Investissements : le pari budgétaire du gouvernement

Investissements : le pari budgétaire du gouvernement

Depuis quelques années, l’ambition d’émergence du Maroc s’accompagne d’un effort d’investissement inédit : infrastructures, protection sociale, santé, éducation… L’État veut financer la relance et les grands chantiers sans compromettre l’équilibre de ses finances publiques, avec pour horizon un ratio d’endettement ramené à 66,3% du PIB d’ici 2027.

 

Par Y. Seddik

Le Maroc engage une nouvelle phase d’investissement public à grande échelle. Avec 380 milliards de dirhams inscrits au PLF 2026 et 140 milliards dédiés à la santé et à l’éducation, l’État affiche une volonté claire : accélérer les chantiers structurants tout en consolidant les bases du développement social. Un programme d’envergure, mais aussi un test de solidité pour les finances publiques, alors que le gouvernement ambitionne de ramener la dette publique sous les 66,3% du PIB d’ici 2027.

Sous l’impulsion du programme Maroc Émergent, le gouvernement a choisi d’assumer pleinement une stratégie d’investissement massif. Le PLF 2026 poursuit la logique des dernières années : des infrastructures de transport aux projets hydriques et énergétiques, en passant par la protection sociale et la mise à niveau des territoires, l’État s’impose comme le principal moteur de la croissance.

À ces chantiers s’ajoutent les grands projets déjà engagés : la CAN 2025, le Mondial 2030, les ports atlantiques, ou encore les centres hospitaliers universitaires en construction. Autant de projets porteurs, mais consommateurs de capitaux. Dans ce contexte, la question n’est plus de savoir quoi financer, mais comment le faire sans compromettre les équilibres budgétaires. Pour répondre à ces besoins, le Trésor s’appuie sur une stratégie diversifiée.

Le financement intérieur reste le pilier principal : les adjudications de bons du Trésor profitent d’un environnement monétaire redevenu favorable depuis la baisse du taux directeur de Bank Al-Maghrib en 2024. Le coût moyen pondéré des émissions, établi à 3,8%, permet ainsi un financement à moindre coût pour le Trésor sur les différentes maturités. Sur le plan externe, le Maroc poursuit une approche prudente mais active, en recourant essentiellement à des emprunts concessionnels auprès de bailleurs institutionnels.

Au premier semestre 2025, les tirages sur emprunts extérieurs du Trésor ont atteint 39,9 milliards de dirhams, en nette hausse par rapport aux 21 milliards mobilisés sur la même période en 2024. Cette évolution s’explique principalement par l’émission sur le marché financier international (MFI) réalisée en avril 2025, d’un montant de 2 milliards d’euros (20,9 milliards de dirhams). Le gouvernement mise également sur le Fonds Mohammed VI pour l’investissement comme catalyseur du capital privé.

Ce mécanisme doit permettre d’amplifier l’effet de levier budgétaire, en attirant l’investissement productif dans les secteurs industriels, numériques et verts. À cela s’ajoutent les partenariats public-privé (PPP) que le Maroc entend déployer davantage, notamment dans les infrastructures sociales et régionales.

Selon Samir El Idrissi, économiste et enseignant à l’Université Mohammed V, «la clé, désormais, est de combiner habilement financement budgétaire, levées de fonds sur les marchés et capitaux privés. Le Maroc dispose d’un environnement financier suffisamment profond pour absorber des volumes d’émission élevés, à condition de maintenir la confiance des investisseurs». Pour lui, «les PPP et le Fonds Mohammed VI peuvent devenir des relais puissants s’ils sont adossés à une gouvernance claire et des projets rentables».

Soutenabilité et discipline budgétaire

Malgré l’ampleur des engagements, les indicateurs de la dette restent bien orientés. Le portefeuille du Trésor demeure largement libellé en dirhams et à taux fixe (près de 90%), un choix qui protège les finances publiques des soubresauts des marchés.

À fin juin 2025, la durée de vie moyenne de la dette atteint huit ans et un mois, tandis que la part du court terme se limite à 12,3%, ce qui confirme une gestion prudente et rigoureuse du risque. Pour El Idrissi, «tout dépend de la qualité de la dépense publique. Tant que les investissements soutiennent la croissance et élargissent la base fiscale, la dette reste soutenable. Le risque viendrait d’une croissance molle ou d’un retard dans la mise en œuvre des réformes structurelles».

Le gouvernement s’attache justement à renforcer la gouvernance budgétaire, via la réforme de la loi organique relative à la Loi de Finances (LOF), qui introduira davantage de transparence et de suivi par la performance. Cette modernisation vise à orienter la dépense publique vers les résultats et à consolider la confiance des marchés. Si la trajectoire de désendettement paraît réaliste, elle reste tributaire d’un contexte international incertain. Le ralentissement mondial et les tensions géopolitiques peuvent peser sur les coûts de financement.

En parallèle, la montée des besoins sociaux et les aléas climatiques accentuent la pression sur les finances publiques. Malgré la hausse actuelle du déficit (50 milliards de DH en septembre), le gouvernement réaffirme son engagement à ramener progressivement le solde budgétaire vers 3% du PIB en 2026 et 3,5% en 2025, un niveau considéré comme soutenable et compatible avec la stabilisation de la dette publique.

Cette discipline s’inscrit dans une stratégie plus large de consolidation budgétaire visant à préserver la stabilité macroéconomique tout en soutenant la croissance. Selon le ministre du Budget, Fouzi Lekjaa, la trajectoire retenue repose sur une logique simple : «plus la croissance est robuste, plus elle élargit nos marges de manœuvre budgétaires. A l’inverse, une croissance faible nous oblige à resserrer les dépenses afin de contenir l’endettement».

 

 

 

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