Dans l’ouvrage sur le Maroc réalisé récemment par le FMI, les deux chercheurs, Dániel Baksa et Aleš Bulíř, se sont penchés sur la transition prévue vers un régime de politique monétaire avec ciblage explicite de l’inflation.
Par Y. Seddik
Depuis les années 1990, le Maroc a opté pour une politique monétaire caractérisée par un taux de change fixe et des restrictions sévères sur les mouvements de capitaux. Cette stratégie a permis de maintenir une stabilité macroéconomique relative, à l'abri des tumultes financiers mondiaux. «Pendant cette période, le Maroc a été en grande partie épargné par les fluctuations du cycle financier mondial, évitant ainsi les bulles financières, l'accumulation de dettes en devises privées insoutenables, et d'autres problèmes fréquemment observés dans les pays émergents aux mouvements de capitaux non réglementés», expliquent deux chercheurs dans l’ouvrage «Le Maroc en quête de croissance plus forte et plus inclusive», réalisé par le FMI et présenté lors des dernières Assemblées BM-FMI tenues à Marrakech. Néanmoins, cette stabilité nominale n'est pas sans coût, comme l'illustre le choc de la crise financière mondiale de 2008.
À l'époque, le Dirham s'est déprécié de près de 9% en termes réels, ce qui a engendré une inflation des prix et des salaires inférieure à celle de ses homologues commerciaux. L'étude révèle qu'une politique monétaire plus dynamique et un taux de change plus flexible auraient pu renforcer la compétitivité internationale du Maroc et le préparer à absorber les secousses extérieures. Par ailleurs, au cours des deux dernières décennies, Bank Al-Maghrib a modifié son taux directeur moins fréquemment que ses pairs dans des économies similaires, restreignant ainsi les possibilités d'ajustement face à des chocs économiques réels.
«À titre d'exemple, le taux directeur de Bank Al-Maghrib (BAM) n'a été modifié que 13 fois entre 2000 et 2020, tandis que la plupart des Banques centrales des petites économies ouvertes ont adapté leurs taux d'intérêt clés trois fois plus fréquemment. BAM a préféré utiliser des instruments monétaires non liés aux taux d'intérêt, tels que les exigences en matière de réserves», commentent les auteurs.
Un ciblage pour se protéger des chocs extérieurs
La pandémie de la Covid-19 a également mis en exergue la nécessité d'une réponse monétaire plus agile. En élargissant la marge autour de la parité, BAM a été en mesure de jouer un rôle de stabilisation plus actif. Or, une question subsiste : maintenir le taux de change fixe pourrait-il limiter les options disponibles pour faire face à de futurs chocs économiques, notamment ceux liés aux termes de l'échange et aux taux d'intérêt réels ?
Les simulations issues de l'étude laissent entrevoir les avantages potentiels pour le Maroc d'adopter une politique monétaire axée sur l'inflation, avec des taux de change flexibles, en matière de stabilisation de la production et de maîtrise de l'inflation. Ces bénéfices semblent dépasser les coûts éventuels liés à la volatilité des taux de change et des taux d'intérêt. En plus, il est généralement admis que le mécanisme de transmission économique est moins efficace dans le cas d'un taux de change fixe et d'un compte de capital fermé que dans le cadre d'un régime de change flexible et de flux de capitaux ouverts.
Les interventions sur les marchés des changes réduisent la marge de manœuvre pour le fonctionnement des canaux conventionnels, tels que le canal des taux d'intérêt classique et celui des actifs, tandis que le canal de taux de change nominal n'est pas accessible. En ce qui concerne le canal des actifs, les contrôles des capitaux ont tendance à ralentir le développement de marchés bien établis pour les titres à revenu fixe, les actions et l'immobilier. De plus, l'efficacité et la fiabilité du canal de prêt bancaire peuvent être entravées par la structure oligopolistique du secteur bancaire en raison des obstacles à l'entrée sur le marché intérieur des capitaux.
«Bien que le régime de rattachement monétaire ait aidé le Maroc à maintenir un taux d’inflation bas et un taux de change reflétant les paramètres économiques fondamentaux et les politiques souhaitables durant les deux dernières décennies, un taux de change plus souple et une politique monétaire active guidée par une cible d’inflation formelle pourraient faciliter la transition du pays vers un nouveau modèle de croissance économique reposant sur des investissements plus importants du secteur privé», concluent les chercheurs. Alors que BAM exprime son engagement envers une transition vers un taux de change flottant et l'adoption du ciblage de l'inflation, il convient de gérer cette transition avec précaution, avertit en conclusion le FMI.