Gouvernement-Partis: la politique aseptisée ?

Gouvernement-Partis: la politique aseptisée ?

A la fin de ce premier semestre 2022, quel est l'état des lieux au plan politique ? Le gouvernement Akhannouch est en fonction depuis près de neuf mois. La vie institutionnelle fonctionne. Et après, dira-t-on ? L'indice de confiance des citoyens s'est-il amélioré ? Difficile de le croire. C'est qu'au plan économique, les motifs d'interrogation -voire d'inquiétude- pèsent davantage : ils contribuent, eux aussi, à miner le moral. A fin mai, l'inflation était de 4,8 %; les produits alimentaires se sont envolés de 7,3% et ceux des transports de 9,2%. Il est prévu à la fin de l'année un taux d’inflation de 5,3%, selon les prévisions de Bank Al-Maghrib. Pour faire face aux charges de la dette et aux équilibres budgétaires, il manque quelque 40 milliards de DH: une moitié sera tirée auprès des institutions internationales; l'autre nécessitera la sortie du Maroc sur le marché financier international au moment approprié. D'autres indicateurs sont tout aussi au rouge…

 

Etat d’âme et grogne

C'est dire que ce cabinet a fort à faire. Le veut-il ? Son discours officiel ne cesse de le répéter. Mais le peut-il ? C'est une autre affaire... Du côté de la majorité, le tableau ne témoigne pas d'une grande mobilisation, de cohérence et de solidarité, encore moins d'une forte dose de volontarisme. Il est en effet connu que la concertation entre les trois partis laisse beaucoup à désirer; que le parti de l'Istiqlal de Nizar Baraka observe une certaine distanciation par rapport au chef du gouvernement et de son parti, le RNI. Les groupes parlementaires de la majorité accusent bien des états d'âme, une certaine grogne; pour l'heure, elle paraît même tutoyer une certaine «fronde» limitée pour l'heure aux travées des deux chambres. Les critiques visent le peu de rapports entre les ministres et leurs députés respectifs. Plus encore, ces mêmes membres du cabinet, ceux du PI et du PAM, mettent volontiers en avant ce qu'ils entreprennent dans leurs départements respectifs sans faire instamment référence au programme gouvernemental.

D'autres questions pèsent encore sur l'ambiance de travail et le climat politique. Que les secrétaires d'Etat annoncés à cette occasion, voici huit mois et demi, n'aient pas encore été nommés pousse dans ce sens. Ce devait être une opération de «correction» poursuivant deux objectifs. Le premier, décharger des ministres qui cumulent plusieurs portefeuilles et qui ne peuvent pas assumer de telles responsabilités; le second, améliorer la place du parti de l'Istiqlal qui estime qu'il est sous-représenté par rapport au PAM. Y aura-t-il une prochaine réponse allant au-devant des fortes attentes du parti de la balance ? Précisément, cette formation a enregistré depuis des mois bien des luttes intestines. Elles concernent le clan Hamdi Ould Rachid, d’un côté, et celui de Nizar Baraka, de l'autre. Ce parti a pu, laborieusement, tourner la page de la séquence Hamid Chabat - précédent secrétaire général- et œuvrer à l'unification des rangs et à la restructuration des instances. Mais ce processus a buté sur bien des difficultés : modification des statuts pour réduire les effectifs du conseil national, institution d'un poste de secrétaire général-adjoint... Après bien des péripéties, un accord a pu se faire pour un congrès national ordinaire fixé au 6 août prochain. Nizar Baraka y sera certainement conforté alors avec un deuxième mandat. Mais le consensus qui a fini par prévaloir tiendra-t-il longtemps ?

 

La panne...

Pour ce qui est de l'opposition, pas davantage d'optimisme. Celle-ci comprend six composantes : USFP (34), MP (28), PPS (22), UC (18) et PD (13). Le total est de 115 parlementaires. Quant à l’UC, le MP et l’USFP, se pose cette question  : ces partis sont-ils audibles  ? L’UC de Mohamed Sajid n’arrive même pas à réunir un conseil national. Le MP est en crise de leadership après le départ annoncé de Mohand Laenser au prochain congrès. La formation socialiste de Driss Lachgar accuse toujours les suites des assises de la fin janvier dernier. Peut-on parler d'une opposition unie face à une majorité triomphante de 270 sièges : RNI (102), PAM (87) et PI (81). Avec 72 voix audessus de la majorité absolue des membres de la Chambre des représentants (395), la stabilité gouvernementale est assurée en principe pour la durée de la législature, jusqu'à 2026. Arithmétiquement, tel est bien le cas. Mais qu'en sera-t-il au vrai ? Les difficultés actuelles de ce cabinet pèsent sur une mandature qui devait être normalement un «long fleuve tranquille».

Deux partis de l'opposition (PPS et PJD) multiplient les critiques sur ce qu'ils appellent la «panne» actuelle de ce cabinet. Ils invoquent plusieurs arguments : qu'il propose des réformes et qu'il ne se limite pas à expliquer et à justifier la crise; sa faiblesse politique, son mutisme et son absence; l'invocation récurrente du bilan du précédent cabinet pour tenter de se dédouaner; la difficulté à définir une feuille de route, alors qu'aucun agenda législatif ni politique n'a été arrêté pour les années à venir... Une critique de fond porte aussi sur les conditions à réunir pour le rétablissement de la confiance dans la politique et la crédibilité des institutions élues. Dans cette même ligne, est posée la question de la consolidation de la démocratie, des droits et des libertés.

L'implémentation pleine et entière de la Constitution de 2011 revient dans cette interpellation : instances de bonne gouvernance et de régulation peu opératoires (Conseil de la concurrence empêtré dans le dossier des hydrocarbures, Instance nationale de probité, Conseil supérieur de l'éducation dont les membres ont achevé leur mandat en juillet 2020, Conseil consultatif de la famille, Conseil consultatif de la jeunesse et de l'action associative). Autres insuffisances et retards : la réforme du code pénal et du code de procédure pénale, le code du travail et le droit de grève, la charte du service public, la charte de l'investissement, la réforme fiscale,.... Tout se passe comme s'il y avait un discours continu sur la réforme, une profession de foi de vouloir celle-ci, mais sans que le reste suive : une vision, un cap, une feuille de route, le tout décliné autour d'un agenda, de séquences et de priorités. Ce cabinet va-t-il durer jusqu'en 2026 ? Le rythme institutionnel auquel est attaché le Souverain depuis le début de son règne présente cette particularité : le respect du calendrier électoral, oui, sans doute. Mais le déroulé de la vie politique par le passé, durant les deux décennies écoulées, garantit-il absolument, un cabinet Akhannouch en place jusqu'à 2026 ?

 

Une assurance : l’absence… d’une majorité alternative

En tout cas, ce gouvernement bénéficie, objectivement, d’un autre atout s'apparentant à une sorte d’  «assurance»: l'absence d'une majorité alternative. L'opposition est plurielle, on l'a vu, hétérogène surtout. Peut-elle pour autant s'imposer à terme comme capable d'arriver à «un rassemblement de toutes les forces du changement et de la démocratie», comme le martèle le secrétaire général du PPS, Mohamed Nabil Benabdallah ? Le challenge paraît difficile. Comment faire émerger, en l'état, une alternative démocratique progressiste ? Comment agréger les fortes demandes sociales et les aspirations qui les accompagnent en force de changement pouvant infléchir les politiques publiques actuelles ? Il existe bien aujourd'hui un mouvement social, à la base, surtout hors du champ institué occupé par les syndicats. Il comprend les défenseurs et les militants des droits civils et humains, des femmes aussi et des jeunes.

Toute une dynamique sociale existe, mais elle est fragmentée, brouillonne, nourrie par la flambée des prix, le renchérissement des prix des matières premières et l'impact des deux années de la pandémie Covid- 19 couplées aujourd'hui avec les conséquences de la guerre Ukraine-Russie qui va durer... Le sentiment général qui prévaut est le suivant : le gouvernement gère, s'emploie à faire face avec des mesures particulières et catégorielles (aide aux transporteurs, ...). Il n'inscrit pas son approche en termes éminemment politiques : tant s'en faut. Il surligne l’«Etat social» et le nouveau régime de protection sociale applicable d'ici 2025. Mais n'est-ce pas un chantier royal, annoncé bien avant ce gouvernement ? Et qu'en est-il de tous les autres ? Ce n'est pas la matière qui manque. Il suffit de se référer aux axes de changement du nouveau modèle de développement, à ses leviers de changement et à leur traduction en politiques publiques. Mais qui s'y réfère encore ? Preuve que le palier actuel de la politique doit opérer une véritable rupture : celle de la fin de l'atonie et de l'aseptisation... 

 

 

Par Mustapha SEHIMI

Professeur de droit, Politologue

 

 

 

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