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Najib Akesbi: «Le gouvernement agit de façon manifeste dans le sens de la récession»

Najib Akesbi: «Le gouvernement agit de façon manifeste dans le sens de la récession»

Le projet de Loi de Finances rectificative 2020 a suscité beaucoup d’espoir.

Il était censé traduire le dessein de l’Etat de sortir de la crise par le haut.

Najib Akesbi, économiste et professeur, exprime sa déception dans cet entretien, et fustige l’obsession du gouvernement à vouloir maintenir les équilibres macroéconomiques au détriment des considérations sociales et de relance économique.

 

Propos recueillis par M. Diao

 

Finances News Hebdo : Quel regard portez-vous sur le PLF rectificative 2020, notamment sa propension à soutenir la relance économique par le haut ?

Najib Akesbi : Le projet de Loi de Finances rectificative (PLF) 2020 est une immense déception. La montagne a accouché moins d’une souris. Il est important de situer cette appréciation par rapport au contexte. La crise liée au coronavirus avait créé depuis le mois de mars une quasi unanimité à l’échelle nationale quant à la nécessité pour l’Etat d’utiliser le budget et la fiscalité pour répondre aux multiples besoins accentués par la pandémie, notamment dans les domaines de la santé, l’éducation, la couverture médicale, la création du revenu universel et la résilience production. Au pic de la crise, tous les regards se sont tournés vers le gouvernement, y compris ceux des partisans du moins d’Etat qui s’appuient sur des raisons purement idéologiques. Les chefs d’entreprise et les ménages les moins favorisés ont demandé l’aide du gouvernement afin de faire face aux chocs économiques, causés par la pandémie. Les besoins d’Etat et de services publics ont quelque part suscité de fortes attentes autour du PLF rectificative 2020. Dans un contexte de crise en proie à l’inexorable baisse des recettes fiscales, l’augmentation sensible des dépenses publiques afin de répondre aux besoins précités soulève la question du financement du déficit budgétaire. Le gouvernement avait la latitude de recourir à la fiscalité, l’endettement et la politique monétaire pour assurer le financement du déficit budgétaire. Or, aujourd’hui, il est regrettable de constater que l’Etat n’a montré aucun signe allant dans le sens d’une sortie de crise via la réforme fiscale. J’ai l’impression que le gouvernement a oublié ses engagements pris lors des dernières Assises de la fiscalité de mai 2019. Pour rappel, la mise en place de la loi-cadre portant sur la réforme fiscale promise pour juin 2019, n’a toujours pas vu le jour. Or, quatorze mois se sont écoulés depuis la tenue des dernières Assises de la fiscalité de Skhirat. Il ne fallait pas également compter sur la politique monétaire pour la relance, puisque celle-ci est menée par la Banque centrale. Cette dernière continue d’être le chantre du dogmatisme néolibéral. BAM ne fait pas d’effort en matière de politique monétaire non conventionnelle. Au regard de ce qui précède, le recours à l’endettement, qui a aussi des limites, semblait être inévitable pour sortir de la crise par le haut. Contre toute attente, l’Etat, à travers le PLF rectificative 2020, a visiblement décidé de remédier au déficit budgétaire.

 

F.N.H. : Par quel mécanisme l’Etat a-til supprimé le déficit budgétaire dont vous faites mention ?

N. A. : Le tableau d’équilibre de la Loi de Finances 2020 comportant les ressources et les charges présentait un déficit budgétaire de 41,7 Mds de DH. Ce qui équivaut en réalité au besoin résiduel de financement. En se penchant sur le PLF rectificative 2020, l’on relève un déficit budgétaire de 45,8 Mds de DH. D’où l’écart insignifiant de près de 4 Mds de DH entre la LF 2020 et sa rectification à travers le nouveau PLF rectificative 2020. Ce qui veut dire que l’augmentation du besoin résiduel n’équivaut même pas à un demi-point du PIB. Ces chiffres montrent l’immobilisme et l’attitude timorée du gouvernement qui n’a pas augmenté substantiellement les dépenses publiques dans les secteurs où les besoins ont été exacerbés par la pandémie, qui d’ailleurs sévit toujours au Maroc. Pire encore, en analysant les détails du PLF rectificative 2020, l’on remarque la baisse des dépenses de fonctionnement (-6 Mds de DH) et celles relatives à l’investissement. Dans le même temps, l’endettement augmente également. Il est déplorable de constater la contraction de la masse salariale (-1.6%) qui a un impact direct à la fois sur le pouvoir d’achat et la consommation. Jusque-là, l’on a rarement constaté un recul des dépenses inhérentes aux salaires des fonctionnaires en valeur absolue. Ce repli s’explique, entre autres, par une révision à la baisse de la modeste création de 23.000 postes de travail prévus par la LF2020. Or, dans cette période de crise marquée par l’affaiblissement du secteur privé, il était plus logique de procéder à l’augmentation des créations d’emplois publics dans l’optique de relancer l’économie nationale. D’autant plus que l’économie marocaine peine à créer chaque année suffisamment d’emplois. En gros, pour avoir un ordre de grandeur, seule 1 personne sur 4 arrive à trouver un emploi au Maroc. Au regard de ce qui précède, nous sommes tentés de dire que l’Etat s’inscrit volontairement dans une trajectoire d’aggraver la crise en enfonçant l’économie. Le gouvernement agit de façon manifeste dans le sens de la récession. La suppression des postes de travail traduite par le PLF rectificative conforte cela. L’autre raison explicative de la baisse de la masse salariale est le report de l’avancement des fonctionnaires qui s’attendent de façon légitime à l’amélioration de leur revenu. Le gouvernement n’a pas l’intention de relancer la consommation.

 

F.N.H. : Comment interprétez-vous la baisse du volume global de l’investissement contenue dans le PLF rectificative 2020 ?

N. A. : L’annonce de l’augmentation de 15 Mds de DH pour le poste de l’investissement est une diversion. Le volume global de l’investissement public consigné dans la LF2020 est de 198 Mds de DH. Ce chiffre décroît à 182 Mds de DH au niveau du PLF rectificative 2020. Ce qui équivaut à une baisse de 16 Mds de DH, soit -8%. Dans le détail du PLF rectificative, au niveau du budget général de l’Etat (BGE), certes l’investissement a augmenté de 15 Mds de DH. En revanche, l’investissement des établissements et entreprises publics (EEP), qui représente le plus gros paquet, passe de 101 à 72,5 Mds de DH (-28%). Il s’agit là d’un jeu d’écriture manifeste, qui ne peut pas cacher la réduction drastique de l’effort d’investissement public. Même son de cloche pour les collectivités territoriales qui devraient investir moins au regard du PLF rectificative 2020 (-23%). Visiblement, le gouvernement n’a pas tiré les leçons des fâcheuses conséquences engendrées par la baisse de l’investissement public de 15 Mds de DH en 2013. Une décision prise sous l’ère de Abdelilah Benkirane, en tant que chef du gouvernement de l’époque. L’investissement est le moteur de la croissance. En baissant l’effort d’investissement, l’Etat programme de facto la récession. Tout cela montre que les responsables publics ont pour priorité et obsession la sauvegarde des équilibres macroéconomiques au détriment de toute autre considération. Sachant que la crise liée au coronavirus a accru la vulnérabilité d’une large frange de la population. Pour rappel, près de 5 millions de ménages marocains privés de revenus ont sollicité l’aide financière de l’Etat pour faire face aux dépenses de première nécessité pendant le confinement.

 

F.N.H. : Enfin, quel regard portez sur la structure et le niveau de l’endettement prévu dans le PLF rectificative 2020 ?

N. A. : Il est clair que l’actuel gouvernement fait la fuite en avant, avec un déni de la réalité. Les choix qui s’imposent n’ont pas été opérés pour affronter les difficultés du moment. L’Etat a encore pris l’option de la facilité en recourant à l’endettement en l’absence d’une réforme fiscale ambitieuse et d’une politique monétaire idoine. L’endettement prévu par la Loi de Finances 2020, qui devrait tourner autour de 97 Mds de DH, passe à 136 Mds de DH avec le PLF rectificative 2020, avec une particularité inquiétante par rapport aux dix dernières années antérieures. Celle de la prépondérance de la dette extérieure qui représente près de 3/4 de l’endettement. Ce recours massif à l’endettement extérieur traduit quelque part la volonté de l’Etat d’alléger les fortes pressions qui s’exercent de plus en plus sur les réserves en devises.

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