Espace : prochain terrain d’influence du Royaume?

Espace : prochain terrain d’influence du Royaume?

L’idée de doter le Royaume d’un spatiodrome national, encore à l’état de réflexion, ouvre un nouveau champ de débat sur l’avenir technologique et économique du pays. Ingénieur et auteur de «Fragments d’histoire des crises financières», Charaf Louhmadi, consultant, conférencier, chroniqueur et auteurs d’ouvrages, livre ici son analyse sur les atouts et les perspectives d’un tel projet.

 

Propos recueillis par R. Mouhsine

Finances News Hebdo : Pourquoi, selon vous, le Maroc peut-il accueillir un spatiodrome ?

Charaf Louhmadi : Tout d’abord, la conquête et l’exploration spatiale sont synonymes de puissance et de rayonnement pour tous les pays qui arrivent à percer. On assiste depuis le milieu du 20ème siècle à une «course à l’espace» accrue entre grandes puissances, principalement portée par l’URSS et les USA. Actuellement, le programme Artemis de la NASA ambitionne le retour de l’homme sur la Lune, plus d’un demisiècle après Apollo 17. La Chine s’accroche également et s’apprête à devancer les Américains. Le Maroc, qui se veut une puissance régionale, un hub technologique et économique reliant l’Europe à l’Afrique, a tout à fait la capacité, les moyens financiers et le capital humain pour pouvoir accueillir un spatiodrome. Par ailleurs, le Royaume était dans la short-list des pays pour héberger le plus grand télescope du monde : l'EELT (European Extremely Large Telescope), dont le diamètre avoisine les 39 mètres.

 

F. N. H. : Les régions du Sud marocain (notamment entre Tan-Tan, Laâyoune et Dakhla) sont souvent évoquées. Qu’estce qui rend ces zones particulièrement favorables ?

Ch. L. : Les régions du sud sont celles les plus proches de l’équateur. On rappelle que plus on est proche de l’équateur, plus la vitesse angulaire de la terre augmente, et donc aide au lancement de la fusée. Cela limite par conséquent les coûts du carburant au décollage. Les villes méridionales comme Dakhla, qui se situe à 21° de latitude Nord, ou encore Laâyoune, sont dans ce sens les plus favorables. On rappelle aussi qu’en Floride, le Cap Canaveral se situe à 28° de latitude Nord.

 

F. N. H. : En quoi un spatiodrome pourrait-il renforcer la souveraineté scientifique et technologique du Maroc ? Quelles retombées économiques peuton espérer à moyen et long terme?

Ch. L. : Développer l’économie de l’espace au Maroc permettrait naturellement de créer de l’emploi, d’attirer des scientifiques reconnus à l’échelle mondiale, de renforcer le rayonnement scientifique et technologique du pays et de multiplier les partenariats avec les pays pionniers dans les technologies de l’espace. C’est exactement ce que vit le Chili avec les projets des télescopes européens VLT et ELT. En outre, héberger un spatiodrome permettrait d’ouvrir et d’accéder aux capitaux de recherche spatiale à l’échelle mondiale et de profiter de l’essor croissant du tourisme spatial présent et à venir.

 

F. N. H. : Quelle serait la place d’un tel projet dans la stratégie nationale d’innovation et dans la dynamique du New Space?

Ch. L. : Avec la miniaturisation des satellites et, par ricochet, la baisse des coûts de mise sur orbite, de plus en plus de pays, notamment sur le continent africain, lancent des satellites (le Sénégal a envoyé en 2023 un satellite d’à peine 1kg et l’île Maurice travaille sur l’envoi de nano-satellites sur des orbites inférieures à la géostationnaire). Un spatiodrome au Maroc permettrait donc d’utiliser cette dynamique en vue de générer des profits et de nouer des partenariats, notamment à l’échelle continentale.

 

F. N. H. : Pensez-vous que le Maroc pourrait, à horizon 10-15 ans, devenir un hub africain d’accès à l’espace ?

Ch. L. : Le Maroc est intéressé par le domaine spatial depuis plusieurs décennies; le centre royal de télédétection spatiale a été créé en 1989. En outre, le Royaume dispose d’un système de deux satellites (Mohammed VI (A et B)) de reconnaissance et d’observation (conçus par Thales et Airbus) et déployés, entre autres, dans le cadre d’opérations militaires dans les régions du sud. De surcroît, le Directeur général de Thales Maroc a annoncé la fabrication au Maroc du premier satellite géostationnaire avant fin 2025. Le Royaume est actif dans le secteur spatial; il se positionne de plus en plus et pourrait effectivement rivaliser, voire dépasser l’Egypte et l’Afrique du Sud dans les années et décennies à venir.

 

F. N. H. : Le Maroc pourrait-il envisager un modèle de coopération internationale - par exemple avec des agences comme l’ESA, la NASA ou des startups africaines - plutôt qu’un projet strictement national ?

Ch. L. : Un modèle de coopération internationale du type MA-US ou MA-EU est tout à fait possible, pour cause :

• Le Maroc travaille d’ores et déjà étroitement avec des entreprises européennes stratégiques comme Thales ou Airbus.

Les relations bilatérales avec les Etats-Unis sont actuellement très bonnes.

• La NASA contient des talents marocains.

Un point important est qu’on assiste, surtout depuis le début du 21ème siècle, à l’émergence de nouvelles puissances mondiales spatiales, à l’image de la Chine ou encore l’Inde. Cellesci rendent davantage accessibles l’accès aux technologies de l’espace. Le Maroc devrait par conséquent également étudier un rapprochement avec ces «néo-puissances» de l’espace.

 

F. N. H. : Ce type de projet pourrait-il favoriser l’émergence d’un écosystème spatial marocain (startups, PME, universités) ?

Ch. L. : Si un tel projet voit le jour, il participera à coup sûr à la création d’un écosystème spatial national incluant entreprises technologiques et renforçant la recherche spatiale au sein des universités marocaines. Toutefois, l’écosystème national des startups (tous secteurs confondus) est perfectible en l’état et doit se fixer comme priorité d’attirer beaucoup plus de capitaux dans les années à venir. 

 

 

 

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