L’industrie du gaming ne ralentit pas. Ceux qui investissent aujourd’hui en seront les leaders de demain. Ce cinquième et dernier volet de notre série sur le gaming au Maroc s’intéresse à son impact économique et à son intégration dans Morocco Digital 2030.
Par K. A.
Loin d’être un simple divertissement, le jeu vidéo est désormais un moteur économique incontournable. En 2024, l’industrie vidéoludique a généré 187,7 milliards de dollars, surpassant largement les revenus du cinéma et de la musique réunis. D’ici 2030, le marché pourrait atteindre 534,93 milliards de dollars, porté par l’e-sport, le streaming et la digitalisation des plateformes de distribution. Au Maroc, le secteur du gaming reste embryonnaire, bien que sa consommation progresse chaque année.
En 2024, le marché national est estimé à 525 millions de dirhams, un chiffre qui pourrait atteindre 792 millions de dirhams d’ici 2029. Pourtant, cette croissance repose essentiellement sur l’importation de jeux et de services, tandis que la production locale peine à décoller. Dans ce contexte, le gaming peut-il s’inscrire dans la vision économique du Maroc et devenir un moteur de croissance ?
Le Maroc compte plus de 4 millions de joueurs actifs, principalement sur mobile, qui représente plus de 60% des revenus du marché. La montée en puissance du e-sport et du streaming confirme également l’intérêt croissant des Marocains pour le jeu vidéo. Pourtant, l’absence d’une industrie locale structurée empêche le pays de capter cette manne économique.
«Le gaming est devenu un marché de masse, avec une audience fidèle et engagée. Mais l’industrie locale est encore à ses débuts. Aujourd’hui, nous consommons, mais nous ne produisons pas», souligne Anas Bettach, consultant en stratégie digitale.
Contrairement à d’autres pays émergents, le Maroc ne dispose pas encore de studios de développement compétitifs sur la scène internationale. L’absence d’un cadre réglementaire et fiscal attractif freine l’installation d’entreprises spécialisées, tandis que les financements restent rares pour les startups du secteur. Pourtant, l’industrie du jeu vidéo pourrait créer des milliers d’emplois hautement qualifiés, à l’image des modèles adoptés au Canada, en Corée du Sud ou aux Émirats arabes unis.
Une opportunité pour structurer l’industrie
Le Morocco Digital 2030 aidant, le Royaume ambitionne de devenir un hub technologique majeur en Afrique. Parmi les objectifs affichés, figurent la digitalisation des services publics et des entreprises, l’amélioration des infrastructures numériques avec le déploiement de la fibre optique, de la 5G et des data centers, ainsi que le soutien aux startups et à l’innovation numérique. Le plan prévoit également la création de 240.000 emplois directs dans le secteur digital d’ici 2030.
Le jeu vidéo ne figure pas encore parmi les priorités économiques du pays, mais certaines initiatives cherchent à changer cette donne. L’initiative Rabat Gaming City (RGC), financée à hauteur de 360 millions de dirhams, vise à structurer une industrie locale en attirant des studios, des investisseurs et des éditeurs. À terme, le projet ambitionne de générer 5.000 emplois et 5 milliards de dirhams de revenus. En complément, un bonus à l’emploi a été instauré pour encourager l’implantation des entreprises du gaming à Rabat Gaming City.
Cette mesure offre 17% du revenu annuel brut imposable pour chaque emploi durable créé, une incitation destinée à attirer des investisseurs étrangers et à favoriser le développement de studios locaux. «Si le projet Rabat Gaming City est bien exécuté, il pourrait permettre au Maroc de rattraper une partie de son retard. Mais encore faut-il une véritable volonté politique pour en faire une priorité», estime Bettach.
À l’échelle mondiale, des pays comme l’Arabie saoudite, le Canada et Singapour ont compris l’enjeu économique du gaming. L’Arabie saoudite a investi 38 milliards de dollars via Savvy Gaming Group, tandis que le Canada propose des crédits d’impôt attractifs pour les studios de développement. Pour Bettach, «le Maroc doit passer d’un statut de simple consommateur de jeux vidéo à celui de producteur et d’exportateur. C’est une industrie qui, bien exploitée, peut générer des milliards et créer des milliers d’emplois».
Selon lui, «le potentiel est là, mais sans un cadre financier structuré, des infrastructures solides et une stratégie claire, le Maroc pourrait rester en marge d’une industrie en pleine mutation». Le jeu vidéo est bien plus qu’un divertissement : il s’agit d’une industrie technologique et culturelle, capable d’accélérer la transformation numérique du pays.
Morocco Digital 2030 pourrait être le cadre idéal pour intégrer pleinement cette industrie dans la stratégie économique du Royaume. Sans politiques adaptées et sans investissements conséquents, le Maroc pourrait manquer une opportunité historique de devenir un acteur clé du gaming en Afrique et au-delà.