Malgré son potentiel reconnu par le Nouveau modèle de développement, le tiers-secteur marocain reste freiné par un cadre fiscal inadapté, une dépendance aux subventions et un manque de structuration économique. Un maillon essentiel du développement inclusif encore sous-exploité.
Par R. Mouhsine
Le Nouveau modèle de développement (NMD) plaçait le tiers-secteur comme une véritable troisième voie, un levier de création de richesses, d’emplois, d’inclusion et de progrès social. Pourtant, sur le terrain, un paradoxe persiste : le Maroc compte environ 187.000 associations actives, mais seulement 2.500 d’entre elles déclarent des salariés à la CNSS.
Lors d’une master-class organisée par la Fondation Abdelkader Bensalah le 22 octobre 2025, l’économiste Mohammed Jadri a résumé la problématique : «le tiers-secteur pâtit d’un problème qu’on pourrait qualifier d’assistanat. On a des associations qui naissent, qui prennent des subventions… et une fois que ces subventions s’arrêtent, l’association ferme boutique».
Ce constat coïncide avec les données : si les coopératives marocaines emploient environ 800.000 personnes et affichent une valeur ajoutée estimée à 21 milliards de dirhams, leur contribution reste modeste, estimée à environ 1% à 2% du PIB national, selon le CESE. Pour Jadri, «aujourd’hui, la question qui se pose, c’est comment faire passer ce tiers-secteur vers la création de richesse, la création d’une valeur ajoutée, la création de postes d’emploi, à travers une vocation soutenable et durable». Cette mutation nécessite de sortir du modèle purement subventionné pour une logique entrepreneuriale associée à un impact mesurable.
Une fiscalité et un cadre juridique inadaptés
L’un des freins majeurs : le traitement fiscal et social de ces structures. «On ne peut pas continuer», alerte Jadri. «Lorsqu’on va déclarer un agent qui travaille dans une association ou dans une coopérative, c’est la même chose que dans une entreprise ou une banque. On va payer 21% pour lui à la CNSS, et on va payer l’impôt sur le revenu comme si c’était une multinationale», explique-t-il. Sans avantages adaptés, ces organisations restent fragilisées. Jadri appelle donc à «instaurer des privilèges fiscaux pour ces structures… afin de leur permettre de respirer, d’embaucher, de se structurer et de contribuer à la création de richesse nationale».
Le NMD lui-même identifie le besoin d’«un cadre juridique et fiscal adapté» pour que le tiers-secteur «accède à des ressources, à des marchés, et participe effectivement au développement territorial et humain». Au niveau opérationnel, l’un des verrous est l’accès aux marchés publics ou à des contrats de longue durée. Jadri souligne que «d’un côté, certains donneurs d’ordre publics affirment ne pas trouver de coopératives suffisamment solides pour répondre à un marché… Mais de l’autre, de nombreuses associations et coopératives compétentes n’arrivent toujours pas à accéder à la commande publique, faute de reconnaissance ou de mécanismes adaptés». Ce double discours illustre la nécessité de renforcer la professionnalisation du secteur : gouvernance, digitalisation, indicateurs de performance. En l’état, le secteur recule à l’arrière-plan alors que son rôle stratégique est acté.
Pour un modèle de partenariat gagnant-gagnant
Pour sortir de l’impasse, Jadri propose un modèle de partenariat public-privé-tiers-secteur reposant sur des indicateurs clairs: «les subventions publiques ne devraient plus être versées à perte, mais intégrées à des projets mesurables dans le temps, avec des indicateurs de durabilité et de performance». Le NMD confirme ce virage en recommandant l’«économie sociale comme pilier de développement national».
A cet égard, la professionnalisation, l’accès aux financements, la formation et la mesure de l’impact apparaissent comme des leviers incontournables. Le Maroc a clairement désigné le tiers-secteur comme un acteur stratégique de son développement économique et social. Pourtant, l’écart entre ambition et réalité reste important : structure fragile, cadre fiscal défavorable, manque d’accès à la commande publique… Le travail de fond reste à faire. Le défi est désormais de transformer ces milliers d’acteurs en véritables entreprises sociales, autonomes et durables, capables de créer des emplois, générer de la valeur ajoutée et contribuer au «modèle marocain» de croissance inclusive. Comme le rappelle Jadri, «c’est à ce prix que le tiers-secteur pourra enfin jouer son rôle de véritable moteur du développement durable et inclusif au Maroc».