◆ La stratégie de relance est basée sur l’endettement des entreprises, avec un pari sur la reprise.
◆ Mais le contexte actuel favorise-t-il justement la reprise ? Eléments de réponse avec Mohamed Berrada, professeur à l’université Hassan II, qui émet des pistes sur les actions prioritaires à initier dans ce climat d’incertitude.
Propos recueillis par D. William
Finances News Hebdo : Pensez-vous que l’État a injecté suffisamment de fonds dans l’économie pour soutenir les entreprises et permettre la relance économique ?
Mohamed Berrada : Je ne pense pas que l’État puisse injecter des fonds à l’infini, malgré le fait que les besoins soient illimités… Ce qui est important, c’est la qualité de la dépense et non pas la quantité. L’État a soutenu pendant une période limitée la consommation des ménages par le biais des indemnités versées aux salariés en inactivité.
Il soutient les entreprises en mettant en place un dispositif de crédit Oxygène et crédit Relance garantis par le Trésor, pour aider les entreprises à traverser le tsunami. Mais ce ne sont pas des subventions ou des aides, ce sont des crédits que les entreprises doivent rembourser plus tard.
Même si les taux d’intérêt ont baissé du fait d’un niveau d’inflation quasi nul, celui d’une économie en léthargie, il n’en demeure pas moins que nos entreprises sont amenées à supporter en plus du remboursement du capital, des charges d’intérêt ! C’est une stratégie de relance basée sur l’endettement des entreprises, avec un pari sur la reprise. La question est de savoir quand cette reprise aura lieu, et si nos entreprises dégageront un cash flow suffisant pour rembourser les crédits.
Dans le cas contraire, cela se traduirait par une augmentation de la dette publique, avec les conséquences que l’on connait sur la situation macroéconomique du pays. Pour le moment, les débats d’actualité sont d’ordre sanitaire. La crise économique et financière, qui risque de se transformer en crise sociale, avec la montée du chômage, reste devant nous.
F.N.H. : Les 120 Mds de DH annoncés par le Roi permettrontils à la machine économique de décoller ?
M. B. : C’est une décision de grande ampleur dans la situation de crise actuelle, à l’instar des stratégies adoptées par beaucoup d’autres pays pour redresser la barre. Les 120 milliards de dirhams sont appuyés par un pacte associant différents partenaires économiques et sociaux. Une condition pour sa réussite. Ce pacte a pour objectif le redémarrage des entreprises, la relance de l’activité et le maintien de l’emploi. Une multitude de dispositifs sont prévus à cet effet.
Dans leur grande majorité, ils sont pertinents. Si leur mise en œuvre par le gouvernement se fait dans la clarté et la célérité, je pense qu’ils aideront la machine économique à redécoller et à favoriser le retour à la situation ante, avant le début de 2022. Comme vous le savez, les mécanismes économiques sont complexes. Il ne s’agit pas de dé-confiner pour redémarrer. Il faut tenir compte des facteurs psychologiques et comportementaux de la population aussi bien marocaine qu’étrangère, avec les effets retard qu’ils produisent.
F.N.H. : Selon vous, quels leviers prioritaires faudrait-il activer pour donner un nouveau souffle à l’économie, dans un contexte où les opérateurs manquent de visibilité en raison de la situation sanitaire ?
M. B. : C’est vrai que nous devons gérer l’économie dans un climat d’incertitude et souvent de désordre. Ce qui ne favorise pas un climat de confiance, si nécessaire pour la relance. J’ajoute que pour relancer l’économie, le crédit seul ne suffit pas ! La relance doit être conçue dans le cadre d’une stratégie globale où plusieurs facteurs interagissent entre eux. Agir par exemple de manière harmonieuse sur l’offre et la demande. Créer et développer des marchés à nos entreprises, pour qu’elles puissent tourner et rembourser leurs crédits.
Donner la priorité absolue à la production nationale, en privilégiant le secteur industriel, créateur d’emplois directs et indirects. D’une manière générale, il ne s’agit pas de résoudre nos problèmes actuels en adoptant des plans de relance, comme s’il s’agissait d’une crise conjoncturelle, mais de les intégrer dans une vision structurelle.
Car la particularité de cette crise nous incite à tirer des leçons pour l’avenir. La crise est aussi source d’opportunités. Ici, le court terme s’intègre dans le long terme. C’est pourquoi, à mon avis, les réflexions de la commission nationale de développement doivent servir à nourrir la mise en œuvre de toute stratégie de relance économique.
Une projection dans le temps, mais aussi dans l’espace. Notre économie ne vit pas en vase clos. Elle dépend aussi de la qualité et de l’étendue des politiques sanitaires et économiques mises en œuvre par nos partenaires européens.
Car, de leur côté, ils tirent aussi des leçons sur les spécificités de cette crise et en particulier sur la manière dont les chaînes de valeur mondiales sont distribuées, et les nouvelles stratégies à adopter. Il est certain qu’à ce niveau, notre pays a une place à prendre.