Soutien aux entreprises : armer les TPME pour gagner la bataille de l’investissement et de l’emploi

Soutien aux entreprises : armer les TPME pour gagner la bataille de l’investissement et de l’emploi

Le gouvernement a lancé mardi 12 novembre le nouveau dispositif de soutien aux TPME. Une subvention pouvant atteindre 30% de l’investissement éligible. Mais sa faisabilité sur le terrain interroge encore.

 

Par Désy M.

Qu’attendre du nouveau dispositif des TPME ? La question se pose à toutes les parties prenantes ayant œuvré à la conception et l’élaboration de ce dernier, notamment le gouvernement et le patronat. Mais aussi à ceux qui l’implémenteront sur l’étendue du territoire national, à savoir les Centres régionaux d’investissements (CRI), et aux TPME elles-mêmes.

Rappelons que le Maroc entend créer 500.000 emplois et mobiliser 550 milliards de dirhams d’investissements d’ici 2026. Et pour y parvenir, il fait le pari d’une croissance portée par l’ancrage local, l’emploi stable et l’initiative privée qui, pour l’instant, est en dessous des attentes avec un investissement plafonné à 25% du PIB national.

Il faut donc inverser la tendance en mettant en place ce nouveau dispositif public de soutien, ciblant directement les TPME, en leur offrant des aides sur-mesure pour investir, recruter et se développer partout sur le territoire. Cet outil adossé à la nouvelle charte d’investissement promet des subventions directes allant jusqu'à 30% de l'investissement éligible via trois leviers : emploi, territoire et activités prioritaires.

«Ce dispositif peut résoudre le problème de financement, mais sans résorber les autres problèmes auxquels font face les TPME, à savoir la concurrence déloyale du secteur informel, le taux élevé des faillites, le retard de paiement des marchés publics et même l’accès à ces marchés. Encore faut-il prévoir des mesures d’accompagnement pour donner toutes les chances à la réussite de ces projets», souligne Nizar Benyoussef, docteur en sciences de gestion.

Au vu de ces défis, on en vient à se demander comment concrètement ce dispositif est perçu par les TPME qui constituent plus de 90% du tissu économique national ? Omar, entrepreneur dans le BTP issu de la province rurale de Tinghir, a écouté l’annonce avec un mélange d’espoir et de prudence. Son entreprise familiale, qui emploie une dizaine d’ouvriers, travaille par à-coups au gré des chantiers publics et des projets privés rarement assurés d’un financement stable. L’idée d’une subvention pouvant atteindre 30% de l’investissement l’a interpellé.

«J’ai pensé que c’était enfin l’occasion de moderniser mon matériel, d’acheter une mini-pelle ou un camion supplémentaire», dit-il. Mais il ajoute aussitôt : «quand j’ai compris qu’il fallait un chiffre d’affaire d’un million de dirhams au minimum et apporter 10% en fonds propres, je me suis dit que ce n’était pas pour nous. Dans les villages, on travaille quand il y a de quoi travailler, pas avec des montants pareils», renchérit l’entrepreneur. Pourtant, il répond à deux des critères essentiels du dispositif,  à savoir la situation géographique qui lui donne accès à la prime territoriale de 15% et celui de la création d’emplois.

«Les jeunes sont là, prêts à travailler», insiste-t-il. Toutefois, sans garanties bancaires, ses perspectives d’investissement restent fragiles. Le CRI pourra l’accompagner dans son dossier, mais pas lever l’obstacle structurel des garanties demandées par les banques, souvent supérieures au montant sollicité. À Casablanca, la situation de Fatima, à la tête d’une petite société de services hôteliers, est différente, mais l’interrogation est la même.

Son entreprise, qui intervient auprès d’hôtels et de maisons d’hôtes pour l’intendance et la gestion des équipes de housekeeping, affiche un chiffre d’affaires qui la rend éligible aux seuils fixés par les arrêtés. Elle voit dans ce dispositif une réelle opportunité d’apporter une valeur ajoutée à son activité, notamment dans la formation de nouvelles équipes. «Le tourisme bénéficie d’un ratio d’emploi plus souple, et dans mon secteur, il est possible de créer rapidement des postes», témoigne-t-elle.

Elle nuance toutefois que «même pour une petite structure organisée comme la mienne, réunir 10% de fonds propres, c’est un effort énorme. Nous sommes dans un secteur où les contrats sont irréguliers et les impayés fréquents». Si les subventions promises deviennent un effet de levier bancaire, son entreprise pourrait franchir un palier. Mais sans cela, c’est un pari risqué. Ces deux cas illustrent les premiers défis d’un dispositif ambitieux, mais qui repose sur des exigences précises : projets d’investissement compris entre 1 et 50 millions de dirhams, ratio emploi-investissement d’au moins 1,5 (ou 1 pour le tourisme) et contribution de 10% en fonds propres.

Dans une déclaration aux médias, Yassine Tazi, directeur du CRI de Tanger-TétouanAl Hoceima, a affirmé que ces conditions répondent à un objectif précis : «l’État soutient, mais l’entreprise doit démontrer sa capacité à investir. C’est un partage de risque, pas un financement à blanc». Il insiste également sur la logique territoriale : «les régions qui manquent d’attractivité seront mieux servies, via des primes allant jusqu’à 15%. L’idée est de réduire les déséquilibres économiques persistants». Mais Tazi reconnaît que toute la réussite du mécanisme dépendra de son exécution. «Les CRI sont prêts, les équipes renforcées. L’enjeu réel, maintenant, c’est la coordination avec les banques et la clarté des procédures», note-t-il.

L’unanimité n’est pas au rendez-vous

Cette mise en œuvre soulève toutefois une critique frontale, celle de la Confédération marocaine des TPE-PME, qui estime que le dispositif «exclut 99,99% des TPE», en raison du seuil d’investissement minimum d’un million de dirhams, jugé inaccessible pour la quasi-totalité des petites structures, souvent fragiles, peu capitalisées et déjà confrontées à une pression fiscale accrue.

Dans son communiqué, la Confédération dénonce également la déconnexion entre le discours officiel et la réalité économique du terrain. Le chef du gouvernement avait affirmé à Errachidia qu’il était «facile» pour une TPE d’obtenir un crédit bancaire et d’investir un million de dirhams. Une déclaration qui a suscité une vive réaction parmi les petits entrepreneurs, déjà échaudés par les difficultés d’accès au crédit, les garanties disproportionnées exigées ou encore l’alourdissement progressif de la fiscalité, avec un taux d’IS qui doit atteindre 20% en 2026, soit autant que les grandes entreprises.

Cette tension s’inscrit dans un contexte où d’autres dispositifs, comme Intelaka ou Forsa, n’ont pas produit les résultats escomptés, faute d’accompagnement personnalisé, de suivi rigoureux ou de coordination avec les banques. Les CRI promettent un suivi précis basé sur le contrôle des emplois via la CNSS, la publication des indicateurs région par région et audits externes possibles. Une volonté qui, si elle se confirme, pourrait contribuer à instaurer une culture d’évaluation encore trop peu présente dans les politiques publiques liées à l’investissement. Reste que la question de l’impact réel demeure ouverte.

L’effet de levier des subventions peut être déterminant, mais seulement si les banques jouent leur rôle, si les délais de versement sont raisonnables et si les projets soutenus sont suivis avec rigueur. Omar, veut y croire : «Si on m’aide à structurer mon projet, je peux créer de l’emploi chez nous. Les jeunes ne demandent que ça».

Fatima partage cet optimisme mesuré : «Ce dispositif peut nous aider à grandir, mais il faut que les procédures soient simples et les promesses tenues». Le dispositif vient d’être lancé. Les prochains mois diront si cette nouvelle initiative est capable de changer la trajectoire des petites entreprises marocaines ou si elle restera une annonce de plus dans un paysage où les promesses d’accompagnement ont trop souvent laissé place à la déception.

 

 

 

 

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