Jusqu’au 20 décembre, Gallery Kent abritera une exposition originale. Il s’agit d’œuvres réalisées par l’exceptionnel et trop sympathique Ahmed Amrani. Visite.
Une reconnaissance ô combien nécessaire. Gallery Kent en a pris donc l’initiative. L’idée émane d’une délicate esthète nourrie au lait de l’art, Aziza Laraki. Elle la saisit aussitôt, s’empresse de lui donner corps. Et voilà que les cimaises de sa galerie se (re) trouvent ornées d’un florilège de tableaux aux tons lumineux !
Les cinquante-trois années de travail d’Ahmed Amrani assemblées ici, offrent une leçon aux artistes hâtifs à la recherche du miracle. Amrani part du miracle certes, fruit d’une longue préméditation, mais pour le contester. Là où les autres s’arrêtent, lui commence. A ses fouilles chamarrées répondent de calmes plats. Ce labeur acharné de figuratif abstractisant, d’abstraction figurative libère ses rigoureux déliés que son formidable instinct de la composition harmonise savamment. Cette violence logique ordonne un maximalisme voulu et patient, cerné et orchestré selon un rythme choisi : fulgurance, destruction, puis précision. Désir, folie (et mort ?!) restent des thèmes sous-jacents. Silence, puis musique, comme à la corrida.
Vendredi 23 octobre. En ce jour d’ouverture de l’expo solo show, «Amrani intimo», Gallery Kent est en ébullition. A peine y avez-vous pénétré qu’une trentaine de réalisations de la plus belle eau s’offrent au regard. Vos yeux une fois dessillés discernent, dans une présentation plutôt sobre, l’essentiel de l’œuvre peinte d’Ahmed Amrani complétée par des tableaux rarement montrés. Passé le stade de l’étonnement, les visiteurs (qui ont afflué en nombre – de quoi faire pâlir beaucoup de galeristes -), apprécient, aiment, sont littéralement accrochés.
Dans «Nacimiento de la Paz (1967)», ils se sont laissés enivrer par le parfum de la passion avant de pénétrer dans les cinq pièces individuelles «sans titre (2005)». Les «Pareja I, II (2016)» ont éveillé leurs sens et les ont guidés jusqu’à la «Chrysalide I (2011)» qui leur a fait perdre la tête. Après avoir picoré des yeux «Bab Al Madina (2008)» et s’être attardé devant les cinq gouaches sur papier japonais «sans titre (2005)», ils ont indubitablement eu envie de revenir sur «L’avenir (2011)». Avant de partir, ils ont excité leurs papilles en bandant les yeux sur la «Pareja (2009)». Ils restent sûrement insensibles à cette dernière expérience.
Ici, la perception immédiate, littérale, n’est pas de mise, tant les «Sahraouis (2009)», «brumeusement» ébauchés se donnent à voir comme des métaphores interprétables. Au-delà du plaisir du déchiffrement auquel elles convient, les œuvres forcent l’admiration pour leur esthétique. Le minimalisme diaphane de «Pareja (2011)» fascine; la colle couleurs qui enrobe les six pièces individuelles réalisées en 2016 interpelle; la «Boîte à Lumière (2016)» enchante et les sombres collages du diptyque «sans titre (1999)» magnétisent.
Les quatre pièces individuelles (monotype sur papier recyclé) aux couleurs chaudes et froides, sourdes et vives, semblent préserver un secret. Celles-ci sont insaisissables. Elles consistent en formes minimales, sans âmes ni flammes. Nous, nous sommes tombés sous le charme envoûtant de cette peinture sortie du rang.
Ahmed Amrani aborde la lettre arabe en sortant des codes et des structures que régissaient traditionnellement la calligraphie. Ainsi, il opère le passage périlleux de la calligraphie à la peinture figurative dans ses formes les plus maîtrisées, moyennant un agrandissement tentaculaire et déplacement aléatoire du graphème arabe sur l’espace de la toile. De fait, la lettre se coupe de tout lien avec la langue et devient figure picturale à part entière.
Ses figures prennent une dimension tragique. Esseulées, repliées sur elles-mêmes, projetées dans des espaces vides et hostiles, les figures d’Amrani exhalent un sentiment de souffrance lot des damnés de la vie. Souvent dressée verticalement, la figure n’a pas de visage reconnaissable ni de traits identifiables. Aussi garde-t-elle constamment une part d’ombre et de mystère.
Pour qui met en doute les vertus des mélanges, il suffit de se laisser transporter par l’harmonie de «La Novia (2017)» pour voir clair. ils sont aussi uniques que l’aimée qui leur inspira le nom.
La visite est finie. Courez-y, vous serez ébahis par la verve, la fraîcheur et l’imagination d’Ahmed Amrani. Emerveillement garanti.
© Aziz Assaoud
*Le portrait de l’artiste est à retrouver dans le prochain numéro de Finances News Hebdo (n°1001).
* «Amrani intimo», jusqu’au 20 décembre, à Gallery Kent, Tanger.
Par R.K.H