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Prêt/emprunt de titres : cette bulle qu’on veut taire

prêt/emprunt de titres Maroc

La comptabilité du prêt/emprunt de titres évolue depuis peu au Maroc sous la pression d'une hausse importante des volumes. Mais l'opacité bat son plein sur ce que l'on peut considérer comme l'une des bulles les plus juteuses de l'histoire du marché financier marocain.

 

L’Association des sociétés de gestion et fonds d'investissement marocains (ASFIM), qui regroupe les professionnels de la gestion d'actifs, a présenté récemment à ses membres un nouveau guide pour la comptabilisation des opérations de prêts/emprunts de titres, des produits dérivés et des opérations en monnaies étrangères ainsi que pour les opérations de pension. Si la comptabilité évolue dans le bons sens, l'opacité, elle, bat son plein en ce qui concerne le prêt/emprunt de titres.

Ce mécanisme, lancé initialement pour rendre le marché financier plus liquide, a été détourné de sa fonction initiale. Il sert aujourd'hui à créer des liquidités à blanc et pose un problème d'intérêts croisés entre banques et OPCVM.

Ces fameuses opérations permettent concrètement aux banques d'emprunter des titres auprès des OPCVM et les servir en collatéral (garanties) sur le marché interbancaire pour se refinancer auprès de la Banque centrale. Une fois les fonds restitués, la banque récupère son collatéral et le remet à l'OPCVM prêteur tout en lui payant une rémunération, une sorte de loyer sur ses titres.

Au démarrage, cette activité récente, encadrée depuis 2013 par une loi spécifique et lancée véritablement au dernier trimestre de 2014, ne demandait pas de grands ajustements comptables chez les prêteurs: ils gardaient les titres dans leurs immobilisations.

Or, avec l'évolution récente de la comptabilité de ces opérations, ces titres passent en actif circulant durant la durée du prêt, plus exactement dans le poste «Créances à recevoir», ceci pour garantir l'image fidèle de l'OPCVM, bien que certains opérateurs estiment que cela alimente l'opacité :

«C'est un avantage certain pour les OPCVM qui peuvent noyer, dans le même coin de leurs bilans, ces opérations aux côtés d'opérations classiques comme les coupons à percevoir, par exemple», nous explique une source.

Si ce changement comptable est de nature à augmenter l'opacité de ces opérations, ce n'est pas là la véritable source d'inquiétude.

 

Des excès dans l'utilisation du mécanisme

 

Pour comprendre l'ampleur prise par ce marché, il faut observer son évolution. Entre le dernier trimestre de 2014, qui coïncide avec le démarrage réel de l'activité, et le troisième trimestre de 2015, les volumes sont passés de 41 Mds de dirhams à 144 Mds de dirhams, soit une progression de 251% en quelques mois.

Une progression maintenue depuis, si l'on en croit les quelques opérateurs qui disposent de données brutes sur le marché. Interrogés, plusieurs professionnels qui opèrent sur ce marché avouent qu'il existe des excès. «Au départ, le prêt/ emprunt devait porter sur les actions plus que sur les bons du Trésor. Mais nous constatons que l'objet initial de ce mécanisme a été détourné», nous explique sous couvert de l'anonymat l'un des rares opérateurs proche du milieu de la régulation, qui a accepté de répondre à nos questions.

Sollicitées par la rédaction de FNH, l'Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC) et Bank Al-Maghrib n'ont pas donné suite à nos interrogations.

Une bonne partie des volumes échangés sur ce marché concerne les titres publics que les banques empruntent pour se refinancer. En gros, elles utilisent le système, ou plutôt les failles du système, pour «imprimer» de l'argent bon marché à l'abri des regards. En face, les OPCVM utilisent ce mécanisme pour piloter leurs ratios prudentiels. Obligés de produire des reportings, le prêt/ emprunt leur permet donc de gérer leurs ratios durant ces périodes. Etant donné que les opérations intergroupes sont prédominantes, là aussi les OPCVM arrivent à piloter leurs ratios à l'abri des regards. Mais ce n'est pas tout.

 

Un effet de levier extrême, une loi qui doit être revue

 

Au dernier pointage officiel, lorsque les volumes étaient de 144 Mds de dirhams, soit plus du tiers des actifs sous gestion chez les OPCVM à fin 2016, 74% des opérations se faisaient sans garantie entrele prêteur et l'emprunteur. L'OPCVM va prêter des titres à sa banque maison-mère dans le secret le plus total (sauf aux yeux de l'AMMC) et sans garantie. Or, lors de la mise en place du prêt/emprunt, l'une des réticences des opérateurs était justement de se retrouver dans une telle situation où les prêts, dits à blanc, deviennent prédominants. Car, dans ce cas de figure, l'OPCVM prend un risque de contrepartie, celui de voir la banque ne pas restituer les titres, du moment qu'il n'a pris aucune garantie sur ce prêt. Ce risque est minime, mais réel.

Outre le risque de contrepartie, les opérations à blanc sont opaques en termes de pricing. Personne ne sait ce qui se passe en dehors de la banque et du régulateur. Nous sommes bien loin des standards d'un marché financier efficient. L'autre problématique que génère le prêt/emprunt de titres, est qu'il permet de faire jouer un effet de levier extrême. Les banques dépositaires peuvent en abuser, surtout lorsqu'il s'agit d'emprunts sans garantie.

Pour toutes ces raisons, les professionnels sont unanimes : la loi sur le prêt/ emprunt de titres sera bientôt amendée pour supprimer les prêts à blanc (sans garantie). L'idée est de stopper une éventuelle surchauffe du marché que certains qualifient même de bulle. Or, bulle ou pas bulle, cet amendement ne va pas du tout arranger les choses. En ôtant le tapis sous les pieds des opérateurs, les régulateurs risquent de provoquer un trou d'air sur les liquidités, avec comme conséquence directe un renchérissement du coût de l'argent, bien que ces prêts à blanc ne soient pas prédominants dans le volume journalier sur le marché interbancaire.

 

Un cadre législatif mal adapté

 

Il faut le dire, les opérateurs ne sont pas responsables, mais plutôt le législateur. Le cadre réglementaire initial du prêt/emprunt de titres, qualifié de simpliste, a permis au marché d'évoluer de la sorte. Désormais, l'amendement de la loi risque d'être suicidaire s'il n'est pas accompagné d'une montée en gamme de tout l'écosystème. Le premier est qu'une Chambre de compensation est désormais nécessaire pour gérer les opérations. Pour les opérateurs, c'est la pierre angulaire de toute réforme. Cette Chambre de compensation permettra, entre autres, de gérer les appels de marge, le risque de contrepartie et améliorer le pricing des opérations et, donc, réduire leur opacité.

Mais ce n'est pas tout, puisque la chaîne de valeur qui intervient sur le marché doit évoluer vers les standards internationaux : la mise en place de plateformes opérationnelles plus développées et la formation de ressources humaines compétentes sont nécessaires pour permettre au prêt/emprunt d'atteindre ses objectifs réels, ceux d’huiler le marché financier. Rappelons qu'en Europe, c'est grâce au prêt/emprunt de titres que les teneurs de marché, qui jouent un rôle fondamental dans la liquidité des Bourses, sont apparus. Nous pouvons reproduire le même schéma au Maroc, pourvu que le mécanisme soit correctement utilisé.

 

Par A. Hlimi

 

La définition légale

 

Voici la définition légale du prêt/emprunt de titres au Maroc : «Le prêt-emprunt des titres consiste à établir un contrat par lequel un prêteur transfère temporairement une quantité donnée de titres à un emprunteur, en contrepartie de l’engagement par ce dernier, de restituer les titres à une date prédéfinie et de verser une rémunération basée sur la valeur des titres prêtés. Conformément aux dispositions légales en vigueur, un titre prêté ne peut pas faire l’objet d’un nouveau prêt par l’emprunteur pendant la durée du prêt. En revanche, l’emprunteur est habilité à céder ou transférer les titres objets du prêt ou l’un quelconque des droits ou obligations en découlant, avec l’accord préalable des parties et suite à l’information de l'AMMC. Dans ce cas, il doit répondre de l’obligation d'être capable de restituer la même quantité de titres à son prêteur au terme du contrat, et d’en verser la rémunération».

 

 

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