Majorité gouvernementale : six partis, et après ?

Majorité gouvernementale : De l'utilité de six partis

 

Ils n’étaient pas faits pour se réunir, mais six partis d’obédience totalement différente se retrouvent aux commandes de l’Exécutif, en principe jusqu’en 2021. Quelles sont les forces et les faiblesses d’une équipe aussi «hétéroclite» ?

 

Déjà que lors de la campagne électorale aucun parti ne s’est distingué sérieusement par un programme politique, économique et social digne de ce nom pour le quinquennat 2016-2021, voilà qu’on se retrouve avec une majorité constituée de six partis.

Ce n’est pas tant le nombre qui dérange, il y a pire : des courants politiques avec des idéologies totalement à l’opposé !

Entre le PJD, conservateur-islamiste, le MP, libéral, le PPS, communo-socialiste, l’USFP, gauchiste, le RNI et l’UC de droite modérée libérale… trouver un terrain d’entente et, surtout, travailler ensemble et de manière efficiente au sein d’une même équipe peut sembler d’emblée très compliqué.

L’une des faiblesses de cette majorité, comme le souligne notre confrère Younès Dafkir, chercheur et spécialiste des questions politiques, est qu’un nombre plus important de partis se traduit par un nombre plus important de portefeuilles ministériels, ce qui grèvera sérieusement l’efficience de l’action gouvernementale.

«Alors qu’en 99 nous avions un gouvernement constitué de 5 partis et en 2011 de 4 partis, la tendance vers des gouvernements plus ramassés est rompue en 2017 avec une majorité à 6 partis», note-t-il.

Le jeu politique au Maroc étant ce qu’il est, il faut satisfaire les «appétits» de tous ces partis, que ce soit en nombre de ministères qu’en importance aussi, avant même de parler d’un projet de programme cohérent à même de servir au mieux les intérêts des citoyens.

«L’augmentation du nombre de portefeuilles avait pour conséquence une lenteur dans la prise de décision et dans la gestion de dossiers importants …», poursuit Younès Dafkir.

Paradoxalement, cela ne risque pas d’entamer le programme gouvernemental, car la prochaine équipe au pouvoir n’aura qu’à prendre le train en marche en raison des programmes sectoriels et des orientations stratégiques déjà en place… à condition de trouver un bon pilote ! D’ailleurs, les conclusions de la commission mise en place par les six partis pour mettre sur pied un programme gouvernemental ne devront plus tarder, vu le rythme avec lequel se développent les évènements. «Restera alors la gestion des priorités de nature sociale», note le journaliste politique.

Et l’un des chantiers qui mettra à l’épreuve la cohésion du prochain gouvernement est la poursuite de la mise en place de la Constitution de 2011. «La question de l’amazighité, le Conseil national des langues et de la culture marocaine, la question de la condition féminine et de l’égalité… sont autant de dossiers sur lesquels il faut impérativement avancer», insiste Dafkir.

Et c’est là que s’exprimeront les différences idéologiques, avec tout le retard qui sera engendré par des débats à n’en plus finir.

 

Le bon côté… de ce sombre tableau

 

Pour le spécialiste en politique, l’un des points positifs de cette majorité est qu’elle maintient un équilibre des forces entre les différents protagonistes. Une sorte de jeu à somme nulle tout compte fait !

D’autant plus que la répartition des portefeuilles n’ont pas connu de changements majeurs, puisque des secteurs vitaux comme la pêche et l’agriculture, l’industrie ou les finances demeurent dans le giron du RNI.

Dafkir rappelle d’ailleurs que c’était la contrepartie proposée par le PJD au RNI afin de prendre part à une majorité amputée par le départ de l’Istiqlal avec ses cadres aussi. Le PJD reste à l’énergie, au transport et logistique …

 

L’opposition doit revoir ses cartes

 

A la lumière de la Constitution de 2011, une autre partie autre que l’Exécutif a une importante responsabilité dans la gestion de la chose publique. Il s’agit de l’opposition qui est appelée à une participation effective à la procédure législative, au contrôle du travail gouvernemental…

Dans les rangs de l’opposition, on retrouve essentiellement deux protagonistes, le PAM et l’Istiqlal. Ce dernier avait d’ailleurs réitéré son fort soutien au PJD. Toujours est-il que ce parti est en proie à des querelles intestines qui ne permettent pas d’identifier clairement quelle serait sa position par rapport la future majorité. «En effet, le parti doit trancher et régler ses problèmes internes et afficher clairement sa position à l’égard de l’Exécutif», souligne Younes Dafkir.

Reste le PAM, ennemi juré du PJD qui a tout de même mis de l’eau dans son moulin depuis le débarquement de Benkirane de la tête de l’Exécutif.

«Le parti au tracteur doit procéder à une évaluation qualitative, voire une autocritique de son mode d’opposition qui prévalait lors du mandat de Benkirane et qui ne lui a pourtant pas permis d’arriver premier aux législatives d’octobre 2016», soutient le consultant en politique.

C’est peu de dire que le prochain quinquennat sera une réelle mise à l’épreuve de la «démocratisation» de l’exercice politique au Maroc, insufflé par la Constitution de 2011. Pour certains observateurs, ce mandat démarre très mal avec une classe politique qui n’a pas fait montre d’une réelle maturité ou d’un courage politique dans la prise de décision. Pour d’autres, c’est tant mieux du moment qu’on coupe l’herbe sous le pied des islamistes, sans perdre de vue que ces tergiversations ne manqueront pas de porter un coup dur au peu de crédibilité qu’accordaient les Marocains au jeu politique. ■

 

I. Bouhrara

 

 

 

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