Les assemblées annuelles de la BM et du FMI se tiennent actuellement à Washington.
Sur fond de chocs conjoncturels multiples, les Banques centrales durcissent leurs politiques monétaires au risque de provoquer une récession mondiale.
Par D. William
Washington est actuellement le point de convergence des décideurs politiques, gouverneurs des Banques centrales, économistes, parlementaires, ONG et autres experts de l’économie et de la finance mondiale. Pendant une semaine (10 au 16 octobre), s’y tiennent en effet les Assemblées annuelles de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. Cette édition a lieu toutefois dans un contexte particulier. Ou plutôt tendu, avec notamment une multiplication des chocs qui mettent à rude épreuve les économies du monde et obligent les gouvernements à prendre des mesures parfois controversées.
De la Covid-19 à la guerre russo-ukrainienne, en passant par la reprise postpandémique, qui a créé des tensions sur les chaînes d’approvisionnement, et la double crise alimentaire et énergétique, l’économie mondiale traverse des turbulences inédites. Et comme un clin d’œil à l’actualité du moment, le prix Nobel d'économie a été décerné, lundi, à Ben Bernanke, l'ancien président la Banque centrale américaine (Fed). Il partage cette distinction avec ses compatriotes Douglas Diamond et Philip Dybvig, pour leurs travaux sur les banques et leurs sauvetages nécessaires durant les crises financières.
Le marteau et l’enclume
La conjoncture économique mondiale actuelle a justement mis les Banques centrales sous les feux des projecteurs. Face à une inflation galopante, elles ont été pratiquement toutes contraintes de relever les taux directeurs pour résorber la hausse des prix. Même les plus réticentes ont finalement consenti à s’adapter à la conjoncture. Bank Al-Maghrib a dû notamment augmenter son taux directeur de 50 points de base à 2%, quitte à freiner une croissance économique déjà moribonde, qui devrait s’établir à moins de 1% cette année. Parce que l’argutie brandie il y a quelques mois selon laquelle l’inflation était exclusivement importée, ne tient plus : elle est désormais alimentée à la fois par des pressions d’origine externe, mais également interne, et se diffuse de façon «plus large» dans l’économie, reconnaît la Banque centrale. Elle a atteint 8% en août après 7,7% en juillet, et devrait s’établir globalement à 6,3% sur l’ensemble de l’année, contre 1,4% en 2021. Selon Bank Al-Maghrib, il y aurait une accalmie en 2023, l’inflation devant revenir à 2,4%. Sauf que cette projection est entourée d’incertitudes. Car les pressions inflationnistes pourraient au contraire perdurer, voire même s’exacerber, alimentées notamment par les tensions géopolitiques internationales qui risquent d’entraîner une nouvelle hausse des prix des produits énergétiques et alimentaires.
La Banque centrale procédera-t-elle alors de nouveau à un resserrement de sa politique monétaire pour soutenir la stabilité des prix ? Cela n’est pas exclu. Pour les analystes d’Attijari Global Research, cette première hausse du taux directeur pourrait en effet être «le début d’un nouveau cycle de resserrement monétaire de la part de Bank Al-Maghrib». D’ailleurs, pratiquement toutes les grandes Banques centrales sont sur cette ligne. Dans la zone Euro, où l’inflation a atteint 10% le mois dernier, la BCE a augmenté le taux directeur de 50 points de base en juillet et de 75 en septembre. Et elle promet de relever ses taux autant que nécessaire pour juguler l’inflation sousjacente. Une nouvelle hausse de taux pourrait donc survenir lors de la prochaine réunion du Conseil, le 27 octobre courant. De son côté, la FED, qui a opéré plusieurs hausses successives de son taux directeur, promet, elle aussi, de resserrer sa politique monétaire jusqu’à ce que l’inflation revienne aux alentours de 2% (elle était de 8,3% en août).
Actuellement, les institutions financières internationales s’accordent sur le fait que la hausse des taux d'intérêt et l'inflation exacerbent les difficultés, surtout pour les pays en développement. Si elles estiment qu’il est impératif de «maîtriser l'inflation, soutenir les ménages de manière précise et ciblée et d'équilibrer la politique monétaire et budgétaire», elles alertent aussi sur le risque accru de récession mondiale. Le président du Groupe de la Banque Mondiale, David Malpass, et la Directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, ont d’ailleurs mis en garde, lundi à Washington, contre le risque élevé d'une récession mondiale, avec en toile de fond le ralentissement de l'activité économique et les effets combinés de la hausse des tensions inflationnistes et des conséquences de la guerre en Ukraine.
Pour la BM, «la hausse générale et simultanée des taux directeurs en réponse à l'inflation accentue le spectre d’une récession mondiale en 2023 et menace les économies de marché émergentes et en développement de crises financières qui engendreraient des dommages durables». De son côté, la DG de l’Organisation mondiale du commerce, Ngozi Okonjo-Iweala, affirme que «nous devons faire face à ce qui ressemble à une récession qui approche», précisant qu'il s'agissait d'«une récession mondiale». Pour sa part, la CNUCED estime que «des politiques monétaire et budgétaire prises par les économies avancées risquent de pousser le monde vers une récession mondiale et une stagnation prolongée, infligeant des dommages pires que ceux de la crise financière de 2008 et du choc de la COVID-19 en 2020». Raison pour laquelle elle appelle les Banque centrales à assouplir leurs politiques monétaires. Un appel qui a cependant de fortes chances de ne pas être entendu.