Le calendrier est plutôt serré pour le gouvernement pour ce qui est de son projet de Loi de Finances 2023. En prenant en compte la date butoir du 20 octobre qui fixe la date limite du dépôt de ce texte devant la Chambre des représentants (art.48), conformément aux dispositions de la loi organique des Finances, ne reste plus que trois semaines à peine pour mener à bien cette tâche : derniers arbitrages entre les départements, délibérations du Conseil de gouvernement, puis adoption par le Conseil des ministres présidé par SM le Roi des «orientations générales du Projet de Loi de Finances» (art.49 de la Constitution).
Comment se présente donc ce budget 2023? Après trois ans de crise (pandémie Covid19, envol des prix des matières premières et énergétiques, conflit Ukraine-Russie et sécheresse), l'état des lieux reste fortement préoccupant. Par suite de décisions royales, bien des mesures de soutien et de relance ont été prises; elles ont permis de limiter l'impact social et économique de ces contraintes.
Le souci du gouvernement, dans la ligne de son orthodoxie relative à la maîtrise des équilibres budgétaires, a été constant - la veille et même la piqure de rappel étant souvent rendues publiques par Bank Al-Maghrib. Mais ce qui est nouveau cependant, c'est la doctrine de «l'Etat social» - un grand chantier de règne porté et entrepris par le Souverain. Il faut le redire : c'est là une «rupture» fondamentale participant d'une exigence de dignité et d'une pleine citoyenneté inclusive et solidaire. Aucun autre pays au Maghreb, dans le continent ou dans le monde arabe, ne se distingue par une telle stratégie.
Financement de la protection sociale
Cela dit, les presque trois années écoulées ont-elles permis de dégager des opportunités pour «lancer un ambitieux programme de réformes transformatrices», comme l'indique le rapport d'exécution budgétaire et de cadrage macroéconomique triennal du département de l'Economie et des Finances ? Mais, par ailleurs, bien d’autres interrogations demeurent. L'une intéresse l'opérationnalisation du Fonds Mohammed VI pour l'investissement qui tarde. Il a été budgétisé à hauteur de 15 milliards de DH en 2022 avec un objectif de mobilisation de 30 autres Mds de DH dans le cadre d'un partenariat public -privé. Pour l'heure, ce «mix» n'avance pas beaucoup...
Dans ce même trend, il faut aussi citer la profonde réforme du secteur public (Etat et entreprises publiques). Une loi-cadre dédiée a été publiée le 26 juillet 2021; son responsable a été nommé, Abdellatif Zaghnoun. Sa mission est celle-ci : l'amélioration de la gouvernance et l’efficience de gestion des 57 établissements publics du portefeuille de l'Etat sur une période de cinq ans. A-t-il le plein soutien du gouvernement ? Voire. Le PLF 2023 donnera en tout cas des indications significatives à cet égard. Pour ce qui est de la refonte générale du cadre de la protection sociale, rappelons que c'est un nouveau régime; il doit élargir l'assurance maladie obligatoire (AMO) à toute la population, avec en particulier l'intégration et la couverture de tous les travailleurs non salariés, les bénéficiaires actuels du Ramed; octroyer les allocations familiales au profit des enfants à charge; assurer un revenu minimum à toute la population ainsi qu’une pension de retraite pour tous les travailleurs; et une indemnité en cas de perte de leurs emplois. Reste le financement de ce vaste programme de protection sociale. Il est prévu aujourd'hui un coût financier de l'ordre de 51 milliards de DH (MMDH), annuellement, à compter de 2025. Mais qu'en sera-t-il précisément en 2023 -2024 ?
Là encore, le PLF de l'année prochaine devra donner des précisions. Il est prévu à terme, à partir de 2025, un mécanisme de contribution particulier : 50% au titre des cotisations des travailleurs non-salariés et de la contribution professionnelle unique (CPU) instituée déjà dans la Loi de Finances 2021; les autres 50% devant être assurés par le budget de l'Etat. Le gouvernement table sur ce qu'il appelle le «redéploiement progressif» de certaines ressources (Ramed, programmes sociaux d'aide à la scolarité Tayssir, aide directe aux femmes veuves, etc.); il entend également reconduire en 2023 la contribution sociale de solidarité déjà instituée en 2021 et 2022, laquelle, avec la TIC imposée (pneus, produits électroniques et énergivores) devrait mobiliser en 2023 le même montant qu'en 2022, à savoir quelque 6,5 Mds de DH.
Charte de l'investissement : opérationnalisation à… la fin 2023
Sur la table de l'Exécutif, de gros dossiers sont donc à l’ordre du jour. La relance de l'économie va-t-elle se faire dans des conditions favorables ? Ce qui pose le problème d'une politique de soutien à l'investissement. Le projet de loi-cadre formant charte de l'investissement a été adopté en Conseil des ministres le 13 juillet dernier; il est aujourd'hui en délibération au Parlement. Dans la meilleure des hypothèses, il faudra attendre la fin 2023 pour que les textes règlementaires d'application - les décrets du Chef du gouvernement - soient actés et qu'ils mettent ainsi en place des dispositifs de soutien des projets stratégiques, des PME, des TPME ainsi qu'aux entreprises visant leur développement à l'international. Si bien que l'Exécutif va continuer encore, durant les quinze mois à venir, à entretenir et à promouvoir un discours officiel surlignant cette «Charte» sans qu'elle ait une implémentation concrète dans les secteurs économiques. Une interrogation de même facture peut être faite à propos de la réforme fiscale.
Dans sa présentation du PLF 2023, l'Exécutif fait part de sa volonté de «mettre en œuvre la loi-cadre relative à la réforme fiscale, afin de renforcer la stabilité et la justice sociales». Les assises de la fiscalité avaient eu lieu en juin 2019; il a fallu pourtant attendre plus de deux ans pour la loi-cadre portant réforme fiscale, entrée en vigueur le 5 août 2021. Dans le PLF 2023, il est question d'une baisse de l'impôt sur le revenu (IR) au profit de l'amélioration du pouvoir d'achat de près de 2,3 millions de ménages (fonctionnaires et salariés du privé), lesquels sont les plus grands contributeurs à raison de 73% de l'ensemble des recettes collectées par l'Etat au titre de cet impôt. Une mesure jugée suffisante par l’Exécutif pour ne pas donner suite, soit dit en passant, à la demande des syndicats de revaloriser les salaires, et ce dans le prolongement de la revalorisation du SMIG et du Smag, conformément aux dispositions de l'accord social conclu dans le cadre du dialogue social le 30 avril 2022. Mais qu'en sera-t-il d'une véritable réforme fiscale ? L’évasion fiscale, la fraude fiscale, l'élargissement de l'assiette ? Rien de bien substantiel, semble-t-il...
Marges budgétaires
Pour ce qui est de l'investissement, il vaut de relever l'extrême polarisation du discours du gouvernement sur cette question. C'est une priorité sans doute, mais n'est-ce pas l'ensemble du «système» - productif, administratif, fiscal, etc.- qui doit être réformé pour optimiser à terme le mobilisation en faveur de l'investissement, et plus globalement de l'entreprise. Celle-ci est au cœur de la création de richesse et du développement générateur d'emploi. Les capacités d'absorption de l'investissement public ne dépassent pas une fourchette de 70/80% depuis des années. Que fait-on pour corriger ce taux de réalisation et pour l'améliorer ?
Dans tous ses rapports annuels, Bank Al-Maghrib met l'accent sur le médiocre rendement de l'investissement. Bon an mal an, le Maroc consacre 30 à 32% même à l'investissement, ce que les économistes appellent la formation brute du capital fixe (FBCF)- il est l'un des plus élevés dans le monde. Le HCP et le CMC ont fait des études pointues dans ce domaine : la croissance ne peut être forte, durablement, que s'il y a une efficience accentuée de l'investissement. Reste enfin, entre autres, les marges budgétaires du gouvernement pour assurer la pérennité des réformes annoncées, initiées ou en œuvre. Il fait part d'une «rationalisation des dépenses», d'un «renforcement des recettes de l'Etat» aussi. Lesquelles ? Celles du fonctionnement proposées sont marginales; et celles relatives à l'investissement ne peuvent faire l'économie d'une contraction fléchée vers une liste de programmes à prioriser. Un test de la crédibilité de ce gouvernement qui doit s'attacher ainsi à faire montre de volontarisme et de capacité réformatrice...
Par Mustapha SEHIMI Professeur de droit, Politologue