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«En période de crise, il n’y a pas de place pour l’orthodoxie financière»

«En période de crise, il n’y a pas de place pour l’orthodoxie financière»

Youssef Oubouali, fiscaliste, enseignant chercheur à l’ENCG de Settat


 

TVA, IR, IS, droits d’enregistrement : les principaux impôts et taxes vont perdre sensiblement de leur potentiel de rentabilité.

 

Propos recueillis par Charaf Jaidani

 

Finances News Hebdo : Nous sommes face à une crise sanitaire qui engendre une crise économique sans précédent. Comment, selon vous, le gouvernement peut-il remédier à cette situation sachant que les finances publiques sont mises à rude épreuve actuellement ?

Youssef Oubouali : Partout dans le monde, la crise sanitaire engendrée par le Covid-19 devrait avoir des conséquences graves sur les économies, y compris chez les Etats les plus puissants.

Si la crise financière de 2009 a mis un certain temps avant que son effet se manifeste sur l’économie, le choc de la crise actuelle est brutal, et rares sont les pays qui peuvent l'amortir sans dégâts importants.

L’Etat est appelé, plus que jamais, à injecter des ressources en masse pour venir en aide aux personnes et aux secteurs impactés. Pour préserver l’emploi, il est essentiel de soutenir les entreprises afin de maintenir la machine économique en marche.

 

 F.N.H. : Toutes ces dispositions ont besoin de ressources. Pensez-vous que les dotations du Fonds Covid-19 sont suffisantes pour faire face à tous les besoins ?

Y. O. : La création du Fonds Covid-19 est une initiative louable. Elle a montré sa pertinence en faisant appel à la générosité des Marocains, chacun selon ses capacités, pour participer à cet élan de solidarité nationale.

Toutefois, il faut préciser que ce fonds a été créé pour faire face à des besoins urgents, qui seront limités dans le temps, c’est-à-dire la durée du confinement, soit quelques semaines, voire un ou deux mois.

Il faut penser à l’après-Covid-19, car les effets collatéraux ne vont pas tarder à s’imposer. Il est donc essentiel de lancer des mesures de grande ampleur pour que la relance soit au rendez-vous le plus tôt possible. Plus la reprise tardera et plus l’impact de la crise sera difficile à surmonter.

La dépense publique est un outil important pour faire redémarrer la machine et dans de bonnes conditions. Il ne faut pas oublier que la crise s’est déclenchée à un moment crucial de l’année, soit à quelques jours des déclarations fiscales et du règlement d’une partie de l’impôt.

Les mois de mars et d’avril sont connus pour être les plus dynamiques de l’année, l’activité est en vitesse de croisière surtout avant d’entamer le Ramadan et par la suite les vacances estivales. Après l’exercice fiscal, les entreprises commencent à lancer leur programme d’investissement ou de développement de leur exploitation.

 

F.N.H. : Les recettes fiscales seront donc fortement impactées ?

Y. O. : Les principaux impôts seront nettement en deçà de leur potentiel de rentabilité. La perte d’emploi devrait avoir un effet notoire sur les recettes de l’IR.

 La CNSS annonce pas moins de 810.000 salariés en arrêt de travail, soit 31% des personnes immatriculées. Le nombre d’entreprises en arrêt d’activité se chiffre à 134.000, ce qui représente 62% des sociétés affiliées à la CNSS, dont la plupart sont en situation vulnérable.

Cette situation devrait avoir un effet sur les recettes de l’IS. Quant à la TVA, le confinement a réduit sensiblement la consommation de produits, qui sont dans la majorité des cas concentrés actuellement au niveau alimentaires.

Pour les autres impôts, la situation n’est pas meilleure. Le secteur de l’immobilier, par exemple, devrait être frappé de plein fouet par la crise, avec effet immédiat sur les recettes de la taxe sur les profits immobiliers (TPI) sans compter les droits d’enregistrement, de timbre et ceux de la conservation foncière, de gros contributeurs pour les recettes publiques.

Pour leur part, les droits de douane seront secoués par les restrictions imposées sur les importations pour préserver les avoirs en devises.

 

 F.N.H. : Le gouvernement a pris une série de mesures d’austérité. A votre avis, ne serait-il pas mieux d’opter pour une Loi de Finances rectificative ?

Y. O. : Face à la crise du Covid-19, plusieurs pays, notamment européens, ont adopté des Lois de Finances rectificatives pour réorienter les dépenses budgétaires vers les secteurs prioritaires notamment la santé et la sécurité sociale.

Au Maroc, les mêmes contraintes se présentent, la LF 2020 telle qu’elle a été conçue, ne peut faire face aux déséquilibres budgétaires provoqués par la crise. La croissance sera révisée à la baisse.  Le déficit budgétaire et l’inflation devraient s’envoler.

Pour ne pas perdre de temps et être plus efficace, l’Exécutif a opté pour un décret-loi, qui lui permet de suspendre les engagements de dépenses et de dépasser les plafonds de l’endettement extérieur prévu dans la LF 2020.

En période crise, il n’y a pas de place pour l’orthodoxie financière à laquelle le Maroc s’attache scrupuleusement. Le principal objectif à court terme est de sortir l’économie nationale de la salle de réanimation le plus vite possible. ◆

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