Face aux mutations du marché de l’énergie et aux impératifs de souveraineté énergétique, le Maroc renforce ses infrastructures dédiées au gaz naturel liquéfié (GNL). Un projet stratégique suscitant espoirs et interrogations quant à son impact sur la transition énergétique du Royaume.
Par Désy M.
Le Maroc poursuit sa stratégie de renforcement de la souveraineté énergétique en développant une infrastructure complète pour la production et l’exploitation du gaz naturel liquéfié (GNL). Cette démarche, soutenue par Leila Benali, ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, vise à sécuriser les besoins énergétiques du Royaume dans un contexte mondial où les dynamiques du marché de l'énergie sont en constante évolution. Dans une déclaration à la Chambre des représentants, Benali avait souligné l'importance de la mise en place de stratégies innovantes face aux bouleversements globaux, notamment la transition énergétique mondiale et les nouvelles orientations des politiques énergétiques.
«Le Maroc s'engage activement dans l’adoption de stratégies modernes pour faire face aux défis énergétiques, en révisant sa feuille de route pour le secteur du gaz naturel», a-t-elle affirmé. Et de préciser que cette mise à jour inclut des phases stratégiques essentielles pour établir les infrastructures nécessaires. Le projet phare du pays dans ce domaine est la production de gaz naturel liquéfié sur le champ gazier de Tendrara, un projet mené depuis 2022 par la société britannique Sound Energy. Dès 2025, le Maroc commencera à produire des volumes de GNL avec une capacité de 10 millions de pieds cubes par jour, pour atteindre progressivement 40 millions de pieds cubes par jour avec l’extension de nouveaux gisements.
Ce GNL sera majoritairement destiné à l'approvisionnement du marché national (l’ONEE et les industriels), notamment via la société Africa Gas, et permettra de diversifier les sources d'énergie du Royaume tout en assurant une plus grande sécurité énergétique. Avec une production nationale plafonnant à 100 millions de mètres cubes par an, les puits de Tendrara permettront de réaliser des économies significatives tout en renforçant la sécurité d'approvisionnement du Maroc, qui doit actuellement importer 1 milliard de mètres cubes annuels via le gazoduc Maghreb-Europe (GME).
Un rôle stratégique mais transitoire
D’après Ali Amrani, expert en décarbonisation, énergies renouvelables et efficacité énergétique, le développement d’une infrastructure pour le GNL au Maroc représente à la fois une opportunité et un défi stratégique. Le GNL, selon lui, pourrait jouer un rôle crucial à court terme pour réduire la dépendance énergétique du Maroc. En particulier, il permettrait de remplacer des sources énergétiques plus polluantes comme le charbon et le fioul, tout en soutenant la flexibilité du réseau électrique. «Cette source d'énergie flexible pourrait compenser les fluctuations des énergies renouvelables intermittentes, telles que l’éolien et le solaire, en servant de solution «back-up» pour les centrales à gaz», affirme-t-il.
Un autre aspect positif est l'attractivité accrue que cette infrastructure pourrait offrir aux investisseurs étrangers, particulièrement dans les secteurs du gaz et des technologies associées, renforçant ainsi la position du Maroc comme acteur énergétique régional. Cependant, Amrani attire l’attention sur les limites de cette transition vers le GNL. «Malgré ses avantages, le gaz naturel liquéfié reste une énergie fossile, et sa généralisation pourrait ralentir les efforts du Maroc pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, objectif ambitieux inscrit dans la stratégie nationale. Le GNL, bien que moins polluant que le charbon et le fioul, demeure incompatible avec la vision d’un pays pionnier dans les énergies renouvelables», relève l’expert.
Et d’ajouter que «les coûts de développement des infrastructures nécessaires au GNL (terminaux d'importation, pipelines, stations de regazéification) sont extrêmement élevés et pourraient détourner des ressources vitales des investissements dans des technologies plus durables comme le solaire, l’éolien ou l'hydrogène vert». Ainsi, dans l’optique que le gaz naturel liquéfié représente effectivement une réponse aux besoins énergétiques immédiats et contribue à la diversification du mix énergétique du Maroc, il reste tout de même une solution transitoire.
Pour assurer une transition énergétique durable et respectueuse de ses engagements climatiques, le Maroc doit prioriser les investissements dans les énergies renouvelables, ainsi que dans les technologies de stockage d’énergie, telles que les batteries ou l'hydrogène vert. En ce sens, la stratégie énergétique du pays devra trouver un équilibre entre ces nouveaux investissements en GNL et le maintien d’une ambition forte en matière de décarbonation.