La production d’hydrogène vert pour l’énergie pourrait, à terme, combler une partie des besoins d’énergie de l’humanité et il n’y a pas de raison que le Maroc ne s’y positionne pas. Entretien avec Amin Bennouna, expert en énergie.
Propos recueillis par D. M.
Finances News Hebdo : Pourquoi cet engouement autour de l’offre Maroc de l’hydrogène vert ?
Amine Bennouna : L’hydrogène est le plus petit des éléments chimiques. Il forme la molécule du gaz H2 à partir de 2 atomes d’hydrogène. Sa capacité à produire de l’énergie par kilogramme est près de trois fois celle des combustibles fossiles et, s’il existe partout, ce n’est que sous forme très diffuse. Comme on ne le trouve, en l’état, que très rarement en sous-sol (hydrogène «blanc»), on doit l’extraire par reformage du gaz naturel («gris») ou bien par électrolyse de l’eau avec de l’électricité nucléaire («bleu») ou renouvelable («vert»). Le coût de production de l’hydrogène vert, encore trop largement au-dessus de 1$/kg, est encore trop élevé pour les usages énergétiques. Mais son coût d’aujourd’hui est acceptable pour les usages industriels dans la métallurgie et la chimie. Ainsi, l’OCP aura besoin en 2031 d’un peu plus de 150.000 tonnes annuelles d’hydrogène vert pour 1 million de tonnes «d’ammoniac vert» destinés à produire des «fertilisants verts», dont l’empreinte carbone est réduite. C’est cette demande qui fait l’engouement immédiat et le succès de l’appel à manifestation d’intérêt marocaine. Quant à l’intérêt sur le long terme, il réside dans les utilisations énergétiques lorsque les coûts de production de l’hydrogène vert le permettront. Comme l’expérience pilote est actuellement menée dans la turbine à gaz de Laâyoune, l'Allemagne a déjà manifesté son intention, quand les prix seront là, d'alimenter ces turbines à gaz et centrales à cycle combiné par de l'hydrogène vert au lieu du gaz naturel. Comme ce pays est pionnier dans le domaine de la décarbonation de l'électricité sans utiliser l'électronucléaire, il est fort possible qu'elle passe des commandes anticipées d’hydrogène vert pour amorcer les économies d’échelle.
F.N.H. : L’on entend que ce projet apportera un grand changement dans le pays. Que peut être l’impact positif d’un tel projet sur l’économie locale ?
A. B. : Il va sans doute apporter une pierre à l’édifice, mais de là à un «grand changement», il faut savoir raison garder. Toutefois, même si l’investissement dans l’industrie ne génère pas autant d’emplois que dans le tourisme ou l’agriculture, j'espère bien, à l'instar de ce que l'ONHYM fait avec les prospecteurs de pétrole, que l'Etat prendra une participation dans tous les projets, en plus des locations de terrains. Sur le moyen terme, à partir de 2031, la production locale d’hydrogène vert va aussi permettre de faire des économies de devises sur les importations d'ammoniac faites par l'OCP, et peut-être même d'éventuelles importations d'hydrogène vert pour les industries de la métallurgie. Bien sûr, tout ceci en attendant un usage intensif de l'hydrogène vert dans l'énergie et, dans ce cas, il y aura du travail pour tous les pays concernés. Et comme le reste du monde, le Maroc pourra alors accélérer la décarbonation de son énergie grâce au stockage que permettra l’hydrogène vert.
F.N.H. : Le secteur de l’hydrogène aujourd’hui n’a pas encore atteint une maturité mondiale. On parle beaucoup d’hydrogène vert et de son potentiel, mais finalement, il n’y a pas encore de projets concrets qui ont prouvé ce potentiel. Comment, selon vous, le Maroc appréhendet-il ce volet ?
A. B. : Je ne partage pas vraiment la classification de l’électrolyse dans les technologies non matures, puisqu’elle est déjà très largement utilisée depuis des décades pour extraire des minerais de métaux comme l’aluminium ou le cuivre. La baisse du coût de l’électricité renouvelable est déjà là. C’est celui des électrolyseurs d’eau qui n’avait pas de raison de baisser tant que la demande se satisfaisait du prix existant. Avec l’amplification du marché, les courbes d’apprentissage, qui mènent à la baisse des coûts des produits industriels subissant une demande croissante, vont s’appliquer. Dans ce domaine, le Maroc ne sera, à terme, que l’un des acteurs contribuant à débloquer le dilemme de la poule et l'œuf : «le marché pour stimuler la baisse des prix» contre «la baisse des prix pour développer le marché». Et s’il est vrai qu’il vaut mieux être pionnier, il ne faut pas, non plus, partir trop tôt.
F.N.H. : Près d’une centaine d’investisseurs sont intéressés par la production d’hydrogène vert. Comment ces derniers peuvent profiter pleinement de cette offre ?
A. B. : D’abord, il faut bien préciser que le nombre n’est pas étonnant, car la manifestation d’intérêt concerne tous les maillons de la chaîne de valeur de la production d’hydrogène vert. Cela commence par les métiers liés à la production d’électricité renouvelable jusqu’aux développeurs de projet, en passant par tous les métiers de l’électrolyse de l’eau et du dessalement de l’eau de mer (on ne devrait pas électrolyser les eaux douces conventionnelles). Ensuite, l'offre Maroc se distingue par un environnement des affaires un peu meilleur que la majorité de nos concurrents, sans compter que nous avons aussi des ressources humaines et des infrastructures existantes favorables à l'investissement dans ce domaine. En plus, le pays comporte maintenant la plupart des services sociaux disponibles, même loin des grandes métropoles, car leur absence peut être un repoussoir à l'attrait de compétences.
F.N.H. : Quels peuvent être les défis de la mise en œuvre de l’offre Maroc ?
A. B. : J'avoue ne pas avoir de réponse complète, à froid, à cette question. Toutefois, la production d’hydrogène vert pour l’énergie pourrait, à terme, combler une partie des besoins d’énergie de l’humanité et il n’y a pas de raisons que le Maroc ne s’y positionne pas. A mon avis, le défi le plus important, c’est d’aller à la bonne vitesse pour être prêt à être là où il faut au moment opportun, sans trop de timidité, ni trop de volontarisme dangereux.