Le marché politique: offre et demande

Le marché politique: offre et demande

Difficile d'y voir bien clair dans l'appréhension et l'intelligibilité du champ politique national. C'est même laborieux: des clivages incertains depuis une bonne vingtaine d'années au moins; des majorités à géométrie variable dans tous les cabinets qui se sont succédé depuis celui de l'alternance, de Me. Abderrahmane El Youssoufi en 1998; des programmes de partis "généralistes" sans tellement d'identité; un corps électoral finalement peu mobilisé; et puis des partis paraissant en décalage avec l'état d'esprit des citoyens, hors sol et hors temps pour une bonne partie d'entre eux.

 

Fluidité

Ce qui frappe aujourd'hui n'est-ce pas la fluidité de la situation politique ? D'un côté un gouvernement Akhannouch en place depuis octobre 2021, un parlement aussi; et puis, de l'autre, un corps social qui peine à faire crédit à toutes ces institutions. Le surcroît, après deux années difficiles 2020-2021 de pandémie Covid-19, il est confronté à une situation sociale et économique détériorée, elle s'aggrave même. Le discours officiel explique que tout cela est lié à des facteurs exogènes (impact du conflit Ukraine - Russie, renchérissement des prix des matières premières et des hydrocarbures, envol des frais logistiques,...) tout en veillant à minorer les facteurs internes. C'est précisément sur ce dernier point que les citoyens réagissent; ils considèrent que la cherté des prix de la présente conjoncture met en cause la responsabilité du gouvernement. Le HCP a donné le chiffre de l'inflation en 2022 avec un taux de 6,6% et de 15% pour les produits de grande consommation. Pour ce début d'année 2023, la hausse est généralisée...

Sur ces bases-là, quels sont les traits du produit politique livré sur le marché, autrement dit sa nature et sa dimension. La référence à des domaines d'investigation scientifique de recherche et de développement peut être utile pour mettre en avant le concept de "qualité" de la production politique et partisane. Il est l'un des déterminants de la compétitivité d'une organisation économique, culturelle ou... politique. En l'espèce, cette notion de qualité est synonyme de rentabilité - c'est vrai pour les entreprises et l'on peut considérer les formations politiques comme étant elles aussi des "entreprises"... La renommée d'une entreprise ? Elle tient économiquement à la certification internationale et à la sanction du marché.

 

Qualité du produit politique

La contrainte est pesante : il faut gagner sans cesse des points forts dans la compétitivité et la confiance des consommateurs. Qu'en est-il de la qualité d'un produit politique ? Elle est liée au vote, aux urnes électorales. Avec ces enjeux: élargir la base des électeurs, améliorer l'image de marque et partant la capacité d'attractivité et d'adhésion, optimiser enfin le processus de la fidélisation; aider, par ailleurs, à faciliter la satisfaction des besoins des citoyens et de leurs conditions  de travail et de vie. Ici, le souci a trait au progrès social dans sa double composante : celle d'une croissance économique sans laquelle il serait aléatoire d'escompter une amélioration sociale. Ce qui doit être pris en compte, c'est légalement de manager cette double approche avec optimisation; c'est aussi de se préoccuper de promouvoir un "système" de production de valeurs. Le citoyen doit ainsi être placé au centre de l'action de la politique et des partis qui en sont, dans leur domaine, les maîtres d'œuvre. Un citoyen auquel l'on doit apporter une production de qualité. Des processus sont nécessaires. Des services d'accompagnement aussi. Comment bien mesurer alors ses besoins et les moyens de leur satisfaction ? Comment détecter de manière continue ses nouveaux besoins ?

Flux entrants/ sortants

Question de bon management, assurément. Chaque parti doit d'abord bien connaître son produit ? En ce début 2023, lequel d'entre eux peut donner des indicateurs significatifs et pertinents de ce qu'il est et de ce qu'il propose de distinct, faisant la différence sur le marché ? Du côté du courant progressiste et socialiste (USFP, PPS), l'identité historique n'a-t-elle pas perdu de son relief et de son caractère idéologique ? La mouvance de l'extrême - gauche (PSU, FGD) tient bon encore mais elle n'arrive pas à se faire une place notable dans l'expression électorale. Quant aux autres (RNI, PAM, UC, MP), leur référentiel proclamé autour de la social-démocratie manque de teneur, celle-ci n'étant plus d'ailleurs qu'une rhétorique invertébrée sans ossature. Le PI, lui, s'emploie à adapter et à moderniser l’"égalitarisme" istiqlalien de Allal El Fassi des années soixante. Reste le PJD qui, après dix ans de gestion gouvernementale (janvier 2012 - octobre 2021) ne paraît avoir réussi l'équation – ou le "mix" - de son référentiel religieux avec les exigences et les contraintes des réalités.


Faut-il s'étonner, dans ces conditions, que toutes ces formations n'assurent pas de manière satisfaisante la diffusion de leurs idéaux et de leurs programmes. Le flux entrants/ sortants des informations, des besoins et plus globalement des valeurs fonctionne-t-il de manière conséquente ? Le lien avec les électeurs et les sympathisants est-il assuré ? Y a-t-il la pratique de l'écoute active, notamment aux niveaux territoriaux ? Il faut sortir du schéma actuel, devenu pratiquement structurel, d'une agitation des partis en période préélectorale et électorale pour s'insérer dans un autre mode de fabrication de la vie partisane et politique. Pour l'heure, l'offre est insuffisante alors que la demande est forte du côté des citoyens et des électeurs...

 

 

Par Mustapha Sehimi, Professeur de droit (UM5) et politologue

 

 

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