Maroc - UE : «Nous avons choisi de faire de notre relation un partenariat de référence»

Maroc - UE : «Nous avons choisi de faire de notre relation un partenariat de référence»

Le partenariat entre le Maroc et l’Union européenne franchit un nouveau seuil. En 2024, les échanges commerciaux ont dépassé 60 milliards d’euros, dont plus de 7 milliards dans le secteur agricole, un record jamais atteint. Cette coopération ouvre de nouvelles perspectives, notamment dans l’énergie verte, le digital et l’agroalimentaire. Entretien avec Patricia Llombart Cussac, ambassadrice de l’Union européenne au Maroc.

Finances News Hebdo : Dans le cadre du partenariat stratégique entre le Maroc et l’Union européenne, les échanges commerciaux ont franchi le cap des 60 milliards d’euros, et l’UE demeure le 1er investisseur étranger direct dans le Royaume. Dans quelle mesure les accords de libre-échange ont-ils contribué à cette dynamique ?

Patricia Llombart Cussac: C’est effectivement une donnée dont on ne peut que se réjouir. Notre commerce bilatéral a atteint les 654 milliards de dirhams en 2024, soit son plus haut niveau historique. C’est un succès, alors que l’entrée en vigueur de l’Accord d’association UE-Maroc fête ses 25 ans cette année. Le Royaume et ses produits bénéficient d’un accès privilégié au marché unique européen, qui absorbe deux tiers des exportations marocaines, ce qui permet de renforcer son attractivité auprès des investisseurs internationaux. Notre commerce bilatéral a quintuplé et est devenu une source de croissance économique, mais aussi d’emplois - et donc de stabilité - des deux côtés de la Méditerranée. L’UE demeure également le principal investisseur au Maroc.

 

F. N. H. : Comment peuvent-ils encore être renforcés pour favoriser un développement économique mutuellement bénéfique ?

P. L. C. : Si l’on se penche sur nos chiffres du commerce, on constate que nos échanges sont dynamiques et de plus en plus équilibrés. En 2024, les exportations marocaines vers l’UE ont couvert 79% des importations venant de l’UE, un taux de couverture qui reflète l’intégration euro-marocaine des chaînes de valeur. Ce sont ces chiffres qui nous permettent de parler d’un «partenariat», plutôt que d’un simple accord commercial. Nous pouvons porter ce partenariat encore plus haut, ce qui nous permettrait d’ouvrir encore plus d’opportunités économiques et d’emploi dans l’UE et au Maroc. Notamment, en abaissant les barrières commerciales existantes, en favorisant le commerce des services ou encore en facilitant les investissements soutenables. En travaillant dans cette direction, nous pourrons créer davantage d’opportunités économiques et d’emplois, tout en renforçant la capacité de nos sociétés à faire face aux transitions climatiques, énergétiques et numériques.

 

F. N. H. : L’Union européenne (UE) est un partenaire clé du Maroc dans plusieurs secteurs stratégiques. Peut-on s’attendre à de nouvelles initiatives conjointes notamment dans les domaines de l’énergie, de la formation ou encore du développement régional ?

P. L. C. : Vous avez raison. Avec le Maroc, nous avons bâti un partenariat vaste et profond. Unis par la géographie, des siècles d’échanges culturels et une volonté commune d’agir face aux grands défis actuels, nous avons fait le choix de travailler ensemble et de faire de notre relation un partenariat de référence. Nous l’avons renforcé avec le Partenariat vert et nos échanges, le Maroc étant devenu le premier partenaire commercial de l’UE en Afrique. De la même manière, le Maroc est aujourd’hui un pays pionnier dans notre coopération sur les Industries culturelles et créatives (ICC), qui sont une source de compréhension mutuelle et d’emplois dignes pour la jeunesse. Nous avons beaucoup investi dans ces domaines, ainsi que d’autres, ces dernières années. Nous sommes en train de poser les piliers pour davantage de coopération, par exemple avec l’adoption d’un nouveau Pacte pour la Méditerranée. Les temps bouleversés que nous traversons rendent ces choix encore plus nécessaires.

 

F. N. H. : Comment l’UE perçoit-elle le rôle régional du Maroc, notamment en Afrique, et dans quelle mesure cette dimension africaine influence-t-elle les contours de votre partenariat ?

P. L. C. : L’Afrique revêt une importance stratégique pour l’Union européenne, tout comme pour un nombre croissant d’acteurs internationaux. Nous partageons avec le Maroc la conviction que le multilatéralisme et le dialogue sont les voies les plus efficaces pour relever les défis régionaux et globaux. Sous l’impulsion du Roi Mohammed VI, le Maroc a fait de l’Afrique une priorité de sa politique étrangère et s’est engagé à renforcer la coopération sud-sud, comme en témoigne par exemple l’Initiative royale pour l’Atlantique. Son ancrage et sa connaissance du terrain font du Maroc un partenaire précieux pour bâtir des solutions conjointes entre nos continents. Récemment, le Représentant spécial de l’UE pour le Sahel s’est rendu à Rabat pour approfondir ce dialogue politique. Nous portons aussi un projet de financement de 2.500 bourses pour des étudiants africains souhaitant poursuivre leurs études au Maroc. Ce premier jalon pourrait ouvrir la voie à des coopérations trilatérales, que nous développerons via le paquet d’investissement «Global Gateway», qui, pour le continent africain, mobilise jusqu’à 150 milliards d’euros.

 

F. N. H. : L’Union européenne a participé cette année pour la première fois au Gitex Africa avec un stand dédié. Que signifie cette présence et que révèle-t-elle sur l’évolution des relations technologiques et numériques entre l’UE et le Maroc ?

P. L. C. : Notre participation au Gitex était une grande première. L’UE y était présente, ainsi que plus de 100 entreprises européennes. Cet évènement s’impose comme un rendez-vous majeur en Afrique en termes d’innovation, et nous comptons y revenir. Pour l’UE, la transition d'un impératif pour notre compétitivité et un rendez-vous que nous ne pouvons pas manquer. Notre objectif est d’être à la tête de l’innovation mondiale. Nous sommes en train de nous doter des moyens pour y parvenir, notamment en travaillant avec les pays qui nous sont proches, comme le Maroc. Je vois ce secteur devenir un axe principal de notre coopération dans les années à venir, y compris pour l’inclusion digitale ou dans des domaines de pointe comme l’Intelligence artificielle. Mes échanges récents avec la ministre chargée de la Transition numérique, Amal El Fellah Seghrouchni, nous ont permis d’approfondir davantage notre coopération sur la connectivité, la recherche, l’innovation et la souveraineté numérique.

 

F. N. H. : L’UE a également marqué sa présence au Salon international de l’agriculture au Maroc (SIAM). Quels sont aujourd’hui les axes prioritaires de la coopération agricole entre le Maroc et l’Union européenne ?

P. L. C. : Le secteur agricole est, pour l’UE et le Maroc, au croisement de la souveraineté alimentaire, du développement durable et de la création d’emplois. Depuis 2012, les échanges commerciaux agricoles entre le Maroc et l’UE ont quasiment triplé à plus de 7 milliards d’euros en 2024, leur plus haut niveau historique. Le Maroc est aujourd’hui le premier fournisseur de légumes de l’UE; cette dernière assure de son côté près de 60% des besoins marocains en blé. Ce dynamisme commercial s’appuie sur une volonté commune de rendre aussi nos systèmes agricoles plus résilients. Les défis que pose le climat, en particulier la raréfaction de l’eau et la sécheresse, sont non seulement une réalité au Maroc, mais plus généralement dans l’espace méditerranéen. Ils appellent à des réponses plus structurantes, que nous portons à travers le Partenariat vert Maroc-UE. Ce qui nous permet de partager des expériences dans les deux sens, par exemple dans le domaine de la gestion de l’eau. Pour être concrète, l’un de nos projets a permis d’économiser plus de 130 millions de m³ d’eau dans 32 villes, au profit de 11 millions d’habitants. Nous soutenons aussi des milliers de jeunes et de femmes dans leur parcours vers l’entrepreneuriat rural vert. L’objectif est de préserver les territoires, renforcer la résilience des filières agricoles et encourager des pratiques plus durables.

 

F. N. H. : Comment décririez-vous aujourd’hui l’état de la coopération économique entre le Maroc et l’Union européenne ? Quels sont les leviers de croissance ou d’investissement qui se profilent à l’horizon ?

P. L. C. : Notre coopération économique s’inscrit, plus que jamais, dans une logique d’intérêt mutuel, de création de passerelles concrètes entre nos économies, à travers le soutien au secteur privé, la promotion des investissements durables et l’accompagnement de réformes favorables à la compétitivité. Nous accordons une attention particulière aux PME. Notre partenariat agit comme un levier pour renforcer leur accès au financement, encourager l’innovation et favoriser leur intégration dans les chaînes de valeur. Notre objectif commun est celui de stimuler la croissance et créer des emplois durables, bénéfiques aux économies des deux régions. Nous allons nous engager pour que les leviers de croissance et d’investissement qui se profilent à l’horizon, tels que l’industrie automobile, les énergies renouvelables, la numérisation et la coopération régionale, renforcent les liens économiques entre les deux parties et créent des opportunités pour les entreprises et les investisseurs. A mon sens, il est important de rappeler que l’investissement n’est pas qu’économique, mais il est aussi, et surtout, dans le capital humain. La santé, la protection sociale, l’éducation et l’accès à un niveau de vie décent tout au long du parcours de vie, sont au cœur de nos priorités. C’est pour cela que nous continuons d’investir, avec le Maroc, dans les compétences, l’inclusion et les opportunités pour la jeunesse, afin de répondre aux besoins du marché du travail, dans le Royaume et en Europe, pour une mobilité bénéfique et enrichissante pour les personnes, les entreprises et nos sociétés.

 

F. N. H. : La dimension culturelle occupe une place importante dans l’action de la délégation de l’Union européenne au Maroc, avec un département dédié. Quel rôle joue ce volet dans le renforcement des liens euro-marocains, et comment le Maroc peut-il contribuer à faire émerger un dialogue culturel euro-africain plus structuré et durable ?

P. L. C. : À l’UE, nous croyons profondément au pouvoir de la culture pour rapprocher les peuples, créer du lien, et ouvrir des espaces de dialogue. C’est l’esprit qui anime nos deux grands rendez-vous culturels annuels, à savoir le Jazz au Chellah, qui trouve son expression à la croisée de différentes traditions musicales, et les Semaines du film européen, qui portent un regard sur la diversité de l’Europe. C’est également ce qui anime le programme de mobilité étudiante Erasmus+, un levier d’innovation entre nos deux rives, qui a vu la participation de plus de 13.000 étudiants et de 2.300 enseignants. Ce génie créatif marocain a une valeur et de fortes potentialités. Il peut devenir un moteur essentiel du développement économique et de l’employabilité. Les ICC jouent un rôle clé dans les relations UE-Maroc, avec 95% des exportations culturelles vers l’Europe. D’autant qu’elles emploient majoritairement des jeunes, hommes et femmes.

 

F. N. H. : À l’occasion de la Fête de l’Europe et du 75è anniversaire de la Déclaration Schuman, le Parlement européen a institué l’Ordre européen du mérite. Quel sens particulier cette initiative revêt-elle dans le cadre du partenariat Maroc-UE, à un moment où les enjeux communs appellent à davantage de coopération et de proximité ?

P. L. C. : Dans un monde où certaines boussoles vacillent, je pense qu’il est plus que jamais nécessaire de redonner du sens aux mots que l’on emploie. Nous parlons souvent de «partenariat», de «coopération» ou de «valeurs». Ces mots ne sont ni abstraits, ni décoratifs. Ce sont des choix politiques et humains. L’Ordre européen du mérite s’inscrit dans cette volonté de reconnaître celles et ceux qui œuvrent concrètement à faire vivre ces engagements. Et c’est aussi ce qui fait la force de notre action commune avec le Maroc. Un partenariat vivant, dynamique et ancré dans la réalité. Cette proximité et notre capacité à dialoguer régulièrement constituent un atout précieux pour affronter ensemble les grands défis mondiaux.

 

F. N. H. : Alors que votre mission en tant qu’Ambassadrice de l’Union européenne au Maroc touche à son terme cet été, quels sont les principaux acquis de ce mandat ? Et quels axes devraient être renforcés pour consolider davantage ce partenariat stratégique entre le Maroc et l’Union européenne ?

P. L. C. : Mon fil conducteur durant ces années au Maroc et au travers de mes visites effectuées dans le pays a été clair,  avec des résultats tangibles et une ambition accrue. La relation a traversé des moments difficiles, mais l’inaction n’a jamais été une option. Bien au contraire, nous avons fait le choix d’une écoute active, d’un dialogue régulier et franc, ainsi que d’un engagement renforcé dans ce partenariat. Je reste fière de ces réalisations concrètes. Mais je suis encore plus fière de constater que notre relation repose sur des piliers solides, des intérêts partagés et des valeurs communes. Dans un monde incertain, l’UE se veut être un partenaire solide, fiable et de long terme pour le Maroc. J’ai bien compris la nature existentielle des préoccupations du Royaume, et j’ai aussi partagé les nôtres. Je ne vois pas de limites à notre relation. En réalité, avec le renforcement significatif des liens entre le Maroc et les États membres de l’UE ces dernières années, l’horizon est plus que jamais ouvert.

 

 

 

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