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Environnement: le patrimoine forestier marocain en détresse

Environnement: le patrimoine forestier marocain en détresse

La forêt marocaine subit annuellement une dégradation considérable de son couvert, estimée à 17.000 hectares.

Cette situation s’explique par plusieurs raisons, notamment les effets du changement climatique, la surexploitation fourragère, les incendies, ou encore le manque de gardes forestiers.

 

Par M. Ait Ouaanna

La situation des forêts du Royaume est de plus en plus inquiétante et les chiffres sont là pour le prouver. S’étalant sur une superficie de 9 millions d’hectares (ha), dont 3,2 millions d’hectares de nappes alfatières et 5,3 millions d’hectares boisés, le patrimoine forestier national perd annuellement environ 17.000 ha de son couvert, en raison de plusieurs facteurs climatiques et anthropiques. C’est le constat alarmant fait par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans son dernier avis intitulé «Ecosystèmes forestiers du Maroc : Risques, défis et opportunités».

Couvrant près de 13% du territoire national, la forêt marocaine abrite 7 millions d’habitants, soit 50% de la population rurale en situation sociale précaire, contribue à hauteur de 1,5% au PIB et génère à peu près 50.000 emplois permanents. S’agissant de la contribution de l’écosystème forestier marocain au PIB agricole, une étude menée par l’Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) révèle que celle-ci est estimée à 10%, compte tenu des revenus tirés directement par les populations riveraines sous forme de bois de feu et de menus produits divers. Or, ce patrimoine est aujourd’hui menacé par une dégradation continue qui, d’après le CESE, s’explique notamment par les effets négatifs du réchauffement global, le prélèvement excessif de 3 millions de tonnes par an en bois de feu, ainsi que la surexploitation fourragère, deux à trois fois plus élevée par rapport aux capacités des écosystèmes forestiers.

Manque de gardes forestiers Interrogé sur les causes de cette détérioration du domaine forestier, Mohamed Benata, ingénieur agronome, docteur en géographie, président de l’Espace de solidarité et de coopération de l’Oriental (ESCO), révèle que cette situation résulte également de la chute «drastique» du nombre de gardes forestiers au cours de ces dernières années.

«Outre le changement climatique, la sécheresse et la surexploitation du pâturage dans les forêts, plusieurs facteurs contribuent à la dégradation de ce patrimoine national très bénéfique aussi bien pour la nature que pour l’être humain. Cette situation désolante est d’abord due à la régression des moyens humains déployés par le département des Eaux et Forêts. En effet, depuis que l’administration a décidé de se retirer et de libérer les fonctionnaires sans recours à un nouveau recrutement, le nombre de gardes forestiers a connu une baisse considérable. En l’absence de ces agents chargés de surveiller et d'entretenir les forêts, il faut s’attendre à une telle situation», regrette notre interlocuteur.

Complicité avec les «mafias du bois» Et de poursuivre : «Aussi, cette situation est en partie attribuable au fait que certains fonctionnaires relevant du département des Eaux et Forêts ou d’autres administrations censés protéger ce patrimoine naturel ne font pas leur travail correctement. D’ailleurs, parmi les quelques gardes forestiers toujours en exercice, certains sont en complicité avec des mafias qui se sont spécialisées dans le vol des cèdres et du bois des forêts du Royaume», déplore-t-il. En plus des facteurs précités, la détérioration de la forêt marocaine est en outre liée à la multiplication des incendies. Selon l’Agence nationale des eaux et forêts (ANEF), au Maroc, en moyenne, 295 feux incendient 2.980 ha par an. Notons que durant la période 1960- 2019, 17.711 départs de feux ont été recensés et près de 178.773 ha ont été endommagés.

D’après la même source, ces incendies sont caractérisés par une répartition spatiale et temporelle assez marquée, précisant que la région de Tanger-Tétouan-Al Hoceima est la plus affectée, puisqu’elle observe annuellement près de 170 incendies qui touchent environ 1.600 ha. «Actuellement, le milieu forestier au Maroc est très menacé par les incendies car, auparavant, la tutelle recrutait occasionnellement des riverains, résidant à côté de la forêt, afin de surveiller les départs de feu, mais de nos jours, cette pratique a tendance à disparaître», fait savoir Mohamed Benata.

Une situation sanitaire en péril

Dans le même ordre d’idées, l’ingénieur agronome nous explique que la dégradation de la situation du domaine forestier marocain est de surcroît causée par la propagation d’un agent pathogène. «Nous assistons aujourd’hui à la propagation d’un virus ou champignon qui tue les pins au Maroc. Face à cela, nous risquons de perdre une grande superficie de pineraie disséminée par cet agent pathogène et, à part l’abattage, nous n’avons malheureusement pas encore trouvé de solution. L’ANEF fait de son mieux pour arracher les arbres atteints en brûlant les brindilles pour essayer de limiter la circulation du virus, mais pour l’instant ça continue de progresser. Ainsi, il est nécessaire de préciser que l’implantation d’espèces externes au Maroc, importées de l’Australie ou de l’Amérique, est déconseillée. Nous avons des espèces autochtones qui ont résisté pendant des milliers d’années et, en principe, l’ANEF devrait plutôt baser son programme de reboisement sur ces espèces endémiques au lieu d’importer des espèces qui vont par la suite faire des ravages», détaille-t-il.

Afin de minimiser les dégâts engendrés par cette situation et préserver le patrimoine forestier national, Mohamed Benata appelle au renforcement du capital humain, notamment en faisant participer les riverains et en recrutant des gardiens occasionnels pendant les périodes de forte chaleur. En outre, l’expert souligne l’importance d’augmenter la surveillance en accordant aux gardes forestiers les moyens matériels nécessaires pour leur permettre de mener à bien leurs missions. Benata insiste également sur la sanction de toute personne responsable d’un comportement mettant en péril le domaine forestier. Rappelons qu’en février 2020, le Roi Mohammed VI avait donné le coup d’envoi de la stratégie nationale de développement du domaine forestier «Forêts du Maroc 2020-2030».

Cette dernière s’assigne pour objectifs le repeuplement, à l’horizon de 2030, de 133.000 ha de forêts, à travers le reboisement de 50.000 ha chaque année en vue d'atteindre 100.000 ha reboisés chaque année à la fin de la stratégie. Elle vise également la création de 27.500 postes d’emploi directs supplémentaires, en plus de l’amélioration des revenus des filières de production et de l'écotourisme pour atteindre une valeur marchande annuelle de cinq milliards de dirhams. 

 

Les recommandations du CESE
• Réhabiliter les écosystèmes forestiers en passant progressivement d’un droit d’usage accordé aux populations locales à une récupération par l’Etat de ce droit dans toutes les aires protégées, en proposant des activités alternatives aux populations concernées;
• Accompagner les groupements de populations dépendantes et les éleveurs, en favorisant le développement de l’économie sociale et solidaire;
• Augmenter, conformément aux engagements internationaux du pays, l’espace des aires protégées pour les faire passer progressivement de 3,76% actuellement à 30% en 2050;
• Intensifier les opérations de reboisement et de régénération naturelle en mettant en œuvre notamment l’identification du potentiel des espaces à reboiser, l’organisation à l’échelle nationale de campagnes de plantation, la promotion des investissements durables, ou encore l’octroi d’incitations fiscales aux entreprises impliquées;
• Mobiliser le potentiel de l’intelligence artificielle pour le suivi des plantations, la surveillance et la lutte contre les incendies de forêts, en s’appuyant sur les expertises avérées développées par le secteur privé;
• Développer l'écotourisme dans les aires protégées en tenant compte de leurs spécificités culturelles, territoriales et écologiques.

 

 

 

 

 

 

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