Par Abdelhak Najib
Casablanca est construite en grande partie sur le lit de l’oued Bouskoura, qui a été obstrué dans les années 80. Cette situation augmente le potentiel de crues majeures et d’inondations pouvant noyer la ville. Celle-ci vit à la merci d’un fleuve qui peut la submerger n’importe quand et des aléas climatiques de plus en plus fréquents.
La ville de Casablanca n’existe que depuis plus d’un siècle. La zone intramuros n’excède pas les 130 ans. Durant cette jeune existence, elle a connu des inondations majeures, toutes causées par les crues de l’oued Bouskoura qui se jette dans l’océan atlantique. En 1906, 1910, 1912, 1915, 1929…alors que la ville était encore un petit conglomérat pas loin de l’actuel port et de la zone de Sidi Belyout, la montée des eaux a noyé tous les quartiers de l’époque : l’ancienne médina et ses remparts, le boulevard du 4ème zouave, l’actuel boulevard Hassan 1er, Sidi Belyout, jusqu’au port. Ceci pour ne parler que des débuts urbanistiques de la ville, qui connaîtra d’autres inondations majeures jusqu’à celles qui l’ont paralysée entre le 6 et le 11 janvier 2021.
Celles-ci ont rappelé la catastrophe et les dégâts des inondations de 2010, qui ont porté le coup de grâce à une ville qui s’est développée sur le lit d’un fleuve impétueux. Ce dernier risque de la noyer à n’importe quel moment si les pluies deviennent intenses avec les changements climatiques qui frappent le Royaume. D’ailleurs, à cause des bouleversements du climat, les risques que représente l’oued Bouskoura pour la ville de Casablanca sont très inquiétants voire effrayants pour tous les chercheurs qui n’arrêtent pas de tirer la sonnette d’alarme depuis plusieurs décennies.
Étant construite sur le lit de cet oued avec des pointes de crues qui ont connu une augmentation durant la dernière décennie, la ville peut un jour se réveiller sous les eaux comme cela fut le cas le 30 novembre 2010, quand des inondations ont occasionné des dégâts considérables dans le grand Casablanca. Plusieurs projets urbanistiques, plusieurs chantiers d’infrastructures ont été fatals au cours du fleuve et, par là même, ont accru les dangers qui guettent toute la mégapole de Casablanca. On s’en souvient, dans les années 70 et 80, nous avons assisté à la construction de la route d’El Jadida, qui a servi de prolongement au périphérique, qui joue son rôle d’autoroute urbaine. Ce projet, certes important pour la fluidité de la circulation, a perturbé de manière irréversible le lit du fleuve Bouskoura dont le lit a été définitivement obstrué.
Si l’on fait l’inventaire de toutes les zones construites aujourd’hui sur le lit du fleuve, on se rend compte qu’il y a de quoi avoir froid dans le dos. L’ancien aéroport d’Anfa, le Parc d’exposition de l’Office des changes, l’Ecole Hassania des travaux publics, les facultés et les sièges de sociétés aux alentours, le siège de l’OCP, qui malgré le fait qu’il ne soit pas directement sur le lit n’est pas épargné, non plus, puisque en 2010, il n’a pas échappé aux crues qui ont frappé toute la ville du Nord au Sud,et de l’Est à l’Ouest. Il faut aussi ajouter à la liste des zones à hauts risques toutes les zones résidentielles comme le lotissement Allaymoun, le nouveau pôle urbain de Casablanca qui abrite des centaines de milliers d’habitants et son prolongement vers la zone côtière de Sidi Abderrahmane au port. Sans oublier le quartier Riviera, Cité plateau, le quartier Palmiers et toute la zone de Ben Jdia.
Pour de nombreux urbanistes et ingénieurs, ce qui devait être fait en amont pour éviter toute catastrophe, n’a pas été fait. Et les mesures nécessaires n’ont pas été prises pour résoudre un véritable casse-tête qui peut déboucher sur un drame humain de grande envergure. Pour les spécialistes, les choses sont claires : «on s’est juste contenté d’aménager des petites voies à proximité des routes et autoroutes qui s’avéreraient incapables de contenir les eaux en cas de fortes précipitations».
Dans cette lancée d’ajourner le pire qui peut s’abattre sur la ville et toute sa région, les responsables ont même abandonné les projets de réalisation de parcs au profit de l’urbanisation galopante. On peut citer à titre d’exemple très parlant, la zone verte de protection de l’oued Bouskoura contenue dans le premier schéma directeur d’aménagement urbain (SDAU) de la ville en 1984. Ce projet prévoyait deux lacs de retenue qui n’ont jamais vu le jour. Toutes ces mesures primordiales ont fait les frais de la course à l’urbanisation coûte que coûte. Les dégâts sont aujourd’hui là pour attester d’une gestion pour le moins en contradiction avec les données géologiques d’une cité dont le destin est intimement lié à celui d’un fleuve souterrain qui n’en fait qu’à sa tête et dont le danger est une bombe à retardement qui menace grandement la capitale économique du pays.