes de plus en plus généreuses coûtent très cher aux compagnies, on imagine l'effritement des marges du secteur et la propagation du phénomène à tous les métiers de l'assurance.
Pour certains professionnels, un cantonnement de l’épargne serait une solution pour limiter la surchauffe, et surtout pour avoir une idée plus précise sur les risques.
«Il est très difficile de détecter de manière superficielle, en regardant les simples bilans comptables, les compagnies d'assurances qui prennent des risques démesurés sur la rémunération de leur contrats. Chacune a une structure de portefeuille différente», témoigne un professionnel des placements.
Il ajoute qu'il est tout à fait possible d'atteindre des rendements relativement élevés sur des portefeuilles orientés dette privée, avec en plus un «zest» de risque sur la poche actions qui, sur du très long terme, donne une assurance raisonnable sur la préservation du capital. ◆
Encadré : Une aubaine pour le non-coté
A près de 6% en 2013, le rendement des obligations de l’Etat s'est durablement installé sous 3,5% ces dernières années. La Bourse offre pour sa part un rendement normatif autour de 4%. La faiblesse de la rémunération de l'épargne institutionnelle sur les marchés financiers s'impose comme une problématique de place à long terme, un peu comme dans le reste du monde, où les taux sont encore plus bas.
La situation devrait pousser les compagnies d'assurances et autres institutionnels à aller de plus en plus vers du non-coté ou vers des mécanismes de l'économie réelle structurés et réglementés, offrant un meilleur rendement, comme les OPCI par exemple, dont le rendement moyen sera facilement autour de 6% et que les professionnels des placements attendent avec impatience.
Signalons aussi les tout nouveaux mécanismes de financement introduits par la Loi de Finances 2019 et qui devront permettre à l'Etat de financer 12 Mds de dirhams de projets, à travers le financement par les investisseurs institutionnels de projets en concession.
Le Private Equity pourra aussi bénéficier de cet effet d'éviction. Sur les marchés matures, comme aux Etats-Unis, la baisse des rendements a poussé les compagnies d'assurances à surpondérer les projets d'infrastructure dans leurs placements. Des produits qui ont offert un rendement de 11% en 2018, selon les chiffres officiels du National Bureau of Economic Research. Oui. Il est possible de transformer une baisse de la rémunération de l'épargne sur les marchés financiers en une opportunité pour l'économie... et l'épargnant.