Le 29 novembre dernier s’est tenu à Dakar la 8ème et très attendue Conférence ministérielle du Forum sur la coopération sino-africaine.
Centré sur la question commerciale et sécuritaire, ce sommet a été également l’occasion pour le Président chinois Xi Jinping, qui n’a pas jugé utile de se déplacer physiquement, de promettre aux Etats africains un partenariat plus équilibré.
En effet, l’ascension fulgurante des échanges et des investissements entre l’empire du Milieu et le continent africain ne doit aucunement occulter les profonds déséquilibres qui structurent ce partenariat.
Surendettement des Etats africains, absence de transfert de technologies, peu de création d’emplois et déséquilibre des balances commerciales des économies africaines constituent les principales failles d’une collaboration qui ne semble aller que dans un sens, celui de Pékin.
Certes, contrairement aux bailleurs de fonds occidentaux comme le FMI, la BM ou encore les Etats occidentaux, la Chine adopte vis-à-vis du continent une approche autant pragmatique que souverainiste. La devise chinoise en relations internationales autant que dans le commerce mondial pourrait être : «Charbonnier est maître chez soi».
De quoi séduire bon nombre de régimes politiques, souvent stigmatisés par les démocraties libérales, dès lors qu’un chef d’Etat africain cherche ou ne serait-ce qu’entrevoit la possibilité d’une relative émancipation de la tutelle occidentale. Un droit-de-l’hommisme à deux vitesses, qui semble suspendu telle une épée de Damoclès sur la tête de chaque chef d’Etat sur le continent. L’exemple de Laurent Gbagbo et de l’intervention militaire française en Côte d’Ivoire en 2002 est là pour en témoigner, autant que celui plus récent de l’intervention franco-britannique en Lybie en 2011.
Plus proche de nous, les différents froids diplomatiques qu’a connus notre pays avec notre «partenaire» français, ne sont que l’expression d’une incapacité de l’Elysée et du Quai d’Orsay à intégrer l’idée qu’en étant un Etat souverain, le Maroc émerge lentement mais sûrement en tant que puissance régionale et continentale. Les prismes du pré-carré et de la zone d’influence font, qu’à force de vouloir gagner l’Afrique, la France risque de la perdre.
Car Paris n’est plus seule maître à bord dans la région. Ayant perdu toute influence sur le continent depuis l’effondrement de l’Union soviétique, la Russie a entamé ces dernières années un retour en force par le biais du sécuritaire. En capitalisant sur la réussite de son intervention militaire en Syrie, Moscou se propose comme un partenaire fiable et efficace en vue d’aider les pays africains à sanctuariser militairement leur territoire, autant que le pouvoir politique. C’est déjà le cas en République Centrafricaine et au Mali. D’autres pays dans la région semblent de plus en plus séduits par cette perspective.
Les Etats-Unis ne sont pas en reste dans cette affaire. Le récent rapprochement stratégique majeur avec Rabat ainsi que les liens solides qui les lient au Caire, font que Washington a des cartes solides à jouer sur le continent. La récente visite d’Anthony Blinken au Kenya, Nigéria et au Sénégal vise à proposer les Etats-Unis comme une alternative crédible et accommodante au schéma de prédation de Pékin, sachant que deux de ces trois pays, à savoir le Kenya et le Nigéria, figurent parmi les pays les plus endettés vis-à-vis de la Chine. Enfin, d’autres puissances intermédiaires comme la Turquie, les EAU ou encore l’Arabie Saoudite tentent également de placer leurs pions dans la région.
Pour revenir à la Chine, il est important de noter que le caractère respectueux de la souveraineté des Etats africains, est loin de suffire pour pérenniser la présence chinoise sur le continent. Tant que Pékin continuera à percevoir l’Afrique comme une immense terre arable et un simple sous-sol qu’il s’agit d’exploiter dans une logique de troc, aucun partenariat solide ne pourra être inscrit sur la longue durée.
Un passage de la «Françafrique» à la «Chinafrique» ne sera au final qu’une transition d’une tutelle à une autre. L’avenir de l’Afrique ou des Afriques, réside dans la prise en main de sa propre destinée, la reconquête de sa souveraineté politique, et son émergence en tant que pôle géopolitique continental. En attendant, l’Afrique demeurera un «objet» géopolitique, faute de se donner les moyens de s’ériger en «sujet» géopolitique.
Rachid Achachi, chroniqueur, DG d’Arkhé Consulting