Le Maroc œuvre à l’intégration des énergies renouvelables dans sa production locale. L’accent est mis sur le secteur des transports, avec la transformation de l’hydrogène en e-carburants pour réduire le taux de CO2 rejeté par ce secteur. Entretien avec Mohamed Yahya Zniber, président du Cluster Green H2.
Finances News Hebdo : De quoi parle-t-on lorsqu’on évoque cette expression «e-fuels» ?
Mohamed Yahya Zniber : Quand on parle de e-fuels, on parle d’électro-fuels, c’est-à-dire des combustibles carburants qui proviennent de l’électricité. Pourquoi de l’électricité ? Parce qu’à la base, on le fait à partir d’hydrogène qui, lui, est obtenu par électrolyse; et cette électrolyse est faite grâce à l’électricité et à l’eau. Par conséquent, le «e» de e-fuel vient d’électricité.
F. N. H. : Pouvez-vous nous expliquer en quoi les e-fuels sont complémentaires à l’hydrogène et comment ils s’intègrent dans la stratégie globale du Maroc pour la transition énergétique ?
M. Y. Z. : Je ne dirais pas qu’ils sont complémentaires, mais que c’est un chemin naturel pour la valorisation de l’hydrogène vert. L’hydrogène vert, en tant que tel, ne doit pas être une finalité. Il faut qu’on puisse le valoriser, et cela ne revient pas à le vendre en tant qu’hydrogène, mais à le transformer en quelque chose. Le transformer en ammoniac qui présente deux utilisations principales : pour l’obtention d’engrais verts, et des e-ammoniac en tant que fuel utilisé comme combustible et carburant dans le transport maritime, par exemple. Ce qui intéresse le Maroc, c’est cette valorisation de l’hydrogène vert, pour qu’à partir de l’hydrogène, on ouvre une voie chimique qui permet de fabriquer différents produits. Le e-fuel est intéressant pour nous, parce qu’il est complémentaire de tout le reste, et d’un certain nombre de produits dans le domaine du transport.
Quand vous avez des voitures, des camions, des avions ou des bateaux, on peut utiliser de l’hydrogène, des batteries, etc., mais il y a des limitations dans chacune des applications. Et les e-fuels sont un complément important pour ces utilisations. C’est ce qui est intéressant. C’est un secteur qui manque encore de maturité, car il y a encore beaucoup de travail à faire pour rendre le e-fuel compétitif. Rappelons que derrière tout cet écosystème, le but est de lutter contre le changement climatique. Et le e-fuel est un peu dans son rôle, car en remplaçant des produits comme le méthanol, le kérosène, le gasoil et l’essence normale, il est fait avec du CO2 recyclé. A ce niveau, une problématique se pose au niveau de l’obtention de ce CO2. Il va falloir soit le capter dans l’air, mais la technologie est très coûteuse, ou le capter auprès des industriels. Pour ce faire, il est important d’instaurer une économie circulaire qui permet de récupérer le CO2 produit par les industriels, et en faire du e-fuel. Le but est de laisser la balance CO2 toujours nulle afin de rester compétitif sur les marchés européens qui vont imposer une réglementation sur les produits. Et cela est possible.
F. N. H. : Quelles sont les technologies mises en place au sein des industries marocaines pour rendre cette économie circulaire possible et répondre aux exigences européennes en matière de taux de carbone ? Existe-t-il à ce jour des innovations technologiques qui entrent dans ce domaine ?
M. Y. Z. : Les technologies existent pour assurer le processus, allant de l’obtention de l’hydrogène aux procédés qui suivent pour fabriquer des e-fuels. Il faut juste les améliorer, les rendre plus compétitives parce qu’à la base, l’hydrogène est déjà cher. Le travail doit se faire sur les énergies renouvelables pour que l’électricité qui va servir à fabriquer l’hydrogène soit la moins chère possible. Il faut travailler sur le rendement des électrolyseurs de sorte qu’il soit beaucoup plus important, et surtout une technologie d’électrolyse qui soit la plus économe possible en termes d’utilisation de matériaux. Il s’agit des catalyseurs qu’on utilise dans l’électrolyse, qui aujourd’hui se font à partir de matériaux rares et très chers. Comme il est opportun de développer d’autres technologies qui permettent d’électrolyser à moindre coût.
F. N. H. : Quel est le rôle du Cluster Green H2 dans cet écosystème de l’hydrogène vert ?
M. Y. Z. : Il est important de comprendre que nous, en tant que cluster, notre rôle est premièrement de promouvoir tout ce qui tourne autour de l’hydrogène vert. Deuxièmement, c’est essayer d’encourager un certain nombre d’investisseurs, pour accompagner toute la chaîne industrielle : de l’hydrogène jusqu’au dérivé les plus en aval. A cet effet, nous organisons des rencontres de type forums sur les e-fuels, et nous assistons à des conférences du même genre dans d’autres pays. Nous essayons également de rassembler et d’attirer un certain nombre d’acteurs aussi bien industriels, qu’académiques et de recherche, parce que nous avons besoin de la recherche. Raison pour laquelle vous trouverez dans le cluster des membres qui sont des universités, des laboratoires et centres de recherche ainsi que beaucoup d’industriels. Notre rôle est de mettre ces acteurs ensemble pour qu’ils puissent avancer et réfléchir sur les systèmes d’innovation.
F. N. H. : Quel est l’impact économique et social du développement des e-fuels sur le Maroc, surtout en matière de création d’emplois ?
M. Y. Z. : Les e-fuels permettent de dire que demain, nous pourrons avoir des installations pour les produire, qui soient des installations de grande taille et nécessiteront une main-d’œuvre importante. Il faudra des électrolyseurs pour fabriquer l’hydrogène, nous aurons besoin d’équipements pour les énergies renouvelables. L’idée est de voir sur toute cette chaîne de valeurs, quels sont les maillons où le Maroc peut se positionner et créer de l’industrie. Dans cet intérêt manifesté dans le domaine de l’hydrogène vert, demain on comptera plusieurs électrolyseurs dans le monde, et dans chaque électrolyseur, il y a plusieurs composantes, à savoir des pompes, des pièces électroniques, des automates… Ceux-ci vont permettre à nos PMI et/ou PME de se lancer dans la fabrication de ces composantes pour tous les investisseurs qui vont se positionner sur la production de l’hydrogène vert et de ses dérivés. Le challenge qui nous attend, c’est de créer toutes ces industries et, surtout, encourager les PMI, qui sont très nombreuses, à oser aller vers ces industries, comme le font les équipementiers dans l’industrie automobile, de manière à pouvoir, dans le futur, fournir tous les équipements destinés à cette industrie.
F. N. H. : Les PMI et PME marocaines sont-elles prêtes à sauter le pas et à attirer vers elles des parts de marché dans ce secteur de l’hydrogène vert déjà très prisé ?
M. Y. Z. : Certaines industries sont prêtes, mais c’est à nous aussi de les encourager, et c’est la raison pour laquelle je parle beaucoup de partenariat comme étant un élément très essentiel. Il faut que nos entreprises apprennent à avoir des partenaires et, surtout, travailler en confiance avec eux. En faisant venir des partenaires étrangers au Maroc, ces derniers doivent être en confiance. Et pour qu’ils le soient, il faut que de notre côté, nos industriels prouvent qu’ils peuvent être de confiance. Ce sont ces partenariats internationaux sur le plan industriel, technologique, qui vont permettre à nos petites et moyennes entreprises d’avancer. Je peux vous assurer qu’il y a beaucoup d’entreprises dans le monde, notamment en Europe, qui ne demandent qu’à trouver des partenaires locaux fiables pour venir s’installer. Car produire au Maroc, pour l’instant, revient moins cher que de le faire en Europe.