- La majorité, avec à sa tête le chef de gouvernement, est devenue très impopulaire.
- Le RNI perd pied et le débat politique sur le boycott vire à la démagogie.
- Le malaise qui règne actuellement semble être la résultante d’une accumulation de faits politiques.
Faut-il procéder à un remaniement ministériel ? La question se pose avec acuité, et certains observateurs avertis avancent même depuis quelques jours qu’un relifting du gouvernement est imminent. Pourquoi procéder à un remaniement ? Le moment est-il, surtout, propice ?
En général, trois principaux cas de figure sous-tendent un remaniement : le limogeage de ministres, le départ d’un ou plusieurs ministres, par exemple pour cause de désaccord politique, ou encore la nécessité d’induire un changement et de secouer le gouvernement, particulièrement lorsqu’il fait l’objet de diatribes acerbes de la part de l’opinion publique.
Ainsi, tout porte à croire que c’est plutôt l’expression d’un mécontentement populaire exacerbé qui pourrait justifier un remaniement ministériel au Maroc. Tenter d’expliquer ce ras-le-bol n’est pas simple, d’autant qu’il autorise plusieurs lectures et, surtout, de remonter un peu le temps.
Il faut se rappeler que dès qu’on lui a mis le pied à l’étrier, le vendredi 17 mars 2017, en le nommant chef du gouvernement, Saad Eddine El Othmani a été accueilli avec beaucoup de réserve. Non par le commun des citoyens, mais plutôt par une frange de ses «frères» du parti.
Perçu comme l’«usurpateur» d’une fonction qui devait échoir à son prédécesseur, Abdelilah Benkirane, remplacé à cause de son incapacité à former une majorité gouvernementale, il a donc endossé son nouveau costume en traînant un handicap majeur : le manque de soutien unanime et inconditionnel des islamistes. Ce qui faisait la force du PJD, c’était son unité et sa discipline, lesquelles lui ont permis, à deux reprises, d’avoir la faveur des urnes. Or, El Othmani semblait d’ores et déjà arborer, malgré lui, l’étiquette de l’homme qui a fissuré cette unité dont se vantait tant sa formation politique. Une fissure qui est devenue un trou béant lorsqu’il a réussi à former une coalition gouvernementale, quelques jours seulement après sa nomination.
Si l’opinion publique a salué la diligence avec laquelle il a mené les consultations avec les autres partis, qui a mis fin à une crise politique qui a duré plusieurs mois, il a tout autant dû faire des concessions et des compromis là où son prédécesseur ne voulait point transiger. C’est le cas, notamment, de l’entrée de l’USFP dans le gouvernement. Mais, aussi, certainement, de la posture imposante du RNI dans la majorité. Avec seulement 35 sièges lors des législatives, mais grâce à ses alliances (UC et USFP), ce parti a pu instaurer un certain équilibre des forces idéologiques (avec le PJD et ses 125 sièges), mais surtout réussi un coup de maître en s’arrogeant, entre autres, trois ministères de prestige : les Finances, l'Agriculture et l'Industrie.
Ce «braquage» en règle du RNI, que Saad Eddine El Othmani, à sa décharge, ne pouvait certainement pas éviter, au risque notamment de prolonger la crise politique, a donc fini par créer un profond clivage au sein des islamistes. Avec des électeurs du PJD qui, tout au moins, ont finalement l’impression de s’être faits cocufiés.
Montée en puissance du RNI
Une impression qui, au fil du temps, s’est confortée, le RNI prenant du galon et occupant la scène médiatique à travers ses trois ministères stratégiques éclipsant l’action des ministres Pjdistes.
Sauf que ce qui était jusque-là confiné aux militants et électeurs du PJD, semble avoir dépassé ce cadre et titillé certaines consciences. Qui se disent naturellement que tout cela mis bout à bout donne finalement l’impression d’un hold-up et d’un tripatouillage politiques, qui poussent inévitablement à s’interroger sur le sens du vote. Le jeu démocratique a-t-il été respecté jusqu’au bout ? Ce gouvernement est-il réellement le reflet de la volonté des électeurs ?
Bien évidemment, face à ces questionnements, les avis sont multiples et ne sont pas tranchés. Et à défaut d’avoir des réponses claires, certains se résolvent plutôt à essayer de situer les responsabilités.
Et le premier visé est le chef de gouvernement. Critiqué au sein même de son parti pour avoir, à ses débuts, fait trop de compromis, chahuté en off au sein des milieux d’affaires, interpellé de plus en plus violemment par les internautes sur les réseaux sociaux, sa parole est devenue inaudible. On lui reproche de trop ménager la chèvre et le chou, sa passivité relative, voire son manque de charisme, mais aussi d’avoir «cédé» le pouvoir aux Rnistes du gouvernement.
Ajoutons à tout cela qu’il n’a pas été aidé par la conjoncture, se retrouvant avec deux dossiers épineux sur les mains, à savoir Al Hoceima et Jerada, et contraint de faire face à une situation politique inédite marquée par le limogeage, par le Souverain, de quatre ministres et du DG de l’ONEE en octobre dernier.
Le contexte particulier dans lequel il a exercé sa première année de législature l’a donc davantage poussé à essayer de gérer les affaires courantes qu’à dérouler le programme gouvernemental.
Preuve en est la campagne de boycott de certaines marques, circonscrite au départ au niveau des réseaux sociaux, mais qui s’est très vite invitée sur la scène politique, pour se transformer en problème politico-socio-économique, désormais enveloppé de façon démagogique dans une phrase : «donner du pouvoir d’achat aux ménages».
Ce qui n’enlève en rien à l’essence du problème, dont le cheminement et une prise de hauteur autorisent à l’appréhender sous un prisme purement politique, tout en légitimant une interrogation : et si la campagne de boycott ne visait, en réalité, qu’à atteindre le RNI et à le freiner dans son ascension ?
Et pour bousculer ce parti, il fallait taper sur son leader, Aziz Akhannouch. Mais à défaut de s’en prendre au super ministre, on s’est attaqué à l’homme d’affaires, au patron du Groupe Akwa (Afriquia).
Le boycott s’est ensuite transformé en débat politique sur les prix des hydrocarbures, puis sur la libéralisation qui aurait permis aux distributeurs comme Afriquia d’engranger d’énormes profits, avant de coulisser vers le pouvoir d’achat des ménages. L’homme d’affaires Akhannouch est donc devenu la cible idéale pour les anti-systèmes, qui sont contre tout (et parfois rien à la fois) et dénoncent hardiment les situations de rente et le capitalisme sous toutes ses formes. L’image de l’homme politique Akhannouch en a donc pris un coup, et son parti avec. Point étonnant donc de voir, qu’en ce moment, tous les ministres du RNI font profil bas. En attendant que les tensions se dissipent. Dans sa montée en puissance, le RNI a reçu un coup de matraque dont il lui sera difficile de se relever.
Avec le recul, les autres marques qui ont été visées dans cette campagne de boycott ne seraient-elles finalement pas que des dommages collatéraux ? N’ont-elles pas été prises dans les filets d’une arithmétique politicienne dont les contours n’ont pu être maitrisés ?
Boule de frustration
Nous sommes tentés de croire que le malaise et le climat de suspicion et de défiance outrancier qui règnent actuellement sur le Maroc n’est, en réalité, que l’accumulation de faits politiques. Dont se sont finalement intelligemment appropriés les réseaux sociaux, pour en faire des enjeux socioéconomiques, mais également pour enclencher une réflexion politique qui pourrait déboucher sur une reconfiguration de l’architecture gouvernementale.
En effet, c’est dans ce contexte où El Othmani n’est vraiment pas soutenu par son parti, encore moins par les sorties hasardeuses de ses ministres, peu au fait des subtilités de la communication de crise, et au moment où le RNI semble avoir reçu du plomb dans l’aile, qu’un remaniement ministériel est fortement pressenti. La situation s’y prête-t-elle vraiment ? Quelle recomposition est aujourd’hui susceptible de donner un crédit au gouvernement et à ceux qui le composent ? L’action du gouvernement doit-elle être la réponse aux frustrations exprimées par les citoyens à travers les réseaux sociaux ?
Il faut attendre de voir l’ampleur qu’aura ce remaniement. En tout cas, s’il doit y en avoir, ce sera pour donner une nouvelle impulsion au gouvernement, mais aussi un signal positif à la communauté des affaires, aux investisseurs, aux citoyens…. Et cela fera forcément l’objet de nombreuses concertations.
Ce remaniement se fera-t-il cependant au détriment du RNI, et ce au moment où le désormais ex-Rniste et nouveau président de la CGEM, Salaheddine Mezouar, s’apprête à être le trait d’union entre le patronat et le gouvernement ? Wait and see. ■
D. W