Le Centre monétique interbancaire (CMI) franchit une nouvelle étape dans son développement. L’opérateur, jusque-là centré sur les solutions d’encaissement pour ses banques actionnaires, devient désormais processeur et prestataire de services pour l’ensemble des établissements de paiement, y compris ceux non affiliés.
Par Y. Seddik
Le marché national de la monétique entre dans une nouvelle phase. L’ouverture à davantage de concurrence, accélérée par la réglementation et portée par l’innovation technologique, change les rapports de force. En lançant sa plateforme multi-acquéreurs le 1er mai 2025, le CMI a déjà intégré sept établissements opérationnels et prépare l’arrivée de quatre autres. Deux d’entre eux ne sont pas liés aux banques actionnaires du CMI, un signe clair que le monopole historique se fissure.
À ce jour, plus de 2.000 commerçants affiliés via ces nouveaux entrants ont été traités par la plateforme, avec plus de 300.000 transactions pour un volume dépassant 100 millions de dirhams. Et le mouvement touche déjà 117 localités, bien au-delà des grandes métropoles. Cette transformation découle des engagements pris par le CMI et ses neuf banques actionnaires auprès du Conseil de la concurrence et de Bank Al-Maghrib. Elle s’accompagne d’un changement de modèle : le CMI se retire de l’activité commerciale d’acquisition monétique (TPE et e-commerce) au profit des EDP, pour se concentrer sur son rôle de plateforme technique nationale. L’enjeu est clair : passer d’un marché dominé par trois acteurs à une dizaine, avec l’ambition d’instaurer une dynamique concurrentielle forte. Pour Rachid Saihi, Directeur général du CMI, «les nouveaux acteurs devront faire des choix stratégiques déterminants en termes de proposition de valeur, d’offres de services et de tarification».
Le CMI, lui, entend rester incontournable en mettant son infrastructure, son savoir-faire et sa capacité d’innovation à la disposition de tous les établissements qui le souhaitent. Si la concurrence doit s’intensifier, le DG du CMI insiste sur la continuité opérationnelle : les commerçants ne devraient constater «aucune dégradation de service ou de qualité de l’expérience de paiement». Le CMI promet de rester garant de la fiabilité du système, en renforçant sa résilience technologique et en accélérant son programme d’innovation pour anticiper les besoins futurs du marché.
Un secteur en mutation accélérée
Le CMI reste un acteur structurant du paiement électronique. En 2024, il a traité 215 millions de transactions pour un volume global de 90 milliards de dirhams, soit l’essentiel du marché national évalué à 93 milliards. Son réseau compte 80.000 terminaux de paiement électronique et 5.000 sites marchands en ligne. Avec sa solution Fatourati, il a également permis 220 millions d’opérations pour un total de 193 milliards de dirhams, dont 75% concernent la collecte de fonds publics tels que les impôts.
Pour autant, les usages restent dominés par le retrait d’espèces. Sur 23 millions de cartes bancaires en circulation, seules 3 millions sont actives chaque mois. Et près de 88% des opérations se font encore au guichet automatique, contre 12% pour le paiement direct. La transaction moyenne est de 425 dirhams, tandis que le sans contact progresse fortement pour représenter 7% des paiements. L’autre évolution majeure concerne le coût du service pour les commerçants.
Depuis octobre 2024, le plafond du taux d’interchange est fixé à 0,65%, conformément aux recommandations du Conseil de la concurrence. Plus de 55.000 commerçants ont bénéficié d’une réduction effective de leurs commissions. Pour Rachid Saihi, cette décision constitue «une avancée essentielle», mais pas suffisante à elle seule pour transformer durablement le secteur. Elle doit s’accompagner d’autres leviers, notamment l’innovation et la diversification de l’offre.
La direction du CMI affirme vouloir contribuer à bâtir un écosystème monétique compétitif, inclusif et aligné sur la stratégie digitale nationale à l’horizon 2030. Son ambition reste inchangée : œuvrer pour un Maroc sans cash, considéré comme un levier d’efficacité économique. Reste à convaincre les usagers (surtout les commerçants) de changer leurs habitudes, dans un pays où la carte bancaire demeure encore perçue avant tout comme un outil de retrait d’argent.