Il n’est pas difficile de comprendre l’attrait pour la santé et l’immobilier. Ces deux secteurs sont lucratifs et sécurisent les investisseurs.
Jusque-là, il y a eu d’importantes opérations de fusions-acquisitions réalisées par des fonds internationaux essentiellement.
Entretien avec Badr Babioui, associé au cabinet BFB Advisors, spécialisé en Strategy and Corporate Finance.
Propos recueillis par M. Diao
Finances News Hebdo : On s’achemine vers la fin de l’année 2021. Quel bilan faites-vous des opérations concernant les fusionsacquisitions au Maroc ?
Badr Babioui : Un bilan mitigé. Il y a eu d’importantes opérations réalisées par des fonds internationaux essentiellement, mais nous n’avons pas assisté à la ruée attendue vers les nombreuses entreprises affaiblies par la crise. Nous aurons les chiffres finaux en janvier prochain, mais nous pouvons déjà regretter que, comme dans d’autres domaines, l’offre rencontre difficilement la demande dans le monde des fusions-acquisitions au Maroc. Pourtant, le besoin est là, les mécanismes étatiques d’accès au financement auraient pu inciter davantage les fonds et opérateurs à prendre des risques et tenter une croissance externe. Le manque de transparence de beaucoup de PME a malheureusement trop souvent freiné les ardeurs des investisseurs, surtout dans l’industrie. Bien sûr, le tableau n’est pas totalement sombre et le M&A s’installe dans la culture économique locale grâce aux différentes opérations des fonds d’investissement et à leur médiatisation. Mais une économie comme celle du Maroc mériterait de connaître l’émergence d’un «marché» des fusions-acquisitions de PME plus actif et adapté à la taille des entreprises. Cela répondrait à plusieurs enjeux : développement d’un financement alternatif, renforcement d’entreprises compétitives au niveau national et international, et bien sûr création d’emplois et de richesse pour l’économie du pays.
F.N.H. : Quelles sont les branches d’activités dans lesquelles l’on dénombre un nombre élevé d’opérations de fusions-acquisitions et pourquoi selon vous ?
B. B. : Les secteurs en vogue sont la santé et l’immobilier qui ont connu de belles opérations. Aradei qui entre au capital d’Akdital Immo notamment. Et récemment CDG Capital Private Equity qui acquiert une part minoritaire du groupe d’oncologie Oncorad. Il n’est pas difficile de comprendre l’attrait pour ces secteurs. Ils sont lucratifs et sécurisent les investisseurs. Le digital et l’industrie, autrement dit les secteurs les plus créateurs de valeur pour l’économie, sont encore trop timides au vu de ce qu’ils représentent en volume.
F.N.H. : Au Maroc, les opérateurs économiques sont-ils toujours conscients de l’intérêt et des avantages avérés de recourir aux fusionsacquisitions pour investir ?
B. B. : La question se pose en effet. Ou du moins nous pouvons déplorer une réticence, et même une crainte s’agissant de la fiabilité des informations sur l’entreprise cible et sur les niveaux de rentabilité présentés. Ce sont là les méfaits d’un contexte où les réflexes d’informel et de manque de transparence persistent. Malgré cela, les opportunités existent et la prise de risque des investisseurs devrait être plus forte, en imposant les garde-fous : participation au management, notamment au management financier de la cible, nomination d’administrateurs indépendants pour les SA, mobilisation d’experts métier, … les solutions existent.
F.N.H. : Sur le marché des fusions-acquisitions, les entités étrangères sont-elles toujours plus actives que les structures marocaines ?
B. B. : Les mêmes fonds internationaux, à savoir Helios, MCP et Amethis sont les plus actifs et maintiennent leur dynamique d’investissement à travers des prises de participation de taille dans de grandes entreprises marocaines telles que Dislog, Akdital ou encore Magriser. Les fonds marocains sont plus impliqués sur les startup notamment, mais gagneraient à investir davantage le champ des PME dans les régions, à l’image du FIRO (fonds d’investissements de la région de l’Oriental) dont les résultats sont très intéressants et qui accompagne le développement de PME industrielles à Oujda et Nador, entre autres.
F.N.H. : Selon vous, le système fiscal actuel est-il propice aux opérations de fusions-acquisitions ?
B. B. : La peur d’un contrôle fiscal qui serait activé automatiquement à l’annonce d’une acquisition demeure, même si elle n’est pas forcément fondée sur des faits. Par ailleurs, la loi sur les holdings, qui limite le frottement fiscal avec les filiales, encourage les groupes à se structurer et les opérations de rachats de sociétés peuvent s’inscrire dans ce sillage. Mais le phénomène que l’on observe avec grand intérêt est celui des joint-ventures (JV) et alliances stratégiques internationales. Par exemple, la création d’une JV entre le marocain SMDM et le portugais Movicortes dans le matériel industriel et agricole, où l’israélien Mehadrin dans l’agriculture avec un acteur marocain. Ces JV ont le mérite de ne pas hériter du poids du passé et permettent de démarrer un partenariat sur de bonnes bases, à travers une société commune, et en bénéficiant souvent du cadre incitatif CFC pour les entreprises exportatrices.