Quand un ministre touche à la presse, il marche sur des œufs. Quand il réforme son organe d’autorégulation, il égratigne des sensibilités. Et quand il le fait dans un contexte de mutation, c’est un petit miracle politique.
Par David William
Mohamed Mehdi Bensaid, ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, vient de réaliser ce tour de force avec l’adoption, par la Chambre des représentants, du projet de loi n°026.25 portant réorganisation du Conseil national de la presse (CNP). Et autant dire les choses clairement : ce n’est pas tous les jours qu’un ministre choisit la tempête plutôt que la tranquillité.
A l’origine de cette réforme, un constat sans appel : le cadre juridique issu de la loi 90.13 promulguée en 2016 avait montré ses limites avec, entre autres, les difficultés des commissions Ethique & Déontologie et Médiation & Arbitrage à s’acquitter correctement de leurs missions, ou encore le flou sur le mode de scrutin et l’autorité devant superviser les élections des membres du CNP.
Bref, une belle architecture institutionnelle, mais des fondations fragiles. Il fallait reprendre le chantier, et Bensaid n’a pas hésité. «Il ne s'agit pas d’un simple nouveau texte législatif, mais d'une étape cruciale dans le processus de modernisation et de développement du paysage médiatique», a-t-il souligné devant les députés.
Ce projet de loi, qui s’appuie sur une approche participative saluée par toutes les parties prenantes du secteur, puisqu’il est né de la concertation et du dialogue avec les professionnels, répond aux défis structurels du secteur : lectorat en chute libre, érosion des recettes publicitaires, modèle économique en panne, émergence des réseaux sociaux et difficulté d’adaptation au numérique. C’est pourquoi les choses ont été réorganisées en profondeur.
Le texte prévoit ainsi la création d’une commission indépendante pour superviser les élections professionnelles. Il met également à jour les dispositifs de médiation et d’arbitrage, accorde une meilleure lisibilité aux procédures disciplinaires et corrige certaines dispositions jugées liberticides, à l’image de la suppression de la suspension pouvant frapper un journal pour trente jours.
Là encore, Bensaid a tenu à replacer la réforme dans son contexte : «ce texte vise à parvenir à un équilibre entre la liberté de la presse et la nécessité de respecter les règles professionnelles et déontologiques», ajoutant qu’«il reflète une compréhension approfondie que la liberté de la presse, garantie par la Constitution, ne peut être réalisée que par les mécanismes d'autorégulation».
45 amendements retenus
Durant son parcours législatif, ce projet de loi a cependant su évoluer. En effet, sur les 249 amendements déposés, 45 ont été retenus. Cette souplesse dans le débat parlementaire témoigne d’une volonté d’écoute réelle. Et le nombre d’amendements montre, tout autant, qu’il y avait à dire à propos de ce texte, notamment en ce qui concerne le mode de désignation des membres du CNP.
En effet, les journalistes seront élus, mais les éditeurs, eux, seront désignés. Un choix qui n’a pas plu à l’opposition, qui y voit une atteinte au principe démocratique. «L’élection est la forme la plus noble de l’exercice démocratique», ont plaidé les députés critiques, redoutant un retour en arrière.
Mais Bensaid a assumé. «Le choix de l’élection pour les journalistes professionnels et de la désignation pour les éditeurs est dicté par la nature de ces deux catégories», a-t-il expliqué, ajoutant que cette désignation repose sur une logique de «représentation fondée sur le consensus».
Cette position, courageuse dans un contexte aussi sensible, rappelle une vérité que beaucoup aimeraient oublier : la démocratie, en matière de gouvernance sectorielle, consiste à toujours trouver le bon équilibre.
Bref, à l’heure où certains médias sombrent dans le sensationnalisme pour survivre et où d’autres se battent pour exister face aux géants du web, la consolidation du CNP apparaît comme une réponse structurante. Et même si l’opposition et certains observateurs sont critiques, il est difficile de nier la cohérence globale du projet, qui doit atterrir par la suite à la Chambre des conseillers.
En attendant, Bensaid semble avoir réussi son pari, en esquivant ce qui s’apparentait à un guet-apens politique, avec notamment une presse marocaine parfois ombrageuse, une classe politique toujours en alerte quand il s’agit de liberté d’expression et des ONG internationales promptes à dégainer leur classement.
Bien sûr, tout n’est pas parfait. On peut légitimement continuer à s’interroger sur le traitement différencié entre journalistes et éditeurs. Sur le rôle futur du CNP dans la lutte contre la désinformation. Ou encore sur sa capacité à accompagner une transition numérique encore balbutiante. Mais on ne peut pas, honnêtement, balayer d’un revers de main ce travail de refonte. Il fallait le faire. Il fallait oser. Et il l’a fait.