Classe moyenne agricole : Le chemin sera long

Classe moyenne agricole : Le chemin sera long

1,3 des 1,6 millions de personnes touchées par la pauvreté monétaire vivent en milieu rural.

Des économistes estiment que le secteur agricole est une branche toujours dormante, en dépit de l’existence de politiques publiques.

 

 

C’est un truisme d’affirmer que le secteur agricole constitue un pilier de l’économie nationale. Le discours prononcé par le Roi devant les membres des deux Chambres du Parlement à l'occasion de l'ouverture de la 3ème année législative de la 10ème législature le conforte. En clair, l’agriculture devrait jouer un rôle socioéconomique autrement plus important pour favoriser l’émergence d’une classe moyenne agricole.

Cet impératif légitime une intrusion dans les derniers chiffres du haut-commissariat au Plan (HCP) relatifs à la pauvreté multidimensionnelle dévoilés en octobre 2017. «La pauvreté multidimensionnelle demeure principalement un phénomène rural», constatait alors le HCP. En 2014, 85,4% des personnes pauvres vivaient dans le milieu rural.  Plus édifiant encore, 1,3 des 1,6 millions de personnes touchées par la pauvreté monétaire vivent en milieu rural. Ces chiffres appellent à la révision des politiques agricoles nationales censées faire émerger des pôles ruraux de développement.

Interrogé sur les voies et moyens à suivre pour l’émergence d’une classe moyenne agricole, Najib Akesbi, économiste et professeur d’enseignement supérieur, rétorque : «La partie du discours du Roi afférent à l’agriculture sonne comme un aveu d’échec du Plan Maroc Vert (PMV)» car, ajoute-t-il, «l’un des aspects  les plus importants du PMV qui existe depuis près d’une décennie, est le pilier II qui concerne l’agriculture paysanne, pauvre et marginale, avec l’objectif de l’améliorer».

Face à ce qu’il considère comme un échec, notre interlocuteur plaide pour le changement d’options et de politiques publiques en la matière. «Le Fonds de développement agricole, qui n’a jamais eu autant d’argent, n’a pas joué son rôle. Il a plus profité aux riches exploitants agricoles qu’aux petits agriculteurs. Une immense majorité de la population rurale est pauvre. Les 2/3 des pauvres de ce pays résident en milieu rural», s’offusque-t-il,  tout en s’interrogeant sur la crédibilité des chiffres relayés un peu partout ces derniers temps.

En effet, à en croire le professeur universitaire, les données montrant que 71% des exploitations agricoles auraient une superficie de moins de 5 hectares remontent au recensement agricole de … 1996. C’est-à-dire plus de deux décennies. «En 2014, un autre recensement agricole a été effectué et les résultats déjà disponibles n’ont toujours pas été rendus publics. Les données sont à la disposition d’un nombre réduit de personnes», souligne-t-il, tout en évoquant l’article 27 de la Constitution de 2011 portant sur le droit à l’information. «Le peuple marocain a le droit de disposer de ces données sans lesquelles un débat crédible sur la contribution de l’agriculture à la richesse et à l’emploi ne peut être que biaisé», alerte-t-il.

 

Les obstacles à l’émergence de la classe moyenne rurale

«Pour différentes raisons, l’agriculture nationale ne joue pas pleinement son rôle dans l’économie nationale. Nombreux sont les terrains gelés. L’accès au foncier agricole est problématique ainsi que la mobilisation d’investissements conséquents pour le secteur», confie pour sa part l'économiste Driss Effina, qui souligne qu’en dépit des investissements publics en infrastructures dans le monde rural, l’agriculture demeure toujours un secteur «dormant». A noter que, selon le ministre de l'Agriculture, Aziz Akhannouch, 1 million d’hectares sera distribué au profit des petits agriculteurs.

Selon lui, la caractéristique des parcelles morcelées ou des petites exploitations au Maroc ne constitue pas un handicap de taille, puisqu’un pays comme le Japon est dans la même configuration. En conséquence, le débat serait ailleurs, notamment dans la capacité à introduire de la technologie pour augmenter substantiellement le rendement à l’hectare. La redynamisation du secteur passerait également par la formation des agriculteurs.

Driss Effina estime aussi que le PMV est une stratégie incomplète et tronquée, dépourvue d’une vision globale à même de booster ce secteur primaire qui, d’après les chiffres disponibles, emploierait près de 40% de la population active (soit 4 millions de personnes). D’ailleurs, ces données, qui seraient les mêmes depuis près de dix ans exaspèrent Najib Akesbi, qui affirme que: «l’on veut nous faire croire qu’en dix ans rien n’a changé. Or, d’après le HCP, aucun nouvel emploi n’a été créé par le secteur. Bien au contraire, l’on dénombre une perte de 120.000 postes de travail. Et pourtant, l’ambition du PMV en 2008 était de créer près d’1,5 million d’emplois».

Le modèle productiviste est pointé du doigt. Au regard de ce qui précède, force est d’admettre que du chemin reste à faire pour l’avènement d’une classe moyenne rurale. De plus, les critères permettant de définir la notion de classe moyenne au Maroc ne font pas consensus. Il en est de même de la taille de cette population qui diffère selon les institutions nationale et internationale. ■

 

 


Là où le bât blesse

«Notre agriculture pêche entre autres, par l’absence de grands investisseurs fins connaisseurs du domaine agricole. Par exemple, en France cette catégorie d’investisseurs a acquis les petites exploitations qui ont été agrégées. Ce qui permet d’avoir des économies d’échelle et plus de valeur ajoutée», souligne Driss Effina, qui évoque l’expérience des pays d’Europe de l’Est en matière de développement du monde rural.

«Au Maroc, nous avons encore 40% de la population vivant en milieu rural. Ce qui est contraignant économiquement en raison de la nécessité de la mise à niveau en termes d’infrastructures de base. Tandis que les pays d’Europe de l’Est avec l’aide de l’UE ont fait le choix de faciliter le déplacement des populations rurales vers les villes déjà équipées en infrastructures», précise-t-il. De ce point de vue, ne serait-il pas opportun pour un pays comme le Maroc de mettre l’accent sur la promotion des centres urbains émergents ?

 

 

M.D

 

 

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