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Gouvernement Akhannouch, an I : autosatisfaction, optimisme et… annonces

Gouvernement Akhannouch, an I : autosatisfaction, optimisme et… annonces

Le chef de l'exécutif, Aziz Akhannouch, a sacrifié à l'exercice traditionnel du premier bilan annuel de son cabinet. Mais à sa façon, dans le cadre de la quatrième édition de l'Université des jeunes du RNI qu'il préside depuis octobre 2016. Question : N'était-il pas plus indiqué qu'il le fasse es-qualité, pourrait-on dire, en tant que responsable d'une équipe gouvernementale formée aussi de deux alliés, en l'occurrence le parti de l'Istiqlal de Nizar Baraka, et le PAM d'Abdellatif Ouahbi. Voilà qui parait bien traduire l'état de la majorité actuelle, formellement solidaire et homogène sans doute, mais chacune de ses composantes se déployant à son rythme et avec ses propres desseins. Cette information donnée par un hebdomadaire, voici trois semaines, sur un «remaniement» nourrit par ailleurs bien des interrogations. Qu'en sera-t-il au vrai ?

Cela dit, l'on a eu droit dans la capitale du Souss à un show médiatique accentué face à un public de quelque 4.500 jeunes. Des messages politiques ont été envoyés dans plusieurs directions. Dans une large mesure, il a tenu à rappeler les promesses faites par sa formation lors de la campagne électorale 2008. Il a mis en cause, de nouveau, le bilan de gestion gouvernementale des deux précédents cabinets islamistes du PJD (Abdelilah Benkirane et Saâd Eddine El Otmani). Il a fait référence ainsi à dix ans de «retard de développement». Oui, sans doute, sauf à préciser qu'il avait en charge, lui, un département important. Agriculture, pêche maritime, développement rural, eaux et forêts, et ce durant pas moins de quatorze ans (octobre 2007 / octobre 202I). De plus, son parti de la Colombe était dans la majorité sortante du cabinet El Otmani avec des ministères-clés (économie et finances, commerce et industrie, justice, tourisme, etc.). 
Autre posture : la fin du populisme, avec la mise en cause de son usage dans les précédents cabinets - Akhannouch précise à cet égard «qu'il préfère se concentrer sur un travail de fond pour pouvoir ensuite en parler avec des mesures concrètes et tangibles».

 

Un travail de fond ?

Mais lesquels ? Le premier axe de l'action gouvernementale a porté sur la protection du pouvoir d'achat des citoyens face aux fluctuations du marché international : plus du doublement des plafonds de la Caisse de compensation de 16 milliards de DH budgétisés à 35 Mds de DH; des aides financières exceptionnelles de soutien aux professionnels du transport; maintien des prix des matières premières; un fonds d'urgence aux professionnels du tourisme. Pour ce qui est des grands chantiers, le système de santé et le système éducatif, une loi-cadre a été adoptée et elle fait l'objet aujourd’hui d'une délibération parlementaire. Il est prévu une enveloppe budgétaire d’un Md de DH sur deux ans pour le premier et de 4 Mds de DH sur cinq ans pour le second. Avec la Charte d'investissement, là encore, l'on voit un nouveau cadre législatif qui devra se décliner dès 2023 par la mise en œuvre de politiques publiques sectorielles et territoriales.

Cela suffit-il pour autant ? Rien n'est moins sûr si celles-ci ne sont pas accompagnées par une amélioration et une stimulation de l'environnement des affaires (administration, fiscalité, financement approprié, justice...). Les PME et les TPME constituent plus de 90% du tissu économique national : comment les soutenir, d’autant plus qu’elles accusent bien des difficultés, les faillites se sont aggravées (10%). 

L'emploi est à promouvoir : une priorité. Le HCP précise qu'au cours du second trimestre 2022, le taux de chômage a baissé de 12,8% à 11,2% au niveau national (15% en milieu urbain et 4% en milieu rural). A noter à ce sujet les lancements des programmes Awrach de création de postes temporaires (18.000 projets retenus, dont 1.000 financés pour la première tranche); Forsa aussi visant à financer au minimum 10.000 projets en 2022, qui s'est vu consacrer une enveloppe budgétaire de 1,25 milliard de DH; et enfin celui d'Intelaka pour aider les entreprises à couvrir leurs besoins d'investissement et de fonctionnement jusqu'à 1,2 MDH, avec un taux d'intérêt à 2% (HT) - il a bénéficié à la fin juin 2022 à 36.500 unités économiques pour un total de 7,75 MDH.

Le dialogue social est un autre chapitre du bilan. Après l'accord du 30 avril 2022, il a été réactivé avec des mesures d'augmentation du SMIG de 10% (septembre 2022- septembre 2023), du SMAG aussi et son institutionnalisation. vLes aides mensuelles directes (allocations familiales) en faveur de 7 millions d'enfants et de 3 millions de familles en situation de précarité. La finalisation du programme du Registre social unifié (RSU) sera à l'avenir - en 2023 ? - le seul critère des aides et des subventions au niveau national.

Mais d'autres dossiers à l'ordre du jour sont encore en instance. C’est que l'état des lieux en 2022 et les prévisions pour 2023 confirment la situation difficile de l'économie nationale post-Covid. La Banque mondiale a fait un rapport passablement abrupt : en 2022, la relance économique «tourne à sec». Le Maroc «subit une nouvelle fois l'impact d'une série de chocs négatifs» qui se sont renforcés mutuellement (mauvaise campagne agricole de 32 millions de quintaux, sécheresse, flambée des cours des hydrocarbures et des prix de matières premières, etc.). Si bien que le taux de croissance prévu pour cette année est seulement de 1,2% après les 7,9% de 2021. Pour 2023, il devrait rebondir à hauteur de 4,3 %. La question du stress hydrique se pose avec acuité. Le taux de remplissage des barrages, au 6 septembre 2022, est globalement de 25% contre 40 % en 2021.

 

Besoins de financement

Le FMI considère que les besoins de financement appropriés qu'une trajectoire de croissance plus forte retenue (6% en 2025 et au-delà jusqu'à 2035) commande des moyens de financement importants; et que les impacts qui en sont attendus restent «entourés d'une grande incertitude». Ce qui est en cause ? La taille et le calendrier de cet impact global sur la croissance, mais aussi la mobilisation des financements appropriés. Il faut y ajouter, dans cette même ligne, une double crainte : celle d'un déficit budgétaire qui ne pourra qu'accuser un fort creusement; et celui d'un endettement public pratiquement à la limite de la soutenabilité.

Comment y remédier ? Par une grande réforme fiscale pouvant augmenter les recettes et en particulier l'impôt sur la fortune, sur les successions aussi, ainsi qu'une taxe carbone; par une rationalisation des dépenses publiques; et par une réforme de l'administration et en particulier du statut de la fonction publique de 1958.
Au plan macroéconomique, des indicateurs sont en rouge : déficit du compte courant qui se creuse à 5,5% du PIB (après 2,6%) en 2021; envol des importations (facture énergétique et produits agricoles, alimentaires et de consommation) de 15% vs 12% pour les exportations, tirées par le secteur automobile ainsi que par les phosphates et dérivés. A noter les transferts MRE (80 milliards de DH), après un niveau exceptionnel de 93 milliards de DH en 2021 et une reprise des flux IDE après une hausse de 20% en 2021, soit 20 milliards de DH. Quant aux réserves de change, elles sont aujourd'hui confortables avec des avoirs se situant à 342 milliards de DH, assurant ainsi une couverture de l'ordre de 6 mois et demi d'importations de biens et de services.

 

Marge de manœuvre

Cela dit, sur la base de toutes ces données, quelle est la marge de manœuvre du gouvernement ? Il faut bien mettre en œuvre les grands chantiers prévus, tel celui de la protection sociale; il convient également de continuer à soutenir l'économie nationale. Le HCP précise à cet égard qu'une telle orientation est combinée à une augmentation des dépenses d'investissement (+ 7,2%) et des dépenses ordinaires incompréhensibles (27% du PIB) liées, elles, à la hausse des dépenses de la masse salariale (+12%) et des autres biens et services (+ 6%).

Pour 2022, le gouvernement a retenu un taux d'endettement du Trésor de 78,5% du PIB, 60% pour la dette intérieure et 18,5% de celle extérieure. Le taux d'endettement public global - y compris celui des établissements et entreprises publics (EEP) garantis par l'Etat- devrait se stabiliser autour de 93,2% en 2022, soit trois points de plus qu'en 2021 (90,3%). Un tel chiffre traduit-il le seuil soutenable ? Au-delà, la capacité de remboursement serait-elle assurée ? En tout cas, ce taux d'endettement n'a fait qu'augmenter depuis une bonne dizaine d'années en grimpant de 49% en 2020 à 76,1% en 2021, comme l'a d'ailleurs relevé la Banque africaine de développement (BAD) dans son dernier rapport - une tendance qui se retrouve d'ailleurs en Algérie (10% - 53% du PIB), en Egypte (44% - 60%), en Tunisie (40% - 87%),..

Le cabinet Akhannouch pâtit, outre toutes les contraintes exogènes et endogènes, d'un état d'esprit préoccupant dans l'opinion publique. Une enquête du HCP pour le deuxième trimestre 2022 traduit bien cette situation : près de 80% des ménages déclarent une dégradation de leur niveau de vie durant les douze derniers mois. Pour les douze mois à venir, 47% d'entre eux sont dans cette même disposition d'esprit. Pour ce qui est de l'emploi, 86% s'attendent à une contraction, avec une hausse du chômage. La hausse des prix est aussi au centre de leurs préoccupations avec un taux de 8% prévu en 2022 et de 12% pour les produits de grande consommation. La pression inflationniste persiste et rien n'indique pour l'heure qu'elle sera réduite à terme. Le schéma est connu : celui du cumul de contraintes - le désalignement des planètes...

 

 

Par Mustapha SEHIMI
Professeur de droit (UM5, Rabat), Politologue 

 

 

 

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