Le journalisme basé sur l'IA a fait une incursion majeure dans les grandes salles de rédaction depuis près d'une décennie.
Toujours au diapason des mutations rapides, le Maroc entre en lice.
Par K. A.
L’industrie du journalisme a subi de nombreux changements au cours de la dernière décennie, qui affectent à la fois les journalistes et leurs lectorats. La popularité des médias numériques a considérablement modifié la façon dont les consommateurs obtiennent leurs informations, et les climats politiques de plus en plus polarisés ont conduit à une méfiance généralisée à l'égard de nombreuses sources d'information.
Dans une salle de rédaction, les machines sont des collègues infatigables qui peuvent parcourir automatiquement des trésors de données, analysant presque tout, des balises SEO aux données officielles, en passant par le contenu généré par l'utilisateur ou les publications sur les réseaux sociaux. Selon certaines prévisions, 90% des actualités seront rédigées par une IA d'ici 2025. The Washington Post a mis au point en 2016 un outil baptisé Heliograf. Cette IA a rédigé plus de 850 articles, dont 500 consacrés aux élections. Ces articles ont permis au média américain de générer 500.000 clics. Le fil de presse Associated Press (AP) est passé de la production de 300 articles sur les rapports des résultats des entreprises chaque trimestre à 3.700 grâce à l'utilisation de l'IA. Aujourd'hui, la salle de rédaction d'AP génère environ 40.000 articles par an.
En France, la start-up Syllabs aide une vingtaine de médias, dont L'Express, Le Monde, 20 Minutes ou encore France.tv à rédiger du contenu grâce à un moteur de rédaction mis au point par des linguistes. En 2018, Forbes a lancé une plateforme de publication appelée «Bertie», qui utilise l'IA pour aider les journalistes avec des articles de presse en identifiant les tendances. Bloomberg a été l'un des premiers à utiliser Cyborg, un programme disséquant les rapports financiers et écrivant instantanément des reportages avec tous les faits et chiffres pertinents.
Dans cette course technologique, le Maroc n’est pas en reste. L'agence marocaine de presse MAP (Maghreb Arabe Presse) a entamé l’an dernier la production automatique des dépêches et du Tagging. Cette plateforme, qui fait partie d’une série de projets IA de l’agence, permet de générer automatiquement des dépêches sportives (football et basket) et des dépêches boursières (Bourse de Casablanca) en langue française 24h/24, 7j/7 en utilisant des données fournies par la MAP. L’automatisation des modes de production journalistiques ne se limite pas aux seules générations de textes. La BBC a récemment mis en service une voix synthétique pour lire les articles publiés sur son site. Chez Reuters, c’est un système de vidéo automatisé qui a été lancé l’an passé pour la couverture de rencontres sportives.
Pour de nombreux journalistes, l'idée de partager l'espace avec l'intelligence artificielle est menaçante. Cette automatisation constitue une menace pour l’emploi et l’identité journalistique, en accomplissant un travail habituellement dévolu aux humains. Mais l'IA ne vise pas à remplacer le travail des journalistes. Elle prend plutôt en charge des tâches répétitives, simples ou à forte intensité de données afin que les journalistes humains puissent se concentrer sur les sujets qui nécessitent une vision créative, une analyse multifacette et un bon discernement. «En dehors des grandes agences de presse et des acteurs de niche, la plupart des salles de rédaction en difficulté n'ont pas les compétences - ou, plus important encore, le temps - à consacrer à comprendre comment utiliser ces technologies et donc elles ne commencent même pas», avait déclaré précédemment dans nos colonnes Badr Boussabat, expert en IA.
Cependant, on s’attend à ce que dans les prochaines années, l’utilisation d’outils d’IA sera de plus en plus courante dans les rédactions d’information. 75% des éditeurs déclarent que dans les trois prochaines années, l’IA jouera un rôle crucial dans le business de leur entreprise, et cela vaut tant pour les petits que pour les grands éditeurs. C’est en tout cas ce qui ressort d’une étude de février 2022, menée par la World Association of News Publishers (WAN-IFRA). Un autre rapport établi à la demande de The Reuters Institute et pour lequel 246 éditeurs et rédacteurs en chef dans 52 pays ont été interrogés, a lui aussi révélé que l’intelligence artificielle est en haut de la liste des priorités. Le robot-journalisme pur, soit la génération automatique d’articles, est actuellement moins une priorité pour 40% d’entre eux, mais c’est bel et bien un aspect sur lequel bon nombre d’éditeurs progressistes se focalisent.