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Sûretés mobilières: «La réforme a d’ores et déjà rempli une partie de ses missions»

Sûretés mobilières: «La réforme a d’ores et déjà rempli une partie de ses missions»

Les principaux objectifs du nouveau dispositif étaient relatifs au volet des délais de paiement et celui du financement.

La loi 21-18 relative aux sûretés mobilières a levé les ambiguïtés terminologiques antérieures et clarifié les notions juridiques, comme elle a allégé les procédures et multiplié le champ des sûretés mobilières.

Le nouveau dispositif juridique aurait aussi donné une large place à la liberté contractuelle des acteurs économiques en leur permettant d’organiser de manière privée et extra-judiciaire les conditions de leurs engagements et défaillances réciproques.

Eclairage de Nawal Ghaouti, avocate près la Cour de cassation et ancienne présidente de la Commission juridique, fiscale et sociale de la CFCIM.

 

Propos recueillis par M. Diao

 

 

Finances News Hebdo : La loi 21-18 relative aux sûretés mobilières, promulguée en décembre 2019, était censée à la fois faciliter l’accès des entreprises (TPME) au financement et réduire les délais de paiement. Avec le retour d’expérience, selon vous, cette loi tiendra-t-elle toutes ses promesses ?

Nawal Ghaouti : La réforme du droit des sûretés mobilières a été envisagée au Maroc depuis de longues années. Pour rappel, elle découle de l’initiative «Arab Secured Transactions Initiativ», lancée par la SFI et par le Fonds monétaire arabe de 2011, et fait suite au Mémorandum de 2016 soumis au gouvernement par la CGEM, le GPBM et Bank Al-Maghrib. Sa rédaction et son adoption en avril 2019 pour la loi (et en novembre 2019 pour le décret), ont été le fruit d’un long processus, car le texte supposait une modification profonde et délicate de nombreuses dispositions très anciennes de notre législation, dont certaines étaient centenaires.

La feuille de route de ses rédacteurs était très ambitieuse puisqu’il s’agissait notamment, et dans le même temps, de regrouper dans un seul texte les dispositions éparses de la matière (Dahir formant Code des obligations et contrats DOC, Code de commerce, Code des assurances et Code de recouvrement des créances publiques), de redéfinir les notions de gage et de nantissement de manière unifiée, de simplifier les procédures de constitution des sûretés, d’alléger leur mode de réalisation et d’assurer un accès à l’information à toutes les entités économiques. Les principaux objectifs du nouveau dispositif étaient double en effet :

• Sur le volet délai de paiement : apporter une meilleure sécurité juridique aux opérateurs économiques en agissant sur le fléau des créances impayées devenues endémiques non seulement envers les institutions financières, mais aussi dans le circuit interentreprises ; et ainsi «contribuer au rayonnement de la place financière de Casablanca».

• Sur le volet relatif au financement  : en faciliter l’accès en offrant une alternative solide aux hypothèques et cautions personnelles devenues depuis des décennies le fondement quasi incontournable de tout financement bancaire, alors qu’une large part du tissu économique constitué de TPME et leurs dirigeants ne disposent pas de patrimoine personnel immobilier. Et par ailleurs, diminuer le coût de ce financement en apportant une alternative également à la réalisation des garanties par la voie judiciaire, laquelle déprécie considérablement la valeur du bien restitué lors de sa vente, ce qui contraint à augmenter la surface des sûretés bien au-delà du plafond de la créance due.

A ces multiples égards, et en notre qualité de praticien du droit, nous pouvons considérer que la réforme a d’ores et déjà rempli une partie de ses missions. Elle a levé les ambiguïtés terminologiques antérieures et clarifié les notions juridiques, comme elle a allégé les procédures, multiplié le champ des sûretés mobilières et donné très justement une large place à la liberté contractuelle des acteurs économiques en leur permettant d’organiser de manière privée et extra-judiciaire les conditions de leurs engagements et défaillances réciproques. Ce qui ne manquera pas de favoriser le désengorgement des tribunaux d’une partie du contentieux commercial qui les occupe. Même s’il est attendu naturellement que de nouveaux types de contentieux litiges liés aux nouveaux mécanismes feront jour par ailleurs. La récente promulgation de la loi et le calendrier de sa mise en œuvre ne permettent pas néanmoins, à ce stade, d’évaluer précisément sa «réception» pratique et son application par les acteurs économiques.

Le Registre national des sûretés mobilières a été en effet instauré en mars 2020, soit à la veille de l’urgence sanitaire et au démarrage de la crise Covid-19, qui altère depuis lors fortement toutes les activités commerciales et financières et trouble les comportements des entreprises. Le souci du législateur de clarifier et simplifier au maximum cette matière particulièrement technique et complexe, vise une adoption rapide et massive par les entreprises cibles (TPME). Il est attendu que le gouvernement livre prochainement une première étude d’impact de la loi 21-18 qui nous permettra de faire un premier point d’étape. Si l’on en croit l’analyse réalisée par la Banque mondiale dans 73 pays ayant adopté un dispositif idoine à celui de notre texte, des résultats favorables sur le financement et le climat des affaires sont intrinsèquement liés à ce type de réformes et aisément quantifiables.

 

F.N.H. : Sur le plan juridique, quelles sont, selon vous, les principales améliorations apportées par la loi 21-18, notamment au sujet du gage et du nantissement ?

N. Gh. : Je rappelle tout d’abord que le gage et le nantissement sont des sûretés mobilières en ce qu’ils constituent une garantie conférant à «un créancier le droit de se payer sur la chose gagée ou nantie par préférence à tous les autres créanciers». La chose objet du gage ou du nantissement correspond à «tout ce qui peut être valablement vendu, y compris des  choses futures, aléatoires ou dont on n’a pas la possession». La terminologie et les notions de ces deux sûretés ont été utilement clarifiées par la loi 21-18 qui les définit comme suit : «Le gage est un contrat par lequel un débiteur affecte une chose à la garantie d’une obligation et qui requiert la dépossession de la chose», alors que le nantissement permet au débiteur de continuer à user de la chose objet de la garantie. La référence à ces deux opérations est unifiée dans l’ensemble des dispositions de la loi, alors que les précédents textes les employaient de manière indifférenciée et parfois erronée. Ce qui favorise désormais une sécurité juridique importante et évitera les litiges et controverses liés à l’interprétation des accords entre créanciers et débiteurs. Outre cette clarification lexicale, la réforme apporte de nombreuses nouveautés remarquables, de même que la codification de mesures anciennes :

• la possibilité d’inscrire au Registre national des sûretés mobilières une simple promesse de nantissement avant même la conclusion du contrat, ce qui donne de la souplesse aux opérateurs dans leurs négociations avec leurs banques ou partenaires durant un délai de 3 mois.

• L’introduction du mécanisme de mainlevée partielle en cas de paiement d’une partie de la créance, ce qui peut libérer du patrimoine à donner en garantie pour un nouveau financement.

• La substitution éventuelle de choses nouvelles aux anciennes nanties ou gagées si leur valeur est égale, ce qui donne une souplesse salutaire à la pratique économique des entreprises et commerçants (alors que les anciens articles 1234 et 1235 du DOC considéraient que le gage était éteint et remplacé par un nouveau contrat).

• la possibilité pour le créancier de bloquer un solde créditeur de compte bancaire nanti en sa faveur par simple instruction à la banque détentrice du compte.

• la création du Registre national des sûretés mobilières, qui donne aux créanciers l’opportunité de gérer directement et de manière unifiée les inscriptions des garanties dont ils sont bénéficiaires et permet une information libre et accessible à toute personne intéressée.

• la création d’un mandat spécifique dérogatoire au DOC, pour donner à l’agent des sûretés un statut autonome.

Tous ces points constituent des améliorations manifestes des régimes du gage et du nantissement, en espérant qu’ils ne soient pas seulement mis en œuvre par les institutions financières dans leurs relations avec leurs clients, mais que les acteurs économiques sauront en tirer profit dans leurs activités interentreprises. Nous pouvons déplorer néanmoins que la réforme du droit des sûretés n’ait pas donné lieu à une modification concomitante du droit des difficultés d’entreprises pour une meilleure cohérence, notamment de l’exercice des privilèges des créanciers. Ce texte est toujours en cours de préparation, de même que celui relatif au nantissement des droits de propriété industrielle et celui du nantissement des marchés publics.

 

F.N.H. : Avec la problématique des délais de paiement qui ne cessent de s’allonger au Maroc, quel est l’intérêt pour une entreprise de vendre un bien avec une clause de réserve de propriété (CRP) à titre de garantie prévue par la loi 21-18 ? Et quels sont les écueils à éviter lors de la rédaction ou exécution de la CRP ?

N. Gh. : L’une des mesures innovantes de la loi 21-18 est en effet cette opportunité donnée aux entreprises de bénéficier d’une clause de réserve de propriété dans leurs relations commerciales. Jusque lors, la vente d’un produit, d’un bien ou d’un matériel, emportait transfert automatique de sa propriété à l’acheteur dès l’échange des consentements relatifs à la chose cédée et à son prix. La nouveauté de la CDP réside dans la suspension de cet ‘effet translatif’ de la vente, puisque le cédant conserve désormais la propriété de la chose jusqu’au paiement de la totalité du prix et ce, quel que soit le montant de l’acompte qu’il aurait reçu, selon l’article 618 nouveau du DOC.

Durant ce temps, et pour des raisons économiques évidentes, l’acquéreur dispose du complet usage du produit ou du bien, à l’instar d’un matériel acheté en leasing par exemple. Nous rappellerons que ce mécanisme visant à affecter des biens en garantie du paiement de la créance de leur prix est très ancien, et qu’il était déjà connu en droit romain, mais que c’est le développement de la vente à crédit qui l’a introduit petit à petit dans les législations proches de la nôtre. La CDP a de mon point de vue une double fonction : elle conforte, d’une part, les droits du vendeur et garantit les risques d’impayés par des solutions pragmatiques, de même qu’elle permet, d’autre part, d’agir sur les délais de paiement en les écourtant pour toutes les branches d’activité de distribution ou de négoce, puisque le règlement total du prix des biens, produits ou matériels conditionne leur revente.

Le législateur a imposé des conditions de forme et de publicité destinées à protéger les droits de toutes les parties à la cession, mais aussi l’ensemble des entités économiques, tiers au contrat : la clause doit être libellée par écrit dans l’acte de vente ou dans des conditions générales de vente, et enregistrée auprès du Registre national des sûretés mobilières. Cette clause doit comprendre les modalités de paiement du reliquat du prix et l’organisation minutieuse des conditions pratiques de la restitution des biens en cas d’impayé. Les parties sont libres de la renforcer par des obligations complémentaires pesant sur l’acheteur, même si la loi ne l’exige pas, comme par exemple : celle de contracter une assurance couvrant les dégâts éventuels des biens sous sa garde du fait du transfert du risque; celle de prévoir un lieu séparé pour stocker les produits ou biens et de leur conserver un mode d’identification les reliant au vendeur. Si l’acheteur décide de vendre le bien, matériel ou produit avant l’échéance du paiement du reliquat du prix, le texte prévoit une déchéance du terme : la totalité du montant de la vente devient immédiatement exigible, quel que soit le délai convenu initialement, ce qui induira des règlements anticipés selon la philosophie du texte.

En cas de non-paiement du complément du prix à l’échéance initiale ou induite par une cession, la loi 21-18 propose une solution originale qui marque une réelle rupture avec les mécanismes juridiques habituels. Elle permet en effet au vendeur de «restituer le bien meuble dans les conditions convenues entre les parties», ce qui constitue un mode de résolution «privé» des litiges liés aux créances impayées, donnant aux entreprises une «auto compétence» pour se rendre justice sans l’intervention d’un tiers (médiateur, arbitre ou juge). Soulignons que le propriétaire d’un appartement qui fait face à des loyers impayés ou une société de leasing propriétaire également des biens et dont le client est défaillant par exemple, doivent tous deux en demander judiciairement la restitution et disposer d’une décision du tribunal pour ce faire.

Le pari audacieux de la réforme est ainsi de déléguer la responsabilité de la gestion de leurs difficultés aux entités économiques privées, libres d’organiser les modes de restitution de la chose, sauf en cas de mauvaise foi de l’acheteur, qui en s’opposant à la mise en œuvre des accords pris avec son vendeur, obligerait ce dernier à recourir au juge des référés selon le texte. L’intérêt de cette clause est par ailleurs de faciliter le financement en faveur des entreprises venderesses, puisque les contrats qui en sont pourvus peuvent être donnés en nantissement à son banquier ou même faire l’objet d’une cession de créance à tout tiers. Il est bien entendu que seule la pratique montrera de quelle manière les acteurs privés feront usage de ce dispositif, qui ne constitue qu’une garantie parmi d’autres pour sécuriser les opérations commerciales. Il faut attirer l’attention sur le fait que la clause de réserve de propriété ne peut concerner toutes les formes d’activité ni toutes les entreprises, en raison de certaines limites tenant à ses dispositions tacites ou explicites.

La loi interdit par exemple de restituer des pièces détachées et biens destinés à des montages ou assemblages si cela induit un dommage du produit fini. Par ailleurs, des cessions à l’export vers des pays qui ne reconnaissent pas ce type de clause ou son mode de publicité rendent difficile, voire impossible sa mise en exécution, sans compter les difficultés d’organiser matériellement la restitution de biens dans un pays étranger. Il est possible toutefois de libeller une telle clause tout en renonçant à sa mise en jeu le moment venu au profit de la réalisation d’autres garanties. Elle représentera sans nul doute une pression matérielle considérable sur l’acheteur, qui sera privé de la propriété du bien jusqu’à l’apurement de sa situation avec son créancier.

 

F.N.H. : Enfin, quelle est la centralité du pacte commissoire au sein du dispositif juridique relatif aux sûretés mobilières et quelles sont les limites de ce mécanisme ?

N. Gh. : Le pacte commissoire est également une démonstration du changement de paradigme induit par la loi 21-18 quant au mode de réalisation des sûretés mobilières entre partenaires privés. Offrir de belles garanties aux entreprises sans s’assurer de la phase de leur mise en exécution aurait affaibli l’efficience de tous les nouveaux dispositifs de gage et nantissement. Jusqu’à l’avènement de cette loi, les rigidités et lenteurs liées aux ventes judiciaires et à la dévaluation du bien cédé par les tribunaux constituaient de véritables écueils désespérant les créanciers les plus tenaces. La réforme des sûretés mobilières a ainsi allégé et simplifié considérablement les procédures de réalisation des garanties par plusieurs mécanismes.

A côté de la vente de gré à gré, de l’adjudication judiciaire, le pacte commissoire constitue un «outil d’exécution» radical, puisqu’il permet l’appropriation du bien donné en garantie sur un mode contractuel et sans l’intervention du juge. L’article 1.221 pose le principe : «Le créancier gagiste ou nanti peut convenir avec le constituant qu’à défaut de paiement de la créance garantie, le créancier devient propriétaire de la chose... dont l’attribution se fait par simple constatation de non- paiement». Il s’agit d’une forme de «dation en paiement» convenue contractuellement et en amont du litige. Cette disposition fait peser une réelle menace sur le créancier défaillant, qui peut être dépossédé de ses comptes bancaires, de son fonds de commerce, de son matériel, de ses véhicules, ou de tout autre bien qu’il aurait donné en garantie au moment de la mise en place du crédit ou de tout partenariat ou acte commercial.

Deux conditions de forme sont imposées par le législateur :

• notifier une mise en demeure donnant un délai de 15 jours, faisant part de la déchéance du terme, et de la décision de mettre en jeu la clause du pacte commissoire.

• inscrire la mise en demeure après les 15 jours au Registre national des sûretés mobilières.

Les intérêts du débiteur sont néanmoins soigneusement protégés, puisqu’il dispose d’une possibilité de faire opposition après réception de la sommation, ce qui actera l’échec de l’accord contractuel du pacte et le renvoi des parties devant le tribunal pour défendre leurs intérêts. Lorsqu’il s’agit d’un nantissement, certaines contraintes liées à l’évaluation de la valeur du bien au moment de l’attribution peuvent surgir si elles n’ont pas été réglées minutieusement par le pacte. Certains créanciers peuvent en outre être rebutés par la question de l’appropriation d’objets et matériels divers dont il faudra gérer le stockage puis la revente. Sans compter les questions fiscales liées aux immobilisations.

Cependant, et en cas de gage qui induit, rappelons-le, la dépossession du bien donné en sûreté en faveur du créancier, la mise en jeu du pacte commissoire sera simplifiée et l’appropriation plus directe, puisque actée matériellement sans le concours du débiteur. Le pacte commissoire est donc conçu comme un remède simple, efficient et rapide à la problématique des créances impayées, tout en visant le désencombrement des tribunaux et en allégeant les frais liés au recouvrement. Il vise clairement à conforter un meilleur climat des affaires en apportant une sécurité juridique et une efficacité économique aux partenaires, à l’échelle du continent africain, puisque le pacte commissoire a été adopté dans la ligne du droit Ohada, qui a inspiré le législateur marocain.

Cependant, et afin d’éviter le couperet des magistrats souvent prompts à rétablir les équilibres au profit des parties jugées les plus «faibles», les co-contractants devront faire preuve d’une totale rigueur dans la rédaction du pacte lorsque l’un des partenaires est une personne physique, car les non professionnels, qui étaient exclus du dispositif dans l’avant- projet de la loi, ont finalement été admis à la conclusion d’une telle clause. Et ce, dans l’attente peut-être d’une future adaptation de la loi 31-08 sur la protection du consommateur qui date de 2011. 

 

 

 

 

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