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Enfants de la rue: pourquoi la rue attire-t-elle autant ces enfants ?

Enfants de la rue: pourquoi la rue attire-t-elle autant ces enfants ?

Ils s'improvisent cireurs, vendeurs de mouchoirs, de cigarettes au détail, porteurs de bagages, etc.

Les causes de leur fuite sont nombreuses : drames familiaux, agressions sexuelles, besoin de liberté…

 

R. K. H.

Oulad Ziane : principale gare routière du pays. Plus de 800 autocars sillonnant l’ensemble du pays chaque jour. Elle est notamment l'un des points noirs de Casablanca et compte l'une des plus fortes concentrations d'enfants des rues. Il faut savoir qu'il y a toujours une entrée et une sortie. D'autre part, on assiste à une féminisation croissante de ce phénomène (et quelques cas d’enfants subsahariens). La situation à la gare d'Oulad Ziane est révélatrice, d’autant plus que c'est là que tous les enfants arrivant d'autres régions du pays débarquent. C'est aussi un lieu de travail. Ils s'improvisent cireurs, porteurs de bagages, vendeurs de biscuits, kleenex, confiserie ou de cigarettes au détail.

 

Cartographie

Cette gare n’est par ailleurs que le cœur de la cité El Fida. Les enfants squattent plusieurs endroits autour de la gare : stade Beggar juste en face, cimetière des Chouhada (un lieu notoirement dangereux), le jardin El Amal… Un peu plus loin se trouve le périmètre Mers Sultan avec des squats, tels que Sahat Sraghna, Hermitage, Bouchentouf, garage Allal, El Méchouar et marché Jmiâa. Outre El Fida et Mers Sultan, nous avons trouvé deux grandes zones occupées : le centre-ville et l'ancienne médina. Les enfants de la rue et autres sans-abri se retrouvent dans le jardin de Verdun, à la place Maréchal, derrière le Palais de Justice, autour du Marché central, le long de la rue du Prince Moulay Abdallah, dans les alentours des hôtels avoisinant le port de pêche, ou encore à l'entrée de l'ancienne Médina et à côté du poste de Bab Marrakech… D'autres endroits où les jeunes se rassemblent peuvent être identifiés. Surtout à côté du marché des fleurs, Vélodrome, à côté du jardin Badr, derrière le lycée Lyautey et à Ain Diab, où ils peuvent avoir des activités nocturnes qui ne finissent qu’à l’aube. Lorsque vous passez devant une résidence, une villa abandonnée ou une école publique fermée, assurez-vous que des SDF, y compris des mineurs, y vivent.

 

Identité «rue»

Toutes les zones noires sont étroitement liées. Soit. Un enfant de la rue est un enfant très analytique de son environnement; il pose des repères et développe certaines techniques de survie. Il faut faire la distinction entre un enfant ayant une identité «rue» - celui qui a un CV lourd dans la rue lui permettant de maîtriser le groupe - et un «nouveau venu» inexpérimenté. Un enfant avec l'identité «rue» est passé par tous les centres sociaux de l'État. Il connaît les services des associations et leurs qualités. Il se meut beaucoup, créant son propre circuit qui lui permet de trouver de quoi manger, de quoi porter et avec quoi se droguer. Ces enfants ne connaissent pas la nuit. Ils la consacrent à la consommation de diverses sortes de drogues : colle à sniffer qui leur donne un gros appétit, alcool, haschisch, maâjoun, karkoubi (psychotropes)... C'est pourquoi les enfants mendient.

Aussi, bien qu’ils puissent voler et même agresser, ils peuvent également se prostituer pour manger ou acheter leurs addictions. Pour passer la nuit, rien de mieux que la gare routière et ses quatre grands cafés, dont le célèbre Siniya, et les mahlabas ouverts 24h/24. A 6 heures du matin, ces gamins aux identités «rue» sont suffisamment épuisés et peuvent dormir. Maintenant, ce sera la ruée vers les squats. Et les planques cinq étoiles sont bien connues dans la communauté de chemkaras. Oulad Ziane est la plus convoitée des kwanates (coins). Le critère de choix d'un refuge n'est rien d'autre que la sécurité. Car les enfants de la rue craignent les prédateurs sexuels et les fiyyalas (voleurs dans le jargon des enfants de la rue). Parfois, ils dorment sur le toit des postes de police. Ils savent qu'il n'y a pas d'endroits plus sûrs que ceux-là. Vers le milieu de l'après-midi, l’enfant à l’identité «rue» se réveille et commence sa journée à chercher de la nourriture (kazana dans la terminologie des sansabri) et de la colle. Il fait la manche et exploite les nouveaux venus.

En retour, ces derniers bénéficient de sa protection et profitent de son expérience. Dans notre jargon, nous appelons cela une relation d'influence. Les enfants ne peuvent plus quitter le groupe et doivent montrer patte blanche au leader. Bien qu'ils soient protégés par le chef, ils sont également victime d'abus, notamment sexuels. Omar, aujourd'hui âgé de 14 ans, raconte : «Les premiers jours sont toujours très durs (...) J'étais heureux d'être dans la rue, mais je n'arrêtais pas de penser à la nuit. Je passais mes journées à mendier et à chercher chi kwanne [un coin] pour passer la nuit. Pour me débarrasser de cette peur, la peur de lcap [la nuit dans le jargon des enfants de la rue], j'ai commencé à sniffer la colle».

 

Plaie

Mais pourquoi la rue attire-t-elle autant ces enfants ? Elle donne ce qu'une famille ne peut donner à un enfant. Il faut savoir que la majorité des enfants des rues de Casablanca vient de quartiers périphériques de la ville et du monde rural et dont les familles sont très pauvres. Histoires d'enfants de la rue, histoires de destins brisés, histoires de familles désunies, de violences psychologiques et physiques. Histoires d’enfants dont la majorité d'entre eux est victime d'abus sexuels par des SDF plus âgés ou par une clientèle spéciale formée de courtiers, de gardiens, de chauffeurs de taxi… Des enfants souffrant de l'absence du père ou de la mère en raison du divorce ou du remariage de l’un des géniteurs.

Des enfants qui ont préféré déserter la maison, puisque «l’enfer de la maison était pire que celui de la rue», rapporte Rachid, 12 ans, à la rue depuis trois ans. D'autres sont des enfants rejetés, le produit de relations illégitimes. L'âge moyen des enfants des rues est de 12 à 14 ans, mais certains ont entre 7 et 8 ans. Leur nombre est inconnu, mais ils se comptent certainement par milliers. Les filles des rues sont pour la plupart de petites bonnes livrées à leur sort ou des filles qui se sont enfuies de chez elles à cause de la perte de leur virginité… ! A la gare d'Oulad Ziane, les garçons sont exploités par les tenanciers des cafés et mahlabas. Ils travaillent toute une journée pour gagner 7 à 10 DH, ou lavent les autocars pour la modique somme de 5 DH. Les filles se prostituent. «Dans le café, en fin d’après-midi, le gros de l’activité, c’est la prostitution à moins de 50 DH la passe», nous souffle un certain courtier, naguère enfant de la rue. Une vérité âpre. Une réalité marocaine dans ce qu'elle a de plus profond, de plus ingrat et inavouable. Un enfant abandonné et livré à lui-même dans la rue, accroché à sa colle pour, à michemin, lui proposer une fuite assumée vers les volutes d’un onirisme, c’est donc un indicateur d’échec de toute la société. 

 

 

 

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