Le Maroc enregistre une performance fiscale inédite avec 100 milliards de dirhams de recettes supplémentaires en quatre ans. Ces dernières devraient approcher les 20% du PIB en 2025, un niveau historiquement élevé, et se stabiliser au moins jusqu’en 2027.
Par Y. Seddik
Depuis son lancement en 2019, la réforme fiscale au Maroc, portée par une vision claire et un engagement politique soutenu, s’impose comme l’un des grands projets de transformation des finances publiques. Aujourd’hui, à mi-parcours de ce chantier prévu jusqu’en 2026, les résultats sont déjà tangibles et significatifs : une augmentation historique des recettes fiscales, une affectation directe des fonds aux programmes sociaux et un rééquilibrage progressif du système fiscal.
Entre 2020 et 2024, les recettes fiscales marocaines ont enregistré une hausse remarquable, passant de 199 milliards de dirhams à 299 milliards, soit une progression impressionnante de 100 milliards de dirhams en seulement quatre ans. Avec une croissance annuelle moyenne de 11%, cette performance résulte d’une refonte des principaux leviers fiscaux. Les recettes de l’impôt sur les sociétés (IS) ont bondi de 48,8 milliards de dirhams en 2020 à 70 milliards en 2024, grâce à une amélioration significative de la collecte, à une meilleure efficacité administrative et une rationalisation des taux.
De son côté, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), principal pilier des recettes indirectes, a affiché une hausse de 59%, passant de 56 milliards de dirhams à 89 milliards. Enfin, l’impôt sur le revenu (IR) a également connu une forte progression, atteignant près de 59,6 milliards de dirhams contre 40 milliards en 2020. Cette évolution est en grande partie attribuée à l’élargissement de l’assiette fiscale, qui a permis d’intégrer de manière plus efficace les professions libérales et les activités économiques indépendantes dans le système fiscal national.
Pour Abdelaziz Lahlou, directeur Économie au sein d'Attijari Global Research, «cette progression trouve son origine notamment dans le réaménagement des taux de TVA et de l’IS, l’élargissement de la base des contribuables et la réduction des exonérations fiscales. Leur volume recule de 13%, passant de 36,9 milliards de DH en 2023 à 32,1 milliards en 2024. Le Trésor a ainsi développé une base solide de revenus récurrents. Ceci est la traduction d’un processus de réduction des niches fiscales et d’élargissement de la base des contribuables. Le secteur public vient également renforcer ses revenus par les recettes non fiscales qui atteignent, à leur tour, un pic de 4,4% du PIB».
Il faut dire que cette augmentation des recettes fiscales a bien servi. Selon le ministre délégué chargé du Budget, Fouzi Lekjaa, ces ressources supplémentaires ont été intégralement réinvesties dans les politiques sociales prioritaires. Ainsi, 44 milliards de dirhams ont été mobilisés pour financer les engagements pris dans le cadre du dialogue social pour renforcer les accords conclus avec les partenaires sociaux. Par ailleurs, 35 milliards de dirhams ont été consacrés à soutenir directement les ménages les plus vulnérables à travers des aides directes ciblées. En outre, 19,5 milliards de dirhams ont été affectés à l’élargissement des cotisations à la couverture médicale, un axe essentiel de la réforme sociale visant à garantir l’accès aux soins pour le plus grand nombre.
«Le Maroc aurait toute la latitude pour poursuivre ses réformes sociales et s’attaquer notamment au chantier coûteux de la viabilité du système de retraite. Ce dernier devient plus pressant, à la lumière des derniers chiffres du recensement qui font état d’une décélération de la croissance démographique, synonyme d’un vieillissement «prématuré» de la population au Maroc», souligne le chef économiste. Il ajoute que «les recettes fiscales, en se chiffrant à près de 20% du PIB en 2025, devraient atteindre des niveaux historiquement élevés et se maintenir au moins jusqu’en 2027, selon les projections du ministère des Finances».
Fiscalité plus équitable
L’un des succès notables de la réforme réside dans son ambition de rétablir une certaine équité fiscale. En 2025, les contribuables percevant moins de 15.000 dirhams par mois bénéficieront de 70% des efforts financiers engagés, soit 8,5 milliards de dirhams, comme l’a rappelé Lekjaa. De plus, l’alignement des taux de TVA sur deux niveaux cibles (10% et 20%) et l’élargissement des exonérations aux produits de première nécessité illustrent une volonté de protéger les ménages les plus vulnérables, tout en consolidant les recettes.
En parallèle, des efforts sont déployés pour simplifier le système fiscal et le rendre plus adapté aux réalités économiques contemporaines. La Contribution professionnelle unique (CPU), conçue pour les professions libérales et les entrepreneurs, vise à réduire les lourdeurs administratives et encourager une meilleure adhésion fiscale. Si les finances publiques se redressent, c’est aussi grâce à une vision proactive en matière d’investissement.
En 2025, l’État allouera 105 milliards de dirhams aux projets structurants, en hausse de 5%. Ce budget reflète une stratégie bien réfléchie : stimuler la croissance à travers des secteurs stratégiques comme l’énergie, l’eau ou encore l’éducation. Les établissements publics, moteurs de cette dynamique, concentreront leurs efforts sur les infrastructures critiques. Casablanca demeure en tête des régions bénéficiaires, avec 32% des flux d’investissement, tandis que Drâa-Tafilalet et Fès-Meknès, historiquement moins favorisées, affichent des progressions significatives. Cet effort d’équité territoriale témoigne d’une volonté de réduire les disparités régionales, mais soulève aussi des questions sur la capacité d’exécution locale.
Une lourde masse salariale publique
Si la réforme fiscale a renforcé les capacités budgétaires de l’État, elle n’a pas encore totalement surmonté les défis structurels auxquels le Maroc fait face. L’une des problématiques majeures reste le poids de la masse salariale publique, qui atteint 11% du PIB en 2024. Les augmentations salariales et le renouvellement des effectifs pour compenser les départs massifs à la retraite entre 2024 et 2028 pèsent lourdement sur le budget de l’État. En parallèle, la dépendance historique aux subventions, bien qu’en voie de réduction, demeure un enjeu. La stabilisation des dépenses de compensation à 17 milliards de dirhams est une avancée, mais elle nécessite un accompagnement efficace pour atténuer les impacts sociaux, notamment dans les zones rurales et pour les ménages à faibles revenus.
De plus, la gestion de la transition démographique s’impose comme un défi de premier plan. Avec un vieillissement accéléré de la population et une croissance démographique en ralentissement, le financement des retraites et des politiques de santé publique devient une priorité urgente. Au final, la réforme fiscale, qui devrait se poursuivre jusqu’en 2026, s’impose comme un modèle salué à l’échelle internationale.
Des institutions telles que le FMI, la Banque mondiale et l’Union européenne ont applaudi ces avancées en matière de transparence budgétaire et de résilience économique. Le rapport positif du cadre d’évaluation PEFA (Public expenditure and financial accountability), soutenu par des bailleurs de fonds de premier plan, renforce également la crédibilité des chiffres publiés par le ministère de l’Économie et des Finances. Ce gage de confiance internationale ne fait que confirmer la pertinence des choix opérés par le Maroc.