Le Maroc était présent au Sommet de Néguev en Israël, en la personne du ministre des Affaires étrangères. Rabat a tenu à partager avec les cinq pays présents - Etats Unis, Israël, Emirats arabes unis, Bahreïn et Egypte - des préoccupations convergentes, sinon communes. L'ordre du jour plaçait au premier plan une forme d’"alliance" contre l'Iran. C'était d'autant plus contraignant qu'il apparaît bien que la conclusion d'un nouvel accord sur le nucléaire iranien serait imminente. Josep Borrel, chef de la diplomatie européenne, a déclaré samedi dernier, en marge du Forum de Doha (Qatar), que cet accord en négociation avec les grandes puissances est une «affaire de jours». Une affirmation liée au fait que le même jour, le coordonnateur de l'UE en charge de la supervision des pourparlers, Enrique Mora, arrivait à Téhéran. Un agenda non confirmé pourtant par le porteparole de la diplomatie américaine, Ned Price, qui a déclaré qu'un accord n'était «ni imminent ni certain»...
Un fait est certain : le retour en force de Téhéran sur la scène internationale aura des conséquences politiques, financières et militaires non seulement pour ce pays, mais aussi ses relais dans la région (Liban, Irak, Yemen, ...). Le Maroc a, pour sa part, des rapports heurtés avec le régime chiite. Voici quatre ans, le 1er mai 2018, Rabat avait ainsi rompu ses relations diplomatiques en invoquant le soutien militaire de l'organisation chiite libanaise du Hezbollah - financée par le régime iranien - aux milices du mouvement séparatiste du "Polisario". Les relations avaient été rétablies en février 2014 après une précédente rupture en mars 2009 à cause de l'ingérence de Téhéran dans les affaires intérieures du Bahreïn et du prosélytisme chiite dans le Maroc.
Soutien à la cause palestinienne
Comme les autres officiels participant au sommet, Nasser Bourita a condamné l'attentat terroriste commis la veille à Hedera qui a causé la mort de deux policiers par deux Arabes-Israéliens, présentés comme proches de l'organisation Daech. Il a déclaré que ce rendez-vous est «la meilleure réponse à de telles attaques»; que la présence du Maroc est une confirmation des relations profondes liant les deux pays et la communauté marocaine à la communauté juive en Israël"; et que Rabat exprime de nouveau son appui à la solution de deux Etats au conflit israélo-palestinien, sur la base des frontières de 1967 et avec un Etat palestinien ayant pour capitale Al Qods-Est. Il a enfin conclu en formulant un vœu : celui des six participants au sommet de Néguev se réunissant "dans un désert différent, mais avec le même esprit" : le Sahara marocain... Le Sommet du Néguev, tenu les 27-28 mars, est un succès pour Israël. Il a été organisé à grande vitesse à l'initiative du ministre des Affaires étrangères, Yaïr Lapid, à Sde Boker - là où vivait David Ben Gourion, fondateur de l'Etat d'Israël et premier Premier de l'Etat hébreu; c'est également là, dans ce lieu historique, que se trouve sa sépulture et celle de son épouse.
Du symbole donc. A forte dose. Pour faire sens, autrement dit, pour conforter et illustrer la nouvelle légitimité d'Israël. Cet Etat a ainsi fortement renforcé son importance régionale pour ses partenaires qui ont signé les "Accords d'Abraham", le Maroc, Bahreïn et les Emirats arabes unis. Il faut y ajouter l'Egypte avec laquelle un Traité de paix a été signé en 1979. Par leur seule présence, les ministres des Affaires étrangères de ces quatre pays alliés donnent un contenu et une dimension nouvelle aux relations avec Israël. Cette rencontre du Néguev est intervenue juste une semaine après que le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, a accueilli le Premier ministre israélien, Naftali Bennett, et le prince héritier émirati, Mohammed bin Zayed al-Nalhyan. Ce sommet a été chaleureux. Très médiatisé aussi. Il faut noter, par ailleurs, que le sommet du Néguev a coïncidé avec une visite, programmée à Ramallah, par le Roi Abdallah de Jordanie. A son ordre du jour, les moyens d'apaiser les tensions entre Israéliens et Palestiniens à la veille du Ramadan, à la fin de cette semaine. Mais il est évident que l'évolution majeure que connaît la région a été tout aussi importante. Avant de partir pour le sommet du Néguev, Anthony Blinken, secrétaire d'Etat américain, a rencontré dimanche les leaders israéliens et le président de l'Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas.
Ce responsable américain n'a pu obtenir de Nafftali Bennett l'invitation de la Jordanie ni celle de la direction palestinienne. Mais il y a plus pour Israël qui engrange une valeur ajoutée, non seulement pour le lieu choisi, mais aussi pour l'ordre du jour retenu. Référence est faite aux efforts déployés visant à réunir et à mettre sur pied une alliance efficace contre l'Iran - il est considéré comme une menace pour tous les acteurs présents, à un titre ou à un autre. L'Arabie saoudite n'était pas présente, pas plus qu'elle ne s'est ralliée aux Accords d'Abraham. Officiellement, Tel Aviv et Ryad ne sont pas des alliés. Mais toutes deux œuvrent activement à renforcer l'unité régionale contre Téhéran (partage de renseignements, alertes régionales au missile, systèmes de défense, ...).
Ukraine/ Moyen -Orient : «Deux poids, deux mesures»...
Pour le Maroc, cette nouvelle alliance ne peut déclasser, voire évacuer d'autres grands dossiers dans la région. L'Occident s'est beaucoup mobilisé a propos de la crise en Ukraine ouverte depuis le 24 février dernier. Dans cette même ligne, Rabat est ainsi préoccupée par les tensions persistantes dans cette zone moyen-orientale. Un état d'esprit exprimé par deux pays stratégiques du Golfe, le Qatar et l'Arabie Saoudite, qui ont regretté le manque d'attention portée aux conflits de la région, et ce depuis des décennies. Le ministre des Affaires étrangères du Qatar, Mohammed Ben Abderrahmane Al-Thani, s'en est ému, en termes forts : «La souffrance humanitaire que nous voyons en Ukraine (...) existe dans beaucoup de pays de cette région depuis des années». «Nous n'avons jamais vu de réponse internationale pour répondre à ces souffrances», a-t-il ajouté lors de la table-ronde au Forum de Doha, en évoquant en particulier «la brutalité contre le peuple syrien, les Palestiniens, les Libyens, les Irakiens, les Afghans». A ses yeux, la crise en Ukraine doit servir de «signal d'alarme»; elle doit conduire la communauté internationale à s'intéresser davantage au Moyen-Orient «avec le même engagement». Des crises politiques et des conflits ont en effet provoqué des drames humanitaires, parmi les pires au monde, notamment au Yemen et en Syrie. Une évaluation qui a été partagée par le ministre saoudien des Affaires étrangères, Fayçal Ben Farhane, rappelant que l'engagement de la communauté internationale pour l'Ukraine est «bien différent» par rapport à celui pour les pays du Moyen-Orient ...
Pour une nouvelle dynamique
Œuvrer pour la paix et rechercher une solution à la question palestinienne et au conflit arabo-israélien : tels sont les deux crédos de la diplomatie marocaine. Cela commande «une nouvelle dynamique pour la paix» à construire sur des bases conséquentes. Des étapes concrètes sont à définir pour que les peuples en aient une claire appréhension et qu'ils adhèrent; cela conduit aussi à ouvrir des «perspectives prometteuses pour la jeunesse et les peuples de notre région», a-t-il encore poursuivi. La paix est le référentiel autour duquel il faut se mobiliser, non pas par l'ignorance réciproque des uns et des autres, mais par la conjugaison des efforts autour de valeurs partagées et d'intérêts communs. Le Maroc est clair à cet égard. A ses yeux, le sommet du Néguev porte un double message: le premier, positif, aux habitants de la régions; le second, lui, tout marqué du sceau de la fermeté, vise ceux qui œuvrent directement ou par l'intermédiaire de supplétifs que nous sommes ici pour défendre nos valeurs et nos intérêts et protéger cette dynamique».
Ni frilosité, ni ambiguïté. La nature et la portée des relations de Rabat avec Washington participe de cette même approche. La visite dans le Royaume, du secrétaire d'Etat américain, Anthony Blinken, est la traduction et le prolongement de cette doctrine diplomatique. C'est un engagement commun en faveur de la sécurité et de la prospérité; c'est l'expression d'une relation profonde et durable; c'est enfin le corollaire d'un partenariat stratégique bilatéral entre le Maroc et les Etats-Unis. La diplomatie marocaine est proactive, mobilisée, adossée à des constantes et à des principes. Elle a porté ses fruits, voici deux semaines à peine, avec la normalisation opérée par la nouvelle position de Madrid sur la question du Sahara marocain et la prévalence de la proposition d'autonomie interne comme seule solution crédible, sérieuse et réaliste. Tel Aviv vient de prendre position dans le même sens, et ce par la voix du ministre des Affaires étrangères, Yair Lapid, lundi 28 mars courant, en déclarant que les deux pays travailleraient ensemble pour contrer les tentatives d'affaiblissement de la souveraineté et de l'intégrité territoriale marocaines».