«Il y a besoin d’une véritable stratégie nationale en matière de RSE»

«Il y a besoin d’une véritable stratégie nationale en matière de RSE»

Fouad Benseddik, DG au Maroc et membre du Comité de direction Corporate (en France) de Vigeo Eiris. Photo © FNH.ma, S. Zefri


 

Une démarche de responsabilité sociale peut avoir des impacts directs sur l’efficacité de l’entreprise.

Fouad Benseddik, DG au Maroc et membre du Comité de direction Corporate (en France) de Vigeo Eiris , nous livre sa recette pour une stratégie RSE réussie, en marge de la conférence de la Fondation d’Attijariwafa bank consacrée à cette question.

 

Propos recueillis par Lilia Habboul

 

 

Finances News Hebdo : Que faire pour que la RSE soit davantage tournée vers la TPME ?

Fouad Benseddik : La majorité des entreprises marocaines sont des TPME, 90% d’entre elles emploient moins de dix salariés, et 85% moins de quatre salariés. Il faut avoir à l’esprit que le tissu économique marocain est très majoritairement composé de micro-entreprises sur lequel pèsent des exigences administratives, bancaires, fiscales et sociales (en termes de cotisations aux organismes de sécurité) peu différenciées, lourdes et qui produisent, soit un effet d’éviction du secteur formel vers le secteur informel, soit un seuil infranchissable de l’informel vers le formel.

Pour que tous ces opérateurs qui sont la sève vivante de l’économie du pays puissent s’engager sur des objectifs de responsabilité sociale, il faut qu’ils aient au minimum la capacité de se conformer aux minima légaux. Or, en l’état, cela est tout sauf facile pour la majorité d’entre eux.

Il y a besoin d’aider, appuyer et accompagner ce tissu essentiel de petites entreprises pour qu’il grandisse et prospère. Cela est une responsabilité de tous. A commencer par les grandes entreprises donneurs d’ordres, les pouvoirs publics, les collectivités locales, tous devraient mettre en place des plans actifs, innovants, volontaristes, d’accompagnement, de soutien à ces petites et moyennes entreprises pour qu’elles bénéficient d’un cadre fiscal, d’une réglementation sociale, et de procédures d’achat qui leur permettent de disposer de visibilité et de prévisibilité et d’appuis pour développer leur business.

Dans cet esprit, les entreprises en capacité de démontrer leurs aptitudes à respecter un minima de règles sociales et un minima d’exigences environnementales devraient être particulièrement reconnues, aidées et promues. Les conditions d’accès au crédit, les taux d’imposition, et même les taux de cotisation aux organismes de sécurité sociale devraient être questionnés en ce sens. Pour ce faire, il y a besoin d’une véritable stratégie nationale.

 

F.N.H. : Une entreprise insuffisamment attentive à sa RSE est-elle exposée à des risques ?

F. B. : La responsabilité sociale est en effet un champ de risques. Ils concernent la réputation, l’image de marque, la capacité à attirer des talents et à les retenir, l’accès aux financements. Ces risques concernent aussi le capital humain, sa cohésion, l’esprit de coopération au sein d’une entreprise, la capacité à innover, à coopérer, à prévenir et résoudre les conflits, le climat social, le sentiment d’appartenance.

Une démarche responsabilité sociale peut avoir des impacts directs sur l’efficacité de l’organisation. Elle peut agir aussi sur l’efficience des opérations, c’est pour cela par exemple qu’il faut s’attacher dans les processus d’achat à sélectionner les fournisseurs sur des critères prenant clairement en compte des facteurs sociaux et environnementaux.

La bonne maîtrise des risques de sécurité juridique est aussi un enjeu. Ces risques de responsabilité sociale doivent bien sûr être envisagés en termes de coût : toute organisation qui négligerait ses responsabilités sociales, environnementales, éthiques et de gouvernance verrait se dégrader sa réputation, la cohésion de son capital humain, l’efficience de ses opérations, l’efficacité de son organisation et s’exposerait à des risques juridiques élevés.

Mais ces risques doivent être aussi envisagés positivement : une entreprise qui a une bonne réputation, un niveau élevé de cohésion de son capital humain, une organisation efficace et des opérations efficientes et un bon niveau de sécurité juridique augmente la valeur de ses actifs, de ses capitaux stratégiques.

Le niveau d’engagement en faveur des objectifs de responsabilité sociale peut faire varier à la hausse ou à la baisse le niveau de maîtrise de ses risques stratégiques. Et de ce point de vue, une démarche de responsabilité sociale doit d’abord être conçue comme un processus de gestion de risques.

Lorsque ses risques liés à ses facteurs de responsabilité sociale sont bien maîtrisés, l’entreprise renforce sa capacité à créer de la valeur, ses actifs stratégiques et améliore sa propre durabilité. Par ces moyens, elle améliore sa capacité d’accès aux capitaux, son attractivité vis-à-vis des talents, la confiance de ses clients, de ses fournisseurs, des apporteurs de capitaux, de ses actionnaires et, de façon plus générale et à long terme, l’acceptabilité de sa marque, de ses produits et de ses services par rapport aux consommateurs.

A l’inverse, une entreprise qui négligerait ses risques de responsabilité sociale, se verrait petit à petit rejetée en termes d’image, en termes d’acceptabilité de sa marque, de ses produits et de ses services et peut être exposée à des risques de perte de marchés voire de façon plus grave à des campagnes de boycott par rapport à ses produits et à ses services.

 

F.N.H. : Quels sont les différents outils d’évaluation des démarches et la gestion des risques de la RSE ?

F. B. : Il y a plusieurs approches possibles. Une approche interne, qui doit participer de la gestion des risques de façon générale, du risk management, et qui devrait intéresser les équipes de direction et le conseil d’administration ou de surveillance.

Il est difficile de faire vivre une démarche de responsabilité sociale sans l’engagement des organes de direction et de gouvernance. Il est nécessaire de mettre en place des dispositifs appropriés pour réduire ces risques.

Réduire les risques de responsabilité sociale c’est réduire les incertitudes. Les incertitudes liées aux relations avec les différentes catégories des parties prenantes, les collaborateurs et leurs représentants, les clients, les fournisseurs, les consommateurs, les régulateurs, etc.

Chaque catégorie de parties prenantes est porteuse d’attentes, de demandes, de droits : réduire les risques de responsabilité sociale consiste d’abord à identifier les attentes, les intérêts et les droits des différentes parties prenantes et à se demander jusqu’à quel point ces attentes, ces intérêts et ces droits sont correctement pris en compte dans l’organisation et les opérations de l’entreprise. Ceci, est la responsabilité d’abord du conseil d’administration, ensuite d’une Direction générale, puis des structures en charge du risk management et aussi des structures spécifiquement dédiées au développement, au suivi, à l’évaluation des démarches de responsabilité sociale.

Cela doit donner lieu également à des reportings, pour rendre compte du niveau auquel ces risques sont réellement identifiés et pris en compte. Il peut s’agir des risques liés à la qualité de l’information vis-à-vis des collaborateurs, des risques liés au dialogue social, des risques environnementaux, des risques liés à l’utilisation des matières premières, des déchets, les risques liés à la corruption qu’il faut prévenir, des risques liés au respect des règles de la concurrence, des risques liés aux achats, à la sélection des fournisseurs, etc.

Tous ces risques doivent être identifiés avec méthode, de la même façon que l’on questionne les risques d’incendie, les risques de change, ou les risques comptables et financiers.

A côté de cette identification interne des risques de responsabilité sociale, il peut être utile de recourir à des évaluations externes dans le cadre des revues de risques externes.  L’évaluation externe a vocation à compléter l’évaluation interne, elle ne peut pas s’y substituer, il convient que les deux s’articulent dans une dynamique d’amélioration continue.

 

F.N.H. : Peut-on envisager une guerre commerciale au niveau international utilisant les arguments ou la notation de la responsabilité sociale ?

F. B. : Sans aller jusqu’à parler de «guerre», la réponse est que oui, la responsabilité sociale est un enjeu concurrentiel. De plus en plus de voix s’élèvent et de plus en plus d’acteurs s’engagent pour ne pas commercer avec  des entreprises ou des fournisseurs dont le comportement en matière de droits de l’homme, sociale, environnementale, d’éthique des affaires ou de corruption n’est pas conforme à un minimum de règles en ligne avec les standards internationaux.

A cela s’ajoute que les entreprises qui produisent des biens ou des services controversés comme le tabac, l’énergie fossile à partir du charbon ou du pétrole, ou qui ont des impacts négatifs comme la déforestation via l’huile de palme, tout ce qui consiste à produire des armes à sous-munition sont de plus en plus exclues des fonds d’investissement.

Il existe aujourd’hui des listes d’exclusion que les banques se doivent d’établir et respecter pour pouvoir accéder à des lignes de financement auprès de banques de développement.

Il va de soi que l’exigence de conformité par rapport aux standards sociaux, environnementaux et aux règles de conduite responsable dans le business vont se renforcer.

Dans cette spirale, les gagnants seront les PME et les entreprises qui sauront intégrer les exigences de responsabilité sociale, et en faire un référentiel de principes, d’objectifs, et de conduite tandis que les perdants seront ceux qui nourriraient l’illusion de pouvoir prospérer sur de la moins-disance  en matière sociale et environnementale. Le risque de durabilité est un risque stratégique au cœur duquel interviennent des facteurs de responsabilité sociale qui ne peuvent plus être découplés du business. ◆

 

 

 

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