Sur 12 régions, 3 drainent plus de la moitié de la richesse nationale. Un paradigme qu’il faut changer impérativement pour répondre aux besoins de toutes les couches sociales.
Par Désy. M.
Avec l’hypothèse ambitieuse d’une croissance à 4,5%, adossée à de forts niveaux d’investissements publics, la lettre d’orientation relative au PLF 2026 met en avant la réduction des disparités sociales et régionales en matière de création des richesses et du développement. En effet, cet aspect représente un jalon essentiel de l’émergence économique du Maroc, et s’inscrit dans une vision royale bien définie.
Depuis des années, le Maroc affiche des performances économiques globalement positives au niveau national, mais l’envers du décor montre que toutes les régions ne profitent pas de la même dynamique.
Selon les comptes régionaux du haut-commissariat au Plan (HCP), trois régions, dont Casablanca-Settat, RabatSalé-Kénitra et Tanger-TétouanAl Hoceïma concentrent, à elles seules, 58,5% du PIB en valeur au niveau national. À elles trois, elles façonnent l’essentiel de la richesse du pays, laissant aux neuf autres régions une contribution cumulée de seulement 41,5%. Cette concentration n’est pas le fruit du hasard.
Comme l’explique Rachid El Fakir, expert en économie monétaire, «l’économie marocaine s’est caractérisée par de grandes disparités territoriales; une forte concentration de la création des richesses dans l’axe atlantique, favorisée par des atouts historiques, géographiques et économiques qui ont permis l’émergence de trois pôles économiques majeurs».
Casablanca s’est affirmée très tôt comme capitale économique grâce à ses infrastructures portuaires et financières; Rabat bénéficie de son statut de capitale politique et administrative; et Tanger, zone historiquement internationale, s’est imposée comme porte commerciale vers l’Europe et l’Afrique grâce notamment à Tanger Med. Le revers de cette dynamique est une économie nationale à deux vitesses.
Certaines régions, comme l’Oriental ou Béni Mellal-Khénifra, peinent à suivre le rythme, enregistrant même une croissance négative en 2023. Le HCP souligne que l’écart moyen de richesse entre régions s’est creusé, accentuant les disparités sociales et économiques. Le niveau de vie moyen illustre ce fossé : un ménage à Casablanca-Settat dépense près de 29.000 dirhams par an, contre à peine 17.000 dirhams à DrâaTafilalet.
Le PLF 2026 face au défi de l’équité territoriale
Le gouvernement, conscient de ces fractures, a placé l’équité territoriale au cœur de la note d’orientation du Projet de Loi de Finances 2026. Celle-ci prévoit la poursuite des grands chantiers d’infrastructures pour désenclaver les régions fragiles, tels que le port de Nador West Med, le développement du port de Dakhla Atlantique ou la création de nouveaux corridors autoroutiers.
«Des politiques publiques de rééquilibrage territorial sont de mise», insiste Rachid El Fakir, qui souligne que l’État entend aussi miser sur l’agro-industrie dans les zones agricoles, le tourisme durable dans les régions montagneuses ou désertiques, et les énergies renouvelables dans les provinces du Sud. Pour l’expert, la réussite de ce chantier passe par la complémentarité des investissements publics et privés.
Le PLF 2026 mise également sur le capital humain, à travers la généralisation des écoles pionnières et le développement des cités des métiers et des compétences, afin de limiter l’exode des talents vers les grands pôles. En évoquant des pistes de solutions pour réduire ces disparités, suggérées par certains experts, notamment la mise en place des politiques monétaires et/ou budgétaires propres à chaque région, El Fakir tempère l’enthousiasme.
En effet, la mise en place de politiques budgétaires véritablement régionales se heurte à des obstacles, notamment en matière de ressources et de gouvernance. Quant à l’idée de politiques monétaires différenciées par région, il la juge «non faisable» au Maroc, tout en suggérant que Bank Al-Maghrib pourrait conditionner certains refinancements bancaires à l’orientation des crédits vers les zones défavorisées. L’équité territoriale devient ainsi une condition de durabilité de la croissance.
Si Casablanca, Rabat et Tanger continuent de tirer le pays vers le haut, leur domination pourrait accentuer un sentiment d’exclusion dans les régions périphériques. Le PLF 2026 ouvre une fenêtre de correction, mais c’est sur le terrain que se jouera l’avenir. Entre ambition et exécution, la réduction des disparités reste l’un des grands défis du Maroc.